Article de presse: Vers la mondialisation des échanges ?
Publié le 22/02/2012
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4 mai 1964 - A la veille de l'ouverture du " Kennedy round ", Paul Fabra examine les perspectives ouvertes par un accroissement des échanges, notamment entre les Etats-Unis et la CEE.
Si le " Kennedy Round ", qui s'ouvre le 4 mai à Genève, est dû au départ à une initiative américaine rendue possible par le vote du Trade Expansion Act, conférant au président des Etats-Unis des pouvoirs très étendus pour négocier une réduction des droits de douane, il ne s'ensuit pas que les nations européennes ne puissent elles-mêmes en tirer leur profit. Déjà, les plus entreprenants de nos industriels pensent qu'il faut absolument saisir cette occasion pour obtenir de Washington la suppression des obstacles les plus gênants-il ne s'agit pas seulement des tarifs trop élevés-qui entravent souvent les efforts entrepris pour vendre sur le marché le plus riche du monde.
Qu'une négociation de cet ordre doive se traduire pour les différents partenaires en présence-en l'occurrence les parties contractantes du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade)-par des avantages réciproques est une simple constatation de bon sens. Mais, de même que les lois deviennent plus compliquées à mesure qu'on s'efforce de les rendre plus justes et d'y faire entrer des " cas particuliers ", de même les méthodes imaginées par les experts pour parvenir à un désarmement tarifaire (partiel) perdent de leur simplicité si l'on veut que les résultats soient équilibrés.
La conférence du GATT revient à demander à la CEE de discuter publiquement, devant une instance internationale, des problèmes posés au monde extérieur par son propre développement.
Un tel débat est-il opportun alors que l'unification du Vieux Continent-les nations qui le composent le savent fort bien-n'est qu'à peine ébauchée? Ne risque-t-il pas de diviser les Six ? Pour toutes ces raisons et quelques autres, un abattement substantiel du tarif extérieur commun peut paraître prématuré. Ce tarif commun n'est-il pas jusqu'à nouvel ordre le lien le plus tangible qui rassemble la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg ?
La grande affaire est tout de même l'avenir des relations entre l'Amérique du Nord et l'Europe. La lutte de puissance économique engagée entre l'une et l'autre se livrera sur plusieurs terrains à la fois, et notamment sur celui des coûts, qui restent stables aux Etats-Unis et montent en Europe. Si la santé du dollar ne devait être rétablie-comme l'ont prédit, sans apparemment trop le regretter, les institutions financières internationales chargées pourtant de défendre l'orthodoxie financière-qu'à la faveur d'un retour de l'inflation sur le Vieux Continent, il n'est pas difficile d'imaginer quelles en seraient les conséquences sur le plan politique et commercial. Déjà, les industriels américains se montrent de plus en plus agressifs sur tous les marchés du monde et remportent de plus en plus de succès sur leurs concurrents européens. Certes, le danger d'inflation est désormais clairement perçu dans la CEE, mais les " plans de stabilisation " mis en oeuvre ne prétendent guère exercer leur action au-delà de quelques mois. Pour inciter les entreprises à entamer un effort de longue haleine pour comprimer leur prix de revient, il est un moyen éprouvé : les menacer de la concurrence étrangère. Le " Kennedy Round " ne pourrait-il ainsi jouer le rôle d'instrument de la politique économique de la CEE à long terme ? Un désarmement douanier trop brutal aurait peut-être pour effet de submerger notre industrie sous le flot des produit made in USA, mais on sait qu'il sera progressif, étalé sur cinq ans en principe.
La nécessité de susciter en Europe la création de grandes unités de production, comparables à celles qui existent aux Etats-Unis, est souvent reconnue. Il n'est pas sûr que le mouvement de concentration nécessaire pour parvenir à ce résultat sera facilité par le maintien d'une protection douanière relativement importante. Il paraît aisé d'avancer des arguments en sens contraire (la crainte est le commencement de la sagesse) et même d'invoquer quelques exemples historiques : sur notre continent, c'est plutôt dans les pays à tarifs traditionnellement bas, aux Pays-Bas et en Allemagne notamment, que se sont fondées de puissantes entreprises " à l'échelle internationale ".
En principe, l'abaissement du tarif extérieur commun devrait avoir pour effet de ralentir le courant des investissements américains dans le Marché commun, puisqu'il sera désormais plus facile de concurrencer celui-ci de l'extérieur. Ce ralentissement est-il souhaitable ? Cette question aussi peut donner naissance à des discussions sans fin, mais il paraît tout de même préférable que des secteurs entiers de l'économie ne tombent pas sous le contrôle de capitalistes étrangers (à condition, bien sûr, que les producteurs nationaux puissent survivre à la compétition extérieure !) Réservons pour la fin l'argument qui paraîtra peut-être le plus provocant : personne ne sait encore comment se présentera la négociation Kennedy sur les produits agricoles, mais, si elle devait avoir pour résultat indirect d'amener la CEE à une certaine modération dans sa politique de soutien de l'agriculture, il conviendrait de s'en féliciter : l'Europe des usines a tout à perdre à devenir une zone de produits alimentaires chers.
Il n'en demeure pas moins vrai que le Marché commun ne pourra tirer avantage d'un abaissement des protections tarifaires que si certains principes de réciprocité sont respectés.
PAUL FABRA
Le Monde du 29-30 avril 1964
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