Avenir de l’écrit Paul VALÉRY
Publié le 24/03/2020
Extrait du document
Avenir de l’écrit
Paul VALÉRY
1871 - 1945
Regards sur le monde actuel (1931)
[...] La littérature, qui n’est en soi qu’une exploitation des ressources de langage, dépend des vicissitudes très diverses qu’un langage peut subir et des conditions de transmission que lui procurent les moyens matériels dont une époque dispose.
Le temps me fait défaut pour développer la quantité d’observations que cet aspect du sujet demanderait qu’on exposât. Je me tiendrai à quelques remarques sur la diffusion radiophonique, d’une part, sur l’enregistrement par disques, de l’autre.
On peut déjà se demander si une littérature purement orale et auditive ne remplacera pas, dans un délai assez bref, la littérature écrite. Ce serait là un retour aux âges les plus primitifs, et les conséquences techniques en seraient immenses. L’écriture supprimée, qu’en résulterait-il ? D’abord — et ceci serait heureux - le rôle de la voix, les exigences de l’oreille reprendraient, dans la forme, l’importance capitale que ces conditions sensibles ont eue et quelles avaient encore, il y a quelques siècles. Du coup, la structure des œuvres, leurs dimensions, seraient fortement affectées; mais, d’autre part, le travail de l’auteur deviendrait bien moins facile à reprendre. Certains poètes ne pourraient pas se faire aussi compliqués qu’on prétend qu’ils le sont, et les lecteurs, transformés en auditeurs, ne pourraient guère plus revenir sur un passage, le relire, l’approfondir en jouissance ou en critique, comme ils le font sur un texte qu’ils tiennent entre leurs mains.
Il y a autre chose. Supposez que la vision à distance se développe (et je vous avoue que je ne le souhaite guère), du coup, toute la partie descriptive des œuvres pourra être remplacée par une représentation visuelle : paysages, portraits, ne seraient plus du ressort des Lettres, ils échapperaient aux moyens du langage. On peut encore aller plus loin : la partie sentimentale pourrait également être réduite, sinon tout à fait abolie, moyennant une intervention d’images tendres et de musique bien choisie, déclenchée au moment pathétique...
Et voici, enfin, une conséquence possible, la plus grave, peut-être, de la mise en train de tous ces progrès : que deviendrait la littérature
«
r CULTURE ET MODERNITÉ
abstraite? Tant qu'il s'agit d'amuser, d'émouvoir, de séduire les esprits,
on peut consentir, à la rigueur, que l'émission y suffise.
Mais la science
35 ou la philosophie demandent à la pensée un rythme tout autre, que la
lecture permettait jadis; ou, plutôt, elles imposent une absence de
rythme.
La réflexion arrête
ou brise, à chaque instant, l'impulsion,
introduit des temps inégaux, des retours et des détours, qui exigent la
présence
d'un texte et la possibilité de le manoeuvrer à loisir.
Tout cela
40 est exclu par l'audition.
[audition ne suffit pas à la transmission des oeuvres abstraites.
Regards sur le monde actue~ © Éd.
Gallimard.
- : • l(ldiquez les étapes de l'argumentation.
1 • Montrez que Valéry essaie d'analyser de manière objective l'avenir
de la littérature.
' 1 '.
• En quoi ce texte, écrit en 1931, conserve-t-il sa modernité? ' 1 1
:, ),> Groupement de textes: voir 25 -33 -34 -35.
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53.
»
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