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Article de presse: Yalta, le rêve et la réalité

Publié le 22/02/2012

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yalta
4-11 février 1945 - Sur la photo, assis, de gauche à droite, Winston Churchill, le président Roosevelt et Joseph Staline. Au second plan, debout, également de gauche à droite : lord Leathers, ministre britannique des transports de guerre (en seconde position) Anthony Eden, secrétaire au Foreign Office Edward Stettinius, secrétaire d'Etat américain Sir Alexander Cadogan, sous-secrétaire permanent britannique aux affaires étrangères Viatcheslav Molotov, ministre soviétique des affaires étrangères, et Averell Harriman, ambassadeur des Etats-Unis en URSS. DE nos jours, les chefs d'Etat franchissent les océans pour un oui ou pour un non. On a de ce fait quelque peine à imaginer que Roosevelt, Staline et Churchill aient tenu, en tout et pour tout, pendant la dernière guerre, alors qu'ils avaient tant de décisions capitales à arrêter en commun, deux de ces réunions qu'on a pris maintenant l'habitude d'appeler des " sommets ". A Téhéran, à l'automne 1943. Et à Yalta, du 4 au 11 février 1945. Au moment où s'ouvrit la conférence, l'Allemagne nazie vivait ses dernières semaines. Elle n'avait plus d'allié européen, sauf l'éphémère République de Mussolini, qui ne contrôlait que le nord de la Péninsule. On commençait à se battre, à l'est comme à l'ouest, à l'intérieur de ses frontières de 1937. Il était plus que temps, pour les chefs de la coalition anti-hitlérienne, d'essayer de s'entendre sur ce que serait l'après-guerre. Roosevelt entendait réussir là où son prédécesseur, Woodrow Wilson, avait échoué après la première guerre mondiale, et rester dans l'Histoire comme le bâtisseur de la paix, l'arbitre entre les Anglais " qui pensent empire " et les Russes " qui pensent communisme ". Il n'allait donc pas, vis-à-vis de Staline, se montrer trop exigeant : " J'ai comme l'impression que tout ce qu'il désire, confia-t-il un jour à l'ambassadeur William Bullitt, c'est assurer la sécurité de son pays. Je pense que si je lui donne tout ce qu'il me sera possible de donner sans rien réclamer en échange, noblesse oblige, il ne tentera pas d'annexer quoi que ce soit et travaillera à bâtir un monde de démocratie et de paix. " " Noblesse oblige ! " On n'est pas plus psychologue, concernant celui que Jean Laloy décrit comme un homme " totalement désabusé qui continue, par férocité et par ruse, à accroître pouvoir, territoires, influence, domination, et qui, au fond de lui-même, pressent le vide, l'horreur (1) ". C'est pourtant avec cet homme-là que " FDR " va devoir mettre sur pied la création d'une Organisation des nations unies destinée à prendre la relève de la défunte Société des nations, mais dotée, pour être efficace, d'infiniment plus de pouvoir. Le Conseil de sécurité, dont les grandes puissances seront les membres permanents, exercera collectivement la responsabilité de la paix sur cette Terre : d'où l'âpreté des discussions qui ont porté, à Yalta, sur le droit de veto accordé aux dits membres permanents. Dans un moment d'exceptionnel désintéressement, chacun des trois accepta de renoncer à s'en prévaloir dans les conflits où il serait partie : inutile de dire que deux ans plus tard cet engagement était tombé en désuétude. En fin de compte, le principal résultat concret de toutes ces passes d'armes aura été l'attribution à la France - en même temps qu'à la Chine - d'un siège permanent au Conseil. Elle ne l'aurait jamais obtenu si Churchill n'avait pas plaidé son dossier avec beaucoup d'énergie. Roosevelt ne cachait pas son intention de retirer les " boys " dans un délai de deux ans après la capitulation du Reich. Pour contenir le déferlement, qu'il redoutait, des Cosaques sur l'Europe, le Premier britannique pensait qu'une France forte ne serait pas de trop. Car il nourrissait peu d'illusions sur Staline. Le premier soin de celui-ci, dès l'invasion de son pays, n'avait-il pas été de presser ses nouveaux alliés d'entériner les avantages territoriaux qu'il avait obtenus de Hitler ? Pour tenter de limiter les dégâts et avoir les mains libres en Grèce, Churchill avait conclu avec le généralissime, en octobre 1944, à Moscou, sur un méchant bout de papier, un accord qui lui abandonnait pratiquement la Roumanie et la Bulgarie, les deux compères se reconnaissant mutuellement une influence à 50 % en Hongrie et en Yougoslavie. Roosevelt, quant à lui, n'avait cessé de requérir contre les zones d'influence, et Churchill s'était bien gardé de lui rapporter noir sur blanc les détails de son accord avec Staline. Plutôt qu'à des discussions de marchands de tapis il préférait faire confiance à la déclaration sur l'Europe libérée sur laquelle les trois vainqueurs allaient s'entendre sans grand-peine à Yalta. Ne se promettaient-ils pas d'aider " à former des gouvernements provisoires largement représentatifs de tous les éléments démocratiques qui s'engageraient à établir le plus tôt possible, par des élections libres, des gouvernements correspondant à la volonté des peuples " ? L'échec " Gouvernements représentatifs... démocratie... élections libres " : ces mots n'avaient pas le même sens suivant qu'ils étaient employés par Staline ou par les Anglo-Saxons. Six jours, pas un de plus, après la publication de cette rassurante proclamation d'intentions, le terrible Vychinski, ancien procureur des procès de Moscou, devenu vice-ministre des affaires étrangères, se rendait chez le roi Michel de Roumanie, dont le palais avait été encerclé au préalable par l'armée soviétique, pour le sommer de révoquer le premier ministre Radescu, accusé tout simplement de complot contre l'URSS, et de le remplacer par un " compagnon de route " du PC. Churchill ne se doutait de rien, qui, au même moment, livrait aux Communes ses impressions de Yalta. " Je ne connais pas de gouvernement qui s'en tienne plus fermement à ses promesses, fût-ce à son propre détriment, n'hésitait-il pas à dire, que le gouvernement soviétique russe "... Deux semaines plus tard, il parlera, dans une lettre à Roosevelt, " d'un immense échec, d'un écroulement complet de ce qui avait été convenu à Yalta "... On touche ici le point essentiel. A Yalta, les trois grands ne se sont pas partagé le monde : ils ont signé une série d'accords très généraux, dont la plupart ont été violés, et ont renvoyé aux experts, ou à des réunions ultérieures, faute d'avoir pu les résoudre, des problèmes essentiels comme le sort de l'Allemagne ou celui de la Pologne. Le monde a certes été partagé, mais suivant une loi non écrite. Il l'a été par deux événements particulièrement " incontournables " : d'abord la progression de l'armée rouge, qui occupait déjà, au moment de Yalta, la Roumanie, la Bulgarie, la quasi-totalité de la Pologne, des pays baltes et de la Prusse orientale, les deux tiers de la Hongrie et de la Yougoslavie, l'est de la Tchécoslovaquie, une partie importante de la Silésie et de la Poméranie. Comment aurait-on pu convaincre Staline de la faire reculer ? Ensuite, en août suivant, Hiroshima, qui a donné aux Américains les moyens d'oublier la promesse faite par Roosevelt de retirer rapidement ses troupes d'Europe, ce dont Khrouchtchev devait s'inquiéter auprès de Kennedy lorsqu'il le rencontra à Vienne, en 1961. Hiroshima a eu un autre effet : faire du seul partage qui ait été conclu à Yalta, celui des dépouilles de l'empire nippon, un parfait marché de dupes. Les Etats-Unis, craignant que le conflit avec le Japon ne dure longtemps encore, voulaient être sûrs qu'une fois le Reich à terre les Soviétiques se joindraient à eux. Staline s'engagea sans difficulté à déclarer la guerre à Tokyo dans les trois mois qui suivraient la capitulation du Reich, mais il y mit des conditions, en l'espèce " la restauration des droits de la Russie violés par la traîtresse attaque du Japon " (1904). Autrement dit, la restitution du sud de Sakhaline, de Port-Arthur, de Dairen, du chemin de fer de Mandchourie. Les Soviétiques intervinrent bien, le 8 août, dans la guerre contre le Japon. Mais Hiroshima avait subi, quarante-huit heures plus tôt, le baptême atomique. Du coup, les soldats rouges arrivaient comme les carabiniers. Et Staline n'avait plus les moyens de réclamer une zone d'occupation du type de celles que les vainqueurs s'étaient attribuées en Allemagne et en Autriche. Pour ces deux pays, le tracé des zones avait été arrêté à Londres, quelques mois plus tôt, par un comité d'experts. Il fut entériné à Yalta sans discussion. Comme pour le siège permanent au Conseil de sécurité, Churchill dut se battre pour obtenir des zones pour la France. Roosevelt, puis Staline, au milieu de diverses aménités pour notre pays et pour de Gaulle, firent savoir qu'ils ne s'inclinaient que par " pure bonté ". La grande préoccupation des " trois " de Yalta, c'était, bien entendu, d'abord de gagner la guerre. Et, ensuite, de mettre durablement l'Allemagne hors d'état de nuire. Dans ce but, on avait déjà parlé, à Téhéran, de la démembrer : Staline rappela que Roosevelt avait suggéré de partager le pays en cinq Etats autonomes, le canal de Kiel, la Ruhr et la Sarre étant internationalisés sous le contrôle de l'ONU, tandis que Churchill s'était montré favorable à la constitution d'une fédération austro-bavaroise et au détachement de la Westphalie et de la Ruhr de la Prusse. Il est temps, dit-il, de prendre une décision. Mais on n'en prit aucune, sinon celle de constituer un comité de démembrement. Le " rideau de fer " Celui-ci avait cessé de fonctionner lorsque, le lendemain de la victoire et sans avoir consulté personne, " Oncle Joe " déclara que " l'URSS n'avait pas l'intention de démembrer ou de détruire l'Allemagne ". On n'en parlera donc plus et l'on s'entendra à Potsdam, au mois d'août, pour reconstituer des " départements administratifs centraux " pour l'ensemble de l'Allemagne. En partie du fait de la France, ils ne verront jamais le jour. Autre problème dont il fut question à Yalta à propos de l'Allemagne : les réparations. L'URSS réclamait 20 milliards de dollars, dont la moitié pour elle. C'était énorme. Churchill répondit que si l'on voulait faire tirer sa voiture par un cheval, il fallait lui donner un minimum de foin. Le chiffre avancé par les Soviétiques n'en fut pas moins adopté comme " base de discussion ". Si étrange que cela puisse paraître, on parla cependant infiniment moins à Yalta de l'Allemagne que de la Pologne. Il faut dire que deux gouvernements se la disputaient. L'un, installé à Londres, héritier de celui d'avant-guerre. L'autre, établi à Lublin, en Pologne libérée, dont l'URSS tirait les ficelles. Churchill ayant réclamé des " élections générales et libres (...), un gouvernement (...) qui pourrait être reconnu par tous les Polonais ", Staline répondit sur un ton sans réplique que le comité de Lublin était " aussi démocratique que de Gaulle et que sa reconnaissance était pour lui une question d'honneur et de sécurité ". Roosevelt s'interposa, et l'on s'entendit pour " réorganiser [le comité de Lublin] suivant des bases démocratiques plus étendues, avec l'inclusion des chefs démocrates se trouvant à l'étranger ". On promit au président des Etats-Unis de tenir des élections dans un délai d'un mois. " Je veux qu'elles soient comme la femme de César, qu'elles ne puissent être soupçonnées ", avait déclaré ce dernier. " Words, words ! " C'est son successeur, Harry Truman, qui porte la responsabilité d'avoir accepté, quelques mois plus tard, l'essentiel des exigences du généralissime, lequel avait déjà obtenu à Yalta la confirmation du tracé de la frontière orientale de la Pologne, sur lequel il s'était entendu, en 1939-1940, avec Hitler. Quant à la frontière occidentale, il fut admis qu'elle serait située sur l'Oder et la Neisse. Mais sur quelle Neisse, puisqu'il y en a deux ? La question n'a pas été tranchée à Yalta. La Pologne communiste l'a réglée en incorporant un beau matin la ville de Szczecin, ex-Stettin, dans ses frontières. Le bilan est bien mince en fin de compte. Mais l'approche de la victoire, les belles paroles au cours des banquets, avaient créé, à la fin de la conférence, une incroyable euphorie : " Nous étions absolument certains, devait déclarer Harry Hopkins, le très proche collaborateur de Roosevelt, d'avoir gagné la première victoire de la paix et, par nous, j'entends nous tous, tous les peuples civilisés de la race humaine ". C'était le 11 février 1945. Trois mois plus tard, Churchill constatait, dans une lettre à Truman, devenu entre-temps président des Etats-Unis, l'existence du " rideau de fer ". Du rideau de fer à la guerre froide, la distance était brève... ANDRE FONTAINE Le Monde du 5 février 1990
yalta

« de route " du PC. Churchill ne se doutait de rien, qui, au même moment, livrait aux Communes ses impressions de Yalta.

" Je ne connais pas degouvernement qui s'en tienne plus fermement à ses promesses, fût-ce à son propre détriment, n'hésitait-il pas à dire, que legouvernement soviétique russe "... Deux semaines plus tard, il parlera, dans une lettre à Roosevelt, " d'un immense échec, d'un écroulement complet de ce quiavait été convenu à Yalta "... On touche ici le point essentiel.

A Yalta, les trois grands ne se sont pas partagé le monde : ils ont signé une série d'accords trèsgénéraux, dont la plupart ont été violés, et ont renvoyé aux experts, ou à des réunions ultérieures, faute d'avoir pu les résoudre,des problèmes essentiels comme le sort de l'Allemagne ou celui de la Pologne. Le monde a certes été partagé, mais suivant une loi non écrite.

Il l'a été par deux événements particulièrement" incontournables " : d'abord la progression de l'armée rouge, qui occupait déjà, au moment de Yalta, la Roumanie, la Bulgarie, laquasi-totalité de la Pologne, des pays baltes et de la Prusse orientale, les deux tiers de la Hongrie et de la Yougoslavie, l'est de laTchécoslovaquie, une partie importante de la Silésie et de la Poméranie. Comment aurait-on pu convaincre Staline de la faire reculer ? Ensuite, en août suivant, Hiroshima, qui a donné aux Américainsles moyens d'oublier la promesse faite par Roosevelt de retirer rapidement ses troupes d'Europe, ce dont Khrouchtchev devaits'inquiéter auprès de Kennedy lorsqu'il le rencontra à Vienne, en 1961. Hiroshima a eu un autre effet : faire du seul partage qui ait été conclu à Yalta, celui des dépouilles de l'empire nippon, un parfaitmarché de dupes.

Les Etats-Unis, craignant que le conflit avec le Japon ne dure longtemps encore, voulaient être sûrs qu'une foisle Reich à terre les Soviétiques se joindraient à eux.

Staline s'engagea sans difficulté à déclarer la guerre à Tokyo dans les troismois qui suivraient la capitulation du Reich, mais il y mit des conditions, en l'espèce " la restauration des droits de la Russie violéspar la traîtresse attaque du Japon " (1904).

Autrement dit, la restitution du sud de Sakhaline, de Port-Arthur, de Dairen, duchemin de fer de Mandchourie. Les Soviétiques intervinrent bien, le 8 août, dans la guerre contre le Japon.

Mais Hiroshima avait subi, quarante-huit heures plustôt, le baptême atomique.

Du coup, les soldats rouges arrivaient comme les carabiniers.

Et Staline n'avait plus les moyens deréclamer une zone d'occupation du type de celles que les vainqueurs s'étaient attribuées en Allemagne et en Autriche. Pour ces deux pays, le tracé des zones avait été arrêté à Londres, quelques mois plus tôt, par un comité d'experts. Il fut entériné à Yalta sans discussion.

Comme pour le siège permanent au Conseil de sécurité, Churchill dut se battre pourobtenir des zones pour la France.

Roosevelt, puis Staline, au milieu de diverses aménités pour notre pays et pour de Gaulle, firentsavoir qu'ils ne s'inclinaient que par " pure bonté ". La grande préoccupation des " trois " de Yalta, c'était, bien entendu, d'abord de gagner la guerre.

Et, ensuite, de mettredurablement l'Allemagne hors d'état de nuire.

Dans ce but, on avait déjà parlé, à Téhéran, de la démembrer : Staline rappela queRoosevelt avait suggéré de partager le pays en cinq Etats autonomes, le canal de Kiel, la Ruhr et la Sarre étant internationaliséssous le contrôle de l'ONU, tandis que Churchill s'était montré favorable à la constitution d'une fédération austro-bavaroise et audétachement de la Westphalie et de la Ruhr de la Prusse.

Il est temps, dit-il, de prendre une décision.

Mais on n'en prit aucune,sinon celle de constituer un comité de démembrement. Le " rideau de fer " Celui-ci avait cessé de fonctionner lorsque, le lendemain de la victoire et sans avoir consulté personne, " Oncle Joe " déclaraque " l'URSS n'avait pas l'intention de démembrer ou de détruire l'Allemagne ".

On n'en parlera donc plus et l'on s'entendra àPotsdam, au mois d'août, pour reconstituer des " départements administratifs centraux " pour l'ensemble de l'Allemagne.

En partiedu fait de la France, ils ne verront jamais le jour. Autre problème dont il fut question à Yalta à propos de l'Allemagne : les réparations.

L'URSS réclamait 20 milliards de dollars,dont la moitié pour elle.

C'était énorme.

Churchill répondit que si l'on voulait faire tirer sa voiture par un cheval, il fallait lui donnerun minimum de foin.

Le chiffre avancé par les Soviétiques n'en fut pas moins adopté comme " base de discussion ". Si étrange que cela puisse paraître, on parla cependant infiniment moins à Yalta de l'Allemagne que de la Pologne.. »

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