Bienfaits des progrès scientifiques Louis PAUWELS

Bienfaits des progrès scientifiques

Louis PAUWELS

1920 - 1997

Lettre ouverte aux gens heureux... (1972)

Quand j'entends des paresseux et des ignorants parler du malheur de vivre dans le progrès, je songe à ce qui se passait, dans les années 1870-1890, sous le toit d’une baraque laboratoire de Menlo Park. À cette époque, l’âge d’or de l’invention donnait des ailes à des ingénieurs s à col dur et cœur pur. Quand Edison eut dessiné son premier phonographe, il travailla trente-six heures avec son mécanicien. Ils eurent des larmes aux yeux et des frissons partout lorsque, de la boîte, sortit une voix nasillarde qui disait: «Marie a un petit agneau.» Quand la première lampe à incandescence s’illumina, toute l’équipe demeura quarante-six heures sous ce toit, fascinée, fixant la lumière jaune, jusqu'à ce que le filament soit complètement brûlé.

Tout notre monde moderne est né dans les veillées de ces Edison. C’est ce monde-là qui permet à nos clochards de prendre un Boeing pour Katmandou et aux dégoûtés de la technique de se faire entendre à la radio. Est-ce que les Edison avaient foi dans le progrès? Certainement. Pensaient-ils que le progrès ferait le bonheur des hommes? Sans aucun doute. Mais au-delà de la foi et de la morale, c'étaient des possédés. Ils étaient possédés par le génie du faire. Tout ce qui peut marcher doit être mis en marche. Tout ce qui est réalisable doit être réalisé. Pourquoi? Parce que. Ils étaient emportés par la passion de l’ingénieur.

C'était peut-être un aveuglement, mais qui nous a éclairés.

Je ne pense pas qu'il soit sorti de l'Église du pessimisme une seule idée utile aux hommes. Cependant, j’admets que la contestation a mis au jour un sentiment nouveau et utile. C’est l'amour du bien-être, au sens fort de l’expression. Quelque chose vient de modifier la mentalité des responsables. Il ne s'agit plus uniquement d'inventer, mais de se poser la question: est-ce que ça contentera les hommes? Est-ce que ça va diminuer ou augmenter le plaisir d’exister? Il y a là une révolution, qui n’est guère perçue, mais dont nos petits-enfants éprouveront les bons effets. L'ingénieur se découvre un autre maître que Faust1 : le bonheur d’autrui.

Mais finalement, nous devons ce grand changement plutôt aux Edison qu’aux philosophes du mal de vivre. Quand on cesse de se salir