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Article de presse: Un système totalitaire frappé d'érosion

Publié le 22/02/2012

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19 février 1997 - En dix-sept ans de règne, Deng Xiaoping a fait de la Chine une espèce hybride, inépuisable source de perplexité pour les China watchers les plus avertis. Ce " capitalisme rouge " qui cherche à emprunter à l'économie de marché son efficacité tout en conservant du communisme son armature coercitive est-il viable à terme ? Un pays peut-il durablement ouvrir son économie sans déverrouiller son système politique ? Au lendemain de son retour en grâce, en 1977, alors que la Chine s'arrachait à peine du traumatisme de la révolution culturelle, Deng n'a pas tardé à se heurter à ce dilemme. Pourtant il n'a eu de cesse de marier l'eau et le feu, de réhabiliter le profit tout en réprimant les aspirations démocratiques. Bref, de brider des forces qu'il a lui-même libérées. Il a certes tenu le cap, mais au prix d'un parcours tortueux dont l'issue reste incertaine pour ses héritiers. Ces dix-sept années de " dengisme " ont vu se déchaîner, derrière les lourdes façades de la résidence de Zhongnan Hai, le siège du pouvoir, d'incessantes querelles de factions entre réformistes et conservateurs. Le massacre de Tiananmen, en juin 1989, a été la manifestation paroxystique de cette contradiction sur laquelle l'expérience de Deng n'en finit pas de buter. Fin tacticien, le Petit Timonier est parvenu, au bout du compte, à se poser en centriste, jouant alternativement les uns contre les autres. L'histoire de ces années-là se lit finalement comme la chronique d'un jeu de bascule : l'oscillation de la réforme à la contre-réforme a été marquée d'une régularité de métronome. Tout commence dans l'euphorie du IIIe plénum du XIe comité central du parti, en décembre 1978, qui voit triompher le courant pragmatiste de Deng au détriment de Hua Guofeng, le falot successeur désigné de Mao Zedong, décédé deux ans plus tôt. C'est le véritable début de l'ère postmaoïste. Mais, déjà, l'ambiguïté de la démarche de Deng est perceptible. Dans son offensive visant à marginaliser Hua Guofeng, il joue habilement de la rue où s'active, durant l'hiver 1978-1979, un mouvement démocratique s'exprimant à travers des dazibaos (le " mur de la démocratie "). Deng laisse monter ces clameurs puis, une fois sa victoire de décembre 1978 acquise, se retourne contre un mouvement devenu subitement bien encombrant. L'illusion se dissipe brutalement. C'est que le camp antimaoïste qui l'a porté au pouvoir est fragile. On y trouve d'anciens collaborateurs de Zhou Enlai et des vétérans réhabilités, tel l'économiste conservateur Chen Yun, qui sont loin de partager l'audace réformatrice des proches de Deng et qui, déjà, s'inquiètent des premiers dérapages économiques. Soucieux d'éviter toute embardée libérale susceptible de lézarder cette coalition, Deng n'hésite pas à offrir des gages aux plus orthodoxes de ses alliés, quitte à brouiller son image de rénovateur. C'est le prix à payer à la consolidation de son pouvoir. Et de fait, il avance ses pions. En juillet 1981, il achève l'élimination du clan Hua Guofeng et propulse deux de ses fidèles aux plus hautes fonctions : Hu Yaobang au secrétariat général du PCC, et Zhao Ziyang au poste de premier ministre. Dans le même temps, il s'efforce de légitimer sa nouvelle emprise politique par une révision des dogmes qui passe par une " démaoïsation " partielle. L'acte fondateur de ce " dengisme " idéologique est la résolution de juin 1981 du comité central sur " quelques questions de l'histoire du PCC ". Il ressort de ce texte que Mao a commis des erreurs à partir du Grand Bond en avant (1958) et que, surtout, la révolution culturelle fut " une erreur généralisée et prolongée ". La nouvelle Constitution de 1982, qui cherche à renforcer l'Etat face au parti et assigne à la Chine l'objectif de la " modernisation socialiste ", s'inscrit dans cette grande toilette doctrinale. Le réformisme n'a pas pour autant la partie gagnée. En remettant au goût du jour des thèmes conservateurs, l'année 1983 illustre bien l'ambivalence permanente des nouveaux maîtres de Pékin. Une vaste campagne contre la criminalité qui se serait soldée par 30 000 exécutions se prolonge par une offensive contre la " pollution spirituelle ", de tonalité néomaoïste, qui conduit la police à traquer les perversions occidentales que sont le pantalon à pattes d'éléphant et les cheveux longs. Mais ce refroidissement idéologique est de courte durée car l'Occident commence à s'inquiéter. L'année suivante, le fléau de la balance penche à nouveau du côté de la réforme : Deng étend la libéralisation de l'agriculture à l'industrie et ouvre quatorze villes côtières sur l'étranger. Ainsi Deng en est-il réduit à gouverner par à-coups, tant les tensions provoquées par ses choix s'exaspèrent. Quand les effets pervers de l'ouverture, surchauffe, inflation, corruption, deviennent trop criants, il est contraint de céder aux sollicitations des partisans d'une replanification de l'économie. Et pour peu que le relâchement des disciplines collectives stimule les revendications démocratiques, le coup d'arrêt est brutal. Entre 1984 et 1989, ce scénario s'est produit à deux reprises. Il y a d'abord la crise de 1987, qui conclut les plus fastes années de la réforme (1984-1986). En marge de la généralisation progressive des mécanismes de marché, Hu Yaobang, l'entreprenant secrétaire général du PCC, avait esquissé les grandes lignes d'une réforme politique, proposant notamment une déconcentration des pouvoirs, la mise en place d'une véritable fonction publique et l'amélioration du système légal. Le débat autour de ce projet avait délié les langues et il flottait alors sur le pays comme un parfum de " cent fleurs ", certains intellectuels n'hésitant pas même à s'attaquer à l'omnipotence du PCC. C'en était décidément trop pour les conservateurs qui, tirant parti des manifestations étudiantes qui se multipliaient fin 1986, obtinrent la tête de l'audacieux Hu Yaobang. Deng céda sous la poussée orthodoxe. Là encore, cette nouvelle période de restauration (mise au pas du parti, de la presse, des universités...) ne dura pas. En choisissant de remplacer Hu Yaobang par un second " joker " libéral, Zhao Ziyang, jusqu'alors chef du gouvernement, Deng signifia clairement qu'il entendait conserver intactes les chances de la réforme. Zhao Ziyang prolongea donc les efforts de son prédécesseur, notamment la tentative d'assouplir l'emprise du parti sur l'Etat et la société, mais il échoua quasiment dans les mêmes conditions. Flanqué du très archaïque Li Peng, nommé premier ministre au lendemain de la crise de 1987, il restait en effet sous haute surveillance orthodoxe. Surchauffe économique en 1988 et flambée des campus au printemps de 1989 précipitèrent les événements. Le camp conservateur reprit l'offensive jusqu'à ordonner la répression sanglante des manifestations de Tiananmen qui défiaient chaque jour davantage un pouvoir déconsidéré. Deng Xiaoping sacrifia une nouvelle fois son dauphin naturel et laissa s'abattre sur le pays une chappe de plomb qui semblait annoncer le retour à l'ère glaciaire. Mais quatre ans plus tard, la machine à purger s'étant essoufflée, on reparla à nouveau de réformes en haut lieu. Au bout du compte, que reste-t-il de cette évolution en zigzags ? Si l'embryon d'Etat de droit auquel songeaient Hu Yaobang et Zhao Ziyang en reste au stade du projet, il est incontestable que le visage du communisme chinois a été sensiblement remodelé : l'idéologie marxiste-léniniste tend à s'effacer au profit du nationalisme et du confucianisme; la direction du parti s'est rajeunie et recrute davantage chez les élites diplômées urbaines; l'armée, qui s'est professionnalisée tout en se lançant dans les affaires, voit ses liens distendus avec le parti; enfin, les bureaucraties régionales notamment celles des provinces côtières s'affirment davantage au point de tenir tête au pouvoir central. En somme, la société offre de moins en moins prise à des outils totalitaires devenus obsolètes. Les héritiers de Deng sauront-ils en tirer les conséquences ? FREDERIC BOBIN Le Monde du 21 février 1997

« décidément trop pour les conservateurs qui, tirant parti des manifestations étudiantes qui se multipliaient fin 1986, obtinrent la têtede l'audacieux Hu Yaobang.

Deng céda sous la poussée orthodoxe. Là encore, cette nouvelle période de restauration (mise au pas du parti, de la presse, des universités...) ne dura pas.

Enchoisissant de remplacer Hu Yaobang par un second " joker " libéral, Zhao Ziyang, jusqu'alors chef du gouvernement, Dengsignifia clairement qu'il entendait conserver intactes les chances de la réforme.

Zhao Ziyang prolongea donc les efforts de sonprédécesseur, notamment la tentative d'assouplir l'emprise du parti sur l'Etat et la société, mais il échoua quasiment dans lesmêmes conditions.

Flanqué du très archaïque Li Peng, nommé premier ministre au lendemain de la crise de 1987, il restait en effetsous haute surveillance orthodoxe. Surchauffe économique en 1988 et flambée des campus au printemps de 1989 précipitèrent les événements.

Le campconservateur reprit l'offensive jusqu'à ordonner la répression sanglante des manifestations de Tiananmen qui défiaient chaque jourdavantage un pouvoir déconsidéré.

Deng Xiaoping sacrifia une nouvelle fois son dauphin naturel et laissa s'abattre sur le pays unechappe de plomb qui semblait annoncer le retour à l'ère glaciaire.

Mais quatre ans plus tard, la machine à purger s'étantessoufflée, on reparla à nouveau de réformes en haut lieu. Au bout du compte, que reste-t-il de cette évolution en zigzags ? Si l'embryon d'Etat de droit auquel songeaient Hu Yaobang etZhao Ziyang en reste au stade du projet, il est incontestable que le visage du communisme chinois a été sensiblement remodelé :l'idéologie marxiste-léniniste tend à s'effacer au profit du nationalisme et du confucianisme; la direction du parti s'est rajeunie etrecrute davantage chez les élites diplômées urbaines; l'armée, qui s'est professionnalisée tout en se lançant dans les affaires, voitses liens distendus avec le parti; enfin, les bureaucraties régionales notamment celles des provinces côtières s'affirment davantageau point de tenir tête au pouvoir central.

En somme, la société offre de moins en moins prise à des outils totalitaires devenusobsolètes.

Les héritiers de Deng sauront-ils en tirer les conséquences ? FREDERIC BOBIN Le Monde du 21 février 1997. »

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