Article de presse: Walesa prix Nobel de la paix
Publié le 22/02/2012
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5 octobre 1983 - Ce prix Nobel attribué à Lech Walesa est sans doute la seule vraie bonne nouvelle depuis de longs mois pour ceux qui, en Pologne, ne sont toujours pas résignés à ranger au placard les " idéaux d'août 1980 ". A vrai dire, personne ne croyait plus à une récompense trop espérée l'an dernier, attendue comme une bouée de sauvetage : Lech Walesa était alors interné, Solidarité venait d'être mis hors la loi, et les travailleurs des chantiers navals de Gdansk s'étaient lancés dans une grève " sauvage " de protestation.
Le jury d'Oslo avait fait valoir qu'il entendait couronner " une oeuvre de longue haleine " : " l'oeuvre " qu'il reconnaît aujourd'hui a certes un an de plus. Une année bien difficile, au cours de laquelle Lech Walesa, sans renier ses engagements, est parvenu à éviter les pièges semés sur sa route, et à garder le front haut devant la campagne de diffamation organisée contre lui. Mais une année qui ne fait que s'ajouter à douze autres, depuis cet hiver de 1970 au cours duquel Lech Walesa décida, avec quelques autres, que les dizaines d'ouvriers de Gdansk et de Gdynia tombés sous les balles de la police ne seraient pas oubliés.
Dès lors, il est de ceux qui, chaque année, en dépit des arrestations, des mesures d'intimidation diverses, tiennent à rendre hommage aux victimes de la tuerie. En 1976-au moment des émeutes de Radom et d'Ursus,-il organise une grève de quelques jours au chantier Lénine de Gdansk, où il travaille comme électricien.
Il est mis à la porte, comme il le sera au printemps 1980 d'une autre entreprise où il a constitué une " commission ouvrière contre les licenciements ".
Entre-temps, il rejoint le petit groupe du Comité fondateur des syndicats libres, et fait la connaissance des animateurs du KOR. Il a le loisir d'expérimenter toutes les finesses de la méthode de répression douce pratiquée sous les auspices du premier secrétaire du parti de l'époque, Edward Gierek.
Arrive août 1980: Lech Walesa, au chômage, entre dans l'histoire en sautant par-dessus les grilles du chantier Lénine occupé: il se retrouve à la tête du mouvement, signe le 31 août les accords de Gdansk, et devient en un clin d'oeil l'homme le plus populaire du pays, et aussi le " partenaire " obligé d'un pouvoir interloqué.
Lech Walesa a alors trente-sept ans, six enfants (sept à présent) et une superbe moustache. Sa verve gouailleuse proclame ses origines populaires, et il porte son catholicisme comme un drapeau. Mais ce petit homme est avant tout un caractère, et il saura le montrer pendant les seize mois d'enthousiasme au cours desquels Solidarité brave un régime décidé à réduire le syndicat avant de l'éliminer. Un caractère qui lui a permis de tenir bon, après le 13 décembre 1981, pendant ses onze mois d'internement, isolé de ses compagnons, soumis aux pressions des autorités, qui s'efforcèrent tour à tour de le récupérer, puis de détruire son image.
Les conditions dans lesquelles fut libéré le " caporal Walesa ", en novembre 1982, un mois avant la plupart des autres internés (et alors que sept dirigeants du syndicat attendent toujours leur procès), avaient pu semer un doute: mais cet homme de foi sut le dissiper en renouvelant devant la Vierge de Czestochowa son voeu de fidélité aux " idéaux d'août 1980 ", puis en rappelant qu'il se sentait toujours lié par le mandat que lui avaient confié les adhérents de Solidarité en l'élisant président du syndicat en octobre 1981.
Une attitude qui lui vaudra le respect des dirigeants clandestins du mouvement, y compris de ceux qui éprouvaient, naguère, de sérieuses réserves sur le personnage c'est que Lech Walesa a les défauts de ses qualités : homme d'improvisation, débordant d'énergie, intuitif et parfois rusé, il est aussi imprévisible, bavard et un peu brouillon cela ne va pas sans risques dans un contexte où l'adversaire guette chaque faux pas, chaque imprudence, et où la surveillance constante, l'impossibilité de se concerter avec ses compagnons ou ses conseillers, rendent bien difficile la conduite d'une action réfléchie et prévoyante.
Lech Walesa ne s'attendait plus à recevoir le Nobel. Mais " s'ils me le donnent, alors je ferai quelque chose de grand ", avait-il déclaré à la veille de la décision du jury. Que peut-il faire? Depuis des mois, il ne cesse de clamer, pathétique, son désir d'en revenir " à l'entente et au dialogue " avec un pouvoir qui le méprise autant qu'il le craint. Un pouvoir qui, après l'avoir traité d'homme " trop peu intelligent " pour être un interlocuteur (c'était dans les premiers mois de son internement), ne ménage plus rien pour le salir, à preuve cette récente émission de télévision qui le présentait comme un millionnaire en dollars, avide de profit.
En fait, malgré son obstination, sa " modération " aussi, on voit mal comment Lech Walesa, prix Nobel ou pas, pourrait encore trouver un langage commun avec l'équipe qui tient actuellement les rênes à Varsovie. S'il parvient à durer, sans trébucher, et sans perdre espoir (mais de ce côté-là, il est solide), peut-être pourra-t-il avoir encore un rôle à jouer mais quand? Sinon, ce prix bien tardif pourrait n'être qu'un lot de consolation.
Tout au moins aidera-t-il son détenteur à préserver un peu plus longtemps son image d'homme-symbole, incarnation d'un beau rêve. C'est déjà beaucoup.
JAN KRAUZE
Le Monde du 6 octobre 1983
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