Article de presse: Un terrorisme d'un nouveau genre
Publié le 22/02/2012
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29 septembre 1995 - " INCH ALLAH, si Dieu le veut, je vous jure que je quitte la France ", répondait Khaled Kelkal au sociologue allemand Dietmar Loch qui interrogeait, en octobre 1992 à Vaulx-en-Velin, ce beur ayant passé l'essentiel de sa vie dans la banlieue lyonnaise. " Aller où ? Ben, retourner chez moi, en Algérie. J'ai pas ma place ici. " Le portrait du jeune Algérien était alors celui, presque banal, d'un beur oscillant entre intégration et marginalisation. D'un lycéen qui, disait-il, n'avait " pas trouvé [sa] place " dans la société et était " parti de travers " au point d'avoir déjà purgé, à vingt-deux ans, une peine de prison pour des cambriolages de magasins. D'un musulman fréquentant la mosquée du quartier et affirmant, avec des accents alors fraternels, que l'islam était " une grande chose dans [sa] vie ".
Trois ans plus tard, Kelkal est devenu l'homme le plus recherché de France. Sa dernière tranche de vie, celle du passage au terrorisme islamiste, n'a pas livré tous ses mystères. Le 26 août, Kelkal a en tout cas franchi le pas de la lutte armée : son empreinte digitale est identifiée sur l'engin qui, placé le long des voies du TGV Lyon-Paris, n'avait pas explosé.
Pistolet au poing, la cavale de Kelkal s'achève le 29 septembre au lieu-dit Maison Blanche, près de Lyon, sous les balles des gendarmes et les yeux des caméras. Quelques heures après ses obsèques, le 6 octobre, une bonbonne de gaz a fait 13 blessés devant la station du métro parisien Maison-Blanche. Proche du GIA, le journal Al Ansar du 13 octobre salue sa mort comme celle d'un " martyr de la foi ".
Khaled Kelkal et ses trois complices de Vaulx-en-Velin, arrêtés peu avant sa mort, ne formaient pas un groupe autonome. Les expertises ont montré qu'un fusil saisi sur leur campement des monts du Lyonnais avait servi à tuer, le 11 juillet dans la mosquée de la rue Myrrha à Paris, le cheikh Sarahoui, précédemment menacé de mort par le GIA. Et le " groupe Kelkal " recevait ses ordres d'un émissaire du GIA spécialement venu d'Algérie quelques mois plus tôt, Boualem Bensaïd.
Présenté comme le chef opérationnel du réseau terroriste, cet Algérien de vingt-huit ans a été interpellé le 1er novembre à Paris, alors qu'il ordonnait à des islamistes lillois de poser une bombe sur le plus grand marché de Lille. Retrouvées sur les bombes du TGV et de la station Maison-Blanche, les empreintes de Bensaïd signent sa participation à ces deux actions.
Il reconnaît aussi avoir hébergé dans son appartement parisien l'équipe chargée de la dernière explosion, celle du 17 octobre dans le RER entre les stations Musée-d'Orsay et Saint-Michel (29 blessés). Assumant la paternité de la vague d'attentats, Bensaïd minimise son rôle en désignant un autre Algérien de vingt-huit ans, Ali Touchent, étudiant en France depuis la fin des années 80, en fuite jusqu'à présent.
Soupçonné d'avoir financé les opérations, le responsable d'Al Ansar à Londres, Rachid Ramda, avec lequel Bensaïd était en contact régulier, a été, lui, arrêté en Angleterre afin d'être extradé vers Paris.
Le noyau actif ayant commis la série d'actions terroristes, dont la plus terrible eut lieu le 25 juillet dans le RER Saint-Michel (huit morts), est hors d'état de nuire. Mais les ingrédients de ce terrorisme d'un genre inédit exploitant la colère et la délinquance des banlieues françaises au service de l'islamisme radical en Algérie demeurent lourds de futurs attentats.
ERICH INCIYAN
Le Monde du 3 janvier 1996
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