Article de presse: Un plan ambitieux de refonte du système de santé
Publié le 22/02/2012
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15 novembre 1995 - Le mot n'est sans doute pas trop fort : Alain Juppé a présenté, mercredi 15 novembre, devant l'Assemblée nationale, une véritable " révolution " du système français de Sécurité sociale. Cinquante ans après sa création en 1945, vingt-huit ans après les ordonnances de 1967 qui en avaient changé le mode de fonctionnement, le premier ministre introduit des réformes que ses prédécesseurs n'avaient pas, selon lui, " osé entreprendre depuis trente ans ". Qu'on le lise sous l'angle institutionnel, économique, social ou politique, le " plan Juppé " marque un tournant.
Le recours à une révision constitutionnelle et les violentes protestations des partisans du statu quo (Marc Blondel, secrétaire général de FO, a accusé l'Etat de faire " main basse sur la Sécu " ) suffisent pour s'en convaincre : il s'agit bien d'une redistribution des prérogatives entre un Etat qui gagne en puissance, un Parlement qui aura désormais un pouvoir de décision et des partenaires sociaux qui disposeront d'une liberté de gestion placée sous haute surveillance. La réforme de ce secteur est essentielle pour l'économie, puisque les régimes de Sécurité sociale représentent une dépense d'environ 1 800 milliards de francs par an.
Après des années de débats, où des parlementaires de plus en plus nombreux réclamaient un pouvoir de décision sur la Sécurité sociale, un gouvernement se décide à franchir le pas. M. Blondel, qui se flatte d'avoir l'oreille du chef de l'Etat, n'a donc pas été entendu sur ce point. Et même si la mesure peut sembler symbolique, FO n'aura plus la haute main sur la nomination des directeurs de caisses, notamment au sein de l'assurance-maladie.
Cette emprise plus grande du pouvoir politique sur la " Sécu " ne sonne pas nécessairement la fin d'une gestion paritaire elle pourrait même lui donner une seconde chance , mais il est clair qu'elle va se traduire par un renforcement, au sein de l'assurance-maladie, du pouvoir du patronat, garant d'une rigueur de gestion selon le gouvernement.
Cette redistribution des pouvoirs se double de l'introduction de la rationalité économique dans un système qui en était dépourvu. Avec le vote par le Parlement d'un taux annuel d'évolution des dépenses sociales, notamment pour l'assurance-maladie, on quitte l'époque où les caisses remboursaient à guichet ouvert pour entrer dans un système contractuel où les professionnels de santé libéraux, les hôpitaux, l'industrie pharmaceutique et les assurés vont devoir rendre des comptes. Sur ce point, M. Juppé est resté sourd aux mises en garde des groupes de pression médicaux.
Le plan Juppé est-il, pour autant, socialement juste ? Les efforts demandés aux Français sont, en apparence, équitablement répartis, même si les mesures annoncées doivent entraîner, selon Matignon, une perte de pouvoir d'achat de l'ordre de 0,8 % pour les ménages en 1996. Ce sont certaines familles modestes ou nombreuses, en raison du gel des prestations familiales en 1996, et les retraités modestes, soumis à deux hausses successives de 1,2 point de leur cotisation d'assurance-maladie en 1996 et 1997, qui risquent d'être les plus pénalisés.
Restent les conséquences économiques du plan. L'augmentation, même limitée, des prélèvements, conjuguée au gel des prestations familiales et aux freins mis à l'accès au système de soins, risque d'avoir un léger effet récessif, même si les Français puisent dans une épargne qui a atteint des niveaux très élevés pour compenser leur perte de pouvoir d'achat.
Oser la contrainte budgétaire
Restent, aussi, plusieurs interrogations, en particulier sur la création d'un " régime universel d'assurance-maladie ". Elle suppose, à terme, un alignement sur le niveau le plus élevé ? des cotisations et des prestations, qui romprait avec la culture des particularismes socio-professionnels prévalant depuis 1945. Les interrogations portent aussi sur l'alignement de la durée de cotisation retraite des fonctionnaires sur celle des salariés du privé. La question essentielle concerne la réforme des prélèvements obligatoires et, notamment, le transfert progressif d'une partie des cotisations maladie sur le CSG, qui tendrait, selon M. Juppé, à " en faire une cotisation sociale à part entière ". Ce serait cohérent avec la création d'un " régime universel " d'assurance-maladie.
Restent, encore, les promesses de Jacques Chirac. Qui aurait imaginé, il y a six mois, que le président de la République engagerait le système de soins dans une voie qu'il n'avait cessé de condamner durant sa campagne ? M. Juppé a beau dire que la maîtrise médicalisée des dépenses reposant sur des normes de bonne pratique " restera la règle ", ses propos n'ont trompé personne, surtout pas les syndicats médicaux. Le premier ministre n'ose pas l'avouer, mais c'est bien par la contrainte budgétaire les dépenses d'assurance-maladie ne devront pas progresser de plus de 2,1 % en 1996 que l'on parviendra à restructurer le parc hospitalier et à modifier les comportements des médecins et des assurés.
Reste, enfin, la polémique qui oppose depuis des mois Alain Juppé à Edouard Balladur sur la gestion des finances publiques. En annonçant une réforme dont l'ampleur a surpris l'ensemble de la classe politique, et en reportant au 1er janvier 1997 l'entrée en vigueur de la prestation d'autonomie pour les 400 000 personnes qui devaient en bénéficier dès 1996, M. Juppé prend un risque politique. Il donne aussi une leçon de courage et de rigueur à ses détracteurs de la majorité. Par un brutal renversement des rôles, ce sont aujourd'hui MM. Chirac et Juppé qui apparaissent rigoureux, et M. Balladur laxiste pour les réformes qu'il n'a pas faites entre 1993 et 1995. Comme si le courage et la rigueur étaient passés, en l'espace de quelques heures, du camp balladurien au camp chiraquien !
JEAN-MICHEL BEZAT
Le Monde du 17 novembre 1995
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