Article de presse: Vaclav Klaus, le Thatcher de l'Est
Publié le 22/02/2012
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30 novembre 1997 - " Il est arrivé ce qui devait arriver, même si j'aurais préféré que cela se passe dans des conditions plus dignes. " C'est ainsi que le président tchèque, Vaclav Havel, a accueilli, dimanche 30 novembre, la décision du premier ministre, Vaclav Klaus, de lui remettre la démission de son cabinet. La chute du gouvernement intervient après le départ de quatre ministres chrétiens-démocrates (KDU-CSL), en protestation contre un scandale autour du financement du parti démocratique civique (ODS) de M. Klaus.
Fragilisé depuis les élections de juin 1996 qui lui avait fait perdre la majorité absolue, et par deux sérieuses crises en mai et en octobre, M. Klaus n'avait plus vraiment le choix. " J'ai été contraint " de partir, " je n'avais aucune alternative " , a-t-il reconnu en s'estimant victime d'" une attaque concertée et organisée pour m'écarter " . Samedi, les quatre ministres de la seconde petite formation de la coalition gouvernementale (l'Alliance démocratique civique, ODA) avaient décidé de suivre l'exemple de leurs collègues du KDU-CSL. Aussi, face à un gouvernement privé de la moitié de ses membres, le chef de l'Etat, convaincu que le " cabinet avait totalement perdu son potentiel conceptuel " , avait appelé M. Klaus a se démettre.
La décision n'a pas été facile à prendre pour M. Klaus, qui s'était présenté, samedi, à un comité exécutif de l'ODS, convoqué à la hâte pour résoudre la crise gouvernementale, avec l'intention de conserver son poste. La réunion, qui devait également décider de son sort à la tête du parti, a duré onze heures, dans une atmosphère particulièrement tendue. Fort du soutien des délégués de la base et des hommes de l'appareil contre la volonté de cinq des huit ministres de l'ODS, M. Klaus a pu annoncer, en pleine nuit, qu'il demeurait président du parti jusqu'au congrès extraordinaire, convoqué les 13 et 14 décembre. Visiblement satisfait du résultat de la réunion et encouragé par quelque trois cents partisans massés devant le siège du parti, il a ajouté qu'il serait candidat à sa réélection à la tête de l'ODS, mais qu'il ne participerait pas au prochain gouvernement.
Ses adversaires au sein de l'ODS, le ministre des finances, Ivan Pilip, et l'ex-ministre de l'intérieur, Jan Ruml, n'ont pas caché leur déception en quittant la réunion. Malmené et insulté par les manifestants, M. Ruml, un ancien dissident proche de M. Havel, s'est déclaré " écoeuré " , avant d'ajouter qu'il " n'avait pas passé des années dans les geôles communistes pour vivre de tels instants " . Le chef d'Etat a également " condamné " le comportement des fidèles du premier ministre et appelé le maire de Prague, Jan Koukal, à démissionner pour avoir organisé une manifestation de soutien à Vaclav Klaus sur la place Venceslas.
Environ 1 500 personnes ont participé, dimanche dans la soirée, à ce rassemblement animé par Livia Klausova, l'épouse du chef du gouvernement, sortie pour l'occasion de sa réserve. " Quelqu'un nous a appris pendant des années que nous étions une démocratie standard et que la politique ne se faisait plus dans la rue " , a lancé M. Havel, lors de son entretien radiophonique hebdomadaire, dans une claire allusion à M. Klaus. Celui-ci a " regretté " les bousculades, mais, défendant le droit de ses partisans à manifester leur soutien, le premier ministre a encouragé ses adversaires à " réfléchir sur leur actes et sur eux-mêmes " .
Le président Havel, désireux d'accélérer la formation du nouveau gouvernement l'actuel cabinet de M. Klaus étant chargé de gérer les affaires courantes a réuni, dimanche après- midi, les dirigeants des trois partis de la coalition de centre droit. La rencontre, qui a duré près de deux heures, s'est soldée par une victoire de M. Klaus, qui a imposé à ses partenaires d'attendre l'issue du congrès extraordinaire de l'ODS.
Se retranchant derrière " l'absence de mandat de la part du comité exécutif " , le premier ministre n'a, en effet, pas encore arrêté sa position définitive sur la participation de l'ODS au nouveau gouvernement. M. Klaus, qui devrait obtenir une nouvelle légitimité lors du congrès de la mi-décembre, a laissé entendre qu'il ne serait plus opposé à des élections anticipées pour sortir de la crise. Selon un premier sondage, une majorité de Tchèques y sont d'ailleurs favorables. Plus de 57 % d'entre eux estiment en outre que l'ODS n'est pas à l'origine de la tension politique actuelle.
L'opposition social-démocrate (CSSD), emmenée par le chef de la Chambre des députés, Milos Zeman, s'est pour sa part déclarée en faveur de la tenue d'élections législatives anticipées en juin 1998. Opposé a cette solution et partisan d'un gouvernement d'experts, le président Havel espère au contraire que le CSSD " tolérera " le prochain gouvernement " davantage " que l'équipe sortante. Mais M. Zeman, qui refuse de réduire les problèmes actuels à la seule personne de M. Klaus, a maintenu son projet initial de déposer une motion de censure contre tout gouvernement issu de l'actuelle coalition. Une telle motion interviendrait, selon lui, au plus tard en février 1998, après l'élection présidentielle à laquelle M. Havel est candidat.
Le " Thatcher de l'Est "
" Vaclav Klaus finira comme Margaret Thatcher : aigri ; il se brouillera avec tous ses proches et ne reconnaîtra jamais ses erreurs. " Ce pronostic, formulé à la veille des élections de 1996 par un ministre tchèque, semble se réaliser. Fasciné par la Dame de fer, dont il partage les convictions ultralibérales, Vaclav Klaus voit une page de sa vie publique se tourner, avec l'annonce de sa démission. A cinquante-six ans, l'économiste Klaus ministre des finances des cabinets tchécoslovaques d'après la " révolution de velours " , puis premier ministre de la République tchèque depuis juillet 1992 a été le chef de gouvernement le plus longtemps en poste en Europe centrale postcommuniste.
Il passa les années de la " normalisation " soviétique (1970-1989) contre laquelle se battait l'écrivain Vaclav Havel à étudier le fonctionnement du capitalisme dans des instituts d'économie à Prague. En 1990-1991, avec sa vision claire des réformes à mener, il impose son programme axé sur une privatisation de masse par la méthode des " coupons " . Mais la conception partisane du " tout-économique " de Vaclav Klaus entre rapidement en conflit avec les projets nourris par Vaclav Havel d'une société civile ouverte et d'un Etat de droit fort et respecté.
A la tête de son Parti démocratique civique (ODS), très structuré, Vaclav Klaus remporte les élections législatives de juin 1992. Il s'entend avec l'homme fort slovaque, Vladimir Meciar, pour scinder la Tchécoslovaquie en deux Etats indépendants. Les premiers avertissements électoraux sérieux interviennent en 1996 : les législatives de juin font perdre la majorité à la coalition gouvernementale et des voix s'élèvent, parmi ses alliés, contre les manières autoritaires du premier ministre.
Chevelure et moustache grisonnantes après huit ans de pouvoir, Vaclav Klaus, aujourd'hui sur le départ, n'a cependant pas dit son dernier mot : face à un éventuel gouvernement à dominante sociale-démocrate, il pourrait être un redoutable chef d'opposition.
MARTIN PLICHTA
Le Monde du 2 décembre 1997
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