Article de presse: Urho Kekkonen : vivre avec Moscou
Publié le 17/01/2022
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15 février 1956 - Le président de la République finlandaise poursuit une politique qui, à d'autres, paraîtrait impossible : en dépit du poids de l'histoire, il veut que son pays garde sa liberté et vive en état d'amitié avec l'Union soviétique. Dans cet homme politique élancé et toujours prompt à la riposte, il reste la souplesse du champion national de saut en hauteur que fut Urho Kekkonen lorsqu'il n'avait guère plus de vingt ans.
Au temps de ses succès sportifs, il étudiait le droit. Quand il reçut son diplôme, il entra dans les services du Parti agrarien. Mais il était trop doué, ou trop avide de jouer un vrai rôle, pour rester longtemps dans les bureaux. Très vite il devint député (1936), puis ministre. Dès son entrée au Parlement, il suscita les controverses.
Ses adversaires le traitaient de " paysan des routes goudronnées ". Il ne redoutait pas les attaques, et en sa qualité de ministre de l'intérieur, il n'hésita pas à ordonner la dissolution d'un parti pronazi, alors même que la Chambre n'était pas prête à le suivre.
Sa véritable carrière gouvernementale commence après la guerre. Alors que le vieux leader conservateur Paasikivi revient sur la scène pour définir et appliquer sa " ligne " de bon voisinage avec l'URSS, Kekkonen devient un des plus proches associés du président. Il croit lui aussi qu'en Finlande " la politique étrangère doit l'emporter sur la politique intérieure ".
Mais l'homme d'Etat qui apparaît déjà en Kekkonen ne fait pas oublier le chef du Parti agrarien. Dans les périodes d'austérité, les intérêts des paysans ne coïncident pas avec ceux du prolétariat, et il arrive que Kekkonen provoque des crises ministérielles, que souvent d'ailleurs il est chargé de résoudre : de 1950 à 1955, il a dirigé cinq gouvernements.
Sa première élection à la présidence de la République (février 1956) est unique en son genre dans l'histoire de la Finlande. Il fallut en effet trois tours de scrutin au collège des grands électeurs pour départager les candidats. M. Kekkonen l'emporta au troisième tour avec 151 voix contre 149 au leader social-démocrate Fagerholm. Il s'empresse d'ailleurs, une fois élu, de confier à son rival la charge de former le gouvernement. La situation exigeait cette solution : la grève générale paralysait le pays, et seul un des chefs du parti ouvrier paraissait capable de faire baisser la tension.
Elu à la magistrature suprême, Kekkonen se consacra plus que jamais à la politique étrangère (la Constitution, en effet, confère au chef de l'Etat les plus grandes responsabilités en ce domaine) : il a su gagner la confiance de Khrouchtchev, la compréhension de Kennedy, défendre sa neutralité à l'Est et l'expliquer à l'Ouest.
L'élévation au plus haut poste de l'Etat ne l'a cependant pas mis à l'abri des critiques. Certains lui reprochent de prendre un soin exagéré des intérêts du Parti agrarien ou encore d'avoir fait à l'URSS des concessions superflues. Mais la politique générale qu'il suit est approuvée par presque tous ses compatriotes, et au début de 1962 la grande majorité des électeurs a estimé qu'il était l'homme le mieux armé pour l'appliquer.
Il est un point en tout cas sur lequel se fait l'unanimité des amis et des adversaires du président : Urho Kekkonen domine par sa personnalité le monde politique de son pays. On peut même penser que s'il y avait un concours international des hommes d'Etat, l'ancien président de la Fédération finnoise des sports et de la gymnastique se classerait parmi les premiers.
BERNARD FERON
Le Monde du 25 octobre 1962
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