Article de presse: Un tournant du nationalisme corse
Publié le 22/02/2012
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12 décembre 1996 - Ouverte avec la conférence de presse de Tralonca, dans la nuit du 11 au 12 janvier, au cours de laquelle le FLNC-canal historique (bras armé d'A Cuncolta naziunalista) avait annoncé, dans un grand déploiement d'hommes armés et encagoulés, l'ouverture d'un " processus de paix ", aujourd'hui interrompu, l'année s'achève avec l'interrogatoire par la justice de Marie-Hélène Mattei, compagne de François Santoni, tous deux détenus depuis le 16 décembre. Ces deux épisodes illustrent le passage, du côté de l'Etat, d'une politique de " dialogue et de fermeté ", qui n'aura eu que quelques mois pour tenter de produire ses effets, à une action centrée sur la répression.
C'est pourquoi 1996 aura été l'année des dupes et des occasions manquées. Année des espoirs déçus, parce que les nationalistes, y compris les plus durs, ceux du Canal historique et d'A Cuncolta, partageaient, au début de l'année, la lassitude générale en Corse vis-à-vis de la violence et étaient sans doute prêts à saisir toute occasion d'une " sortie honorable ". Année des dupes, parce que ni le gouvernement ni les nationalistes n'ont joué franc jeu. Les nationalistes corses ne raisonnent, dans leurs rapports avec l'Etat, qu'en termes de rapport de forces, qu'ils tentent de construire par des moyens légaux, mais aussi et c'est tout le problème par le recours à la violence. Pendant toute la durée du " processus de paix ", le FLNC-canal historique n'a pas pu s'empêcher de continuer à jouer sur les deux tableaux, même si l'arrêt des attentats contre les services de l'Etat et les collectivités locales a été effectif pendant plusieurs mois. Ce mouvement a ainsi mis dans une situation impossible ceux qui tentaient d'explorer la voie du dialogue, au milieu du scepticisme général : au premier chef Jean-Louis Debré, le ministre de l'intérieur.
Cette ambiguïté s'est illustrée à Tralonca, où les pouvoirs publics ont laissé se dérouler une démonstration qui était partie intégrante du processus alors en cours. Dès ce jour-là, les nationalistes n'ont pas tenu une partie de leur parole : il est très probable que l'accord conclu, officieusement, ne prévoyait pas une telle démonstration de force armée. Quant au message qu'entendaient faire passer les nationalistes, il devait s'agir d'une sorte d' " adieu aux armes ", avec des allures de " fête ". Au lieu de cela, évidemment, l'opinion stupéfaite n'a retenu que l'image menaçante de ce déploiement d'armes de guerre et d'hommes encagoulés sur le territoire de la République.
L'Etat, lui aussi, a eu recours au double langage, jusqu'à ce que la ligne " dure " d'Alain Juppé s'impose de façon apparemment définitive. Au surplus, il est revenu sur sa parole même si elle avait été donnée dans des conditions très spéciales en entamant des poursuites quelques mois après laissé se dérouler la conférence de presse de Tralonca.
Un succès policier
Aujourd'hui, la mise " hors circuit " de deux des têtes du nationalisme semble bien, malgré quelques zones d'ombre, constituer le premier succès policier spectaculaire qu'attendait le gouvernement, mais il ne fera pas cesser dans l'immédiat les activités du Canal historique, au contraire. On a souvent frôlé, au cours des attentats de ces dernières semaines, la bavure mortelle, et personne n'est à l'abri d'une nouvelle escalade. De toute façon, le démantèlement du Canal historique ne suffirait sans doute pas, à lui seul, à régler de façon durable le problème de la violence en Corse.
Depuis juillet, le premier ministre a renoué avec une vision de l'action de l'Etat en Corse qui était, grosso modo, celle des ministres de l'intérieur de la droite au pouvoir dans les années 70 : le nationalisme n'est pas une affaire politique, mais relève du seul maintien de l'ordre dès lors qu'il s'exprime par la violence. Pour le reste, le problème corse est surtout d'ordre économique.
Cette voie a toujours conduit à l'échec. M. Juppé sera-t-il le premier à réussir en l'empruntant ? La double interpellation de décembre n'a pas provoqué de grands mouvements de solidarité sur l'île, un peu comme si la page d'une génération du nationalisme, incarnée par les deux dirigeants incarcérés, était déjà en train de se tourner. L'île est lasse, écoeurée par les dérives de ceux qui avaient porté beaucoup d'espoirs, impatiente de retrouver des repères et un avenir. Mais le renouveau n'est probablement pas pour demain et ne prendra pas forcément la forme que beaucoup attendent sur le continent. Ne serait-ce que parce que les idées qui avaient nourri le nationalisme semblent toujours emporter l'adhésion, ou au moins la sympathie, d'une part non négligeable de la population insulaire. Voire d'une majorité chez les plus jeunes.
JEAN-LOUIS ANDREANI
Le Monde du 1er janvier 1997
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