Article de presse: U Thant et l'affaiblissement des Nations unies
Publié le 22/02/2012
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22 décembre 1971 - M. Thant avait accédé à ses fonctions dans une période extrêmement difficile pour l'Organisation mondiale. Il fallait remplacer M. Dag Hammarskjöld, qui venait de disparaître dans un accident d'avion. Les derniers mois de la vie de l'ancien secrétaire général avaient été assombris par sa querelle avec l'Union soviétique, et il était clair que, dorénavant, Moscou était décidé à ne pas laisser accéder à ce poste un personnage qui ne lui offrirait pas des garanties suffisantes de neutralité.
Seul un représentant du monde afro-asiatique pouvait trouver grâce à ses yeux. Or, dans ce groupe, U Thant représentait un des rares pays non engagés et possédait personnellement des qualités de modération exceptionnelles.
L'héritage de M. Hammarskjöld était lourd : l'Organisation mondiale était engagée dans une guerre au Congo sans avoir, à cette fin, les ressources nécessaires en troupes, et en argent elle était menacée d'une faillite financière. Dag Hammarskjöld, qui se considérait comme un arbitre de la scène mondiale, était entré en querelle ouverte avec plusieurs gouvernements puissants, dont celui de l'URSS, et avec le général de Gaulle.
M. Thant décida d'emblée de mettre à profit l'expérience de son prédécesseur : ne jamais entrer en conflit ouvert avec un pays important membre de l'Organisation ni avec la majorité de cette dernière, et, surtout, ne pas commettre ce qui avait été considéré comme une des principales erreurs de Dag Hammarskjöld : surestimer les possibilités du secrétaire général et de l'Organisation qu'il présidait.
Cette tactique s'est révélée payante : U Thant réussit d'abord à dégager les Nations unies de leur participation dans la guerre civile au Congo. Il eut également la main heureuse en affirmant à plusieurs reprises son indépendance vis-à-vis des deux Super-Grands : les Etats-Unis et l'URSS. Sa condamnation répétée de l'intervention américaine au Vietnam l'a rendu assez impopulaire aux Etats-Unis, mais lui a servi ailleurs.
Lors d'une visite à Moscou, il critiqua aussi l'attitude soviétique envers l'intervention des Nations unies au Congo, ce qui était sans précédent et lui valut un regain de popularité à l'Occident. Il pouvait se permettre cette attitude parce qu'il se sentait fort de l'appui du groupe afro-asiatique, qui constituait au début des années 60 une force redoutable.
Cependant, la bonne passe d'U Thant n'a pas duré longtemps. Il ne sut pas prévenir une érosion assez rapide du rôle et du prestige de l'ONU.
Sous Dag Hammarskjöld, une résolution adoptée par le Conseil de sécurité, ou par l'Assemblée générale, pouvait avoir une grande influence sur la situation dans le monde. Dix ans plus tard, une résolution adoptée par la majorité des membres des Nations unies est immédiatement classée dans les archives de l'Organisation sans prétendre modifier quoi que ce soit.
Il serait injuste d'en attribuer toute la responsabilité à U Thant.
Plusieurs faits sont entrés en ligne de compte : d'abord l'influence du groupe afro-asiatique, qui, numériquement, est majoritaire aux Nations unies, a grandement diminué. Ensuite, les interventions répétées de l'Organisation contre le régime d'apartheid en République sud-africaine, le régime raciste en Rhodésie du Sud, et le colonialisme portugais, toutes bien justifiées du point de vue tant moral que légal, ont, en fin de compte, contribué à cette érosion du prestige des Nations unies, puisque plusieurs dizaines de résolutions très fermes, allant jusqu'à l'imposition de sanctions économiques, se sont avérées sans aucune portée réelle.
U Thant subit personnellement les conséquences de cet effritement et il commit lui-même pas mal d'erreurs : la principale a consisté sans doute dans son désir de toujours représenter la volonté de la majorité des pays membres et de se tenir à distance égale des grandes puissances. U Thant n'a pas compris qu'à certains moments un secrétaire général des Nations unies devait abandonner ces considérations quotidiennes et prendre des positions morales, même si cela risquait de déplaire à un groupe de pays.
On a souvent dit que, quoique paralysées politiquement, les Nations unies avaient un grand rôle à jouer dans la lutte contre le sous-développement, les épidémies, l'analphabétisme, la pollution, etc. Il est vrai que, ces dernières années, le nombre des agences spécialisées placées sous l'autorité de l'Organisation s'est grandement accru, ainsi que celui des experts envoyés dans différents pays. A l'occasion de la première décennie du développement, des conférences sur le commerce mondial se sont tenues à Genève et à New-Delhi et ont réuni plusieurs milliers de délégués et d'experts.
Mais les résultats de tout cela ont été extrêmement minces.
U Thant qui, au début de son mandat, profitait d'un climat généralement favorable, a donc dû subir les conséquences d'une époque où l'écart entre les nations, au lieu de diminuer, semble devenir de plus en plus grand.
PHILIPPE BEN
Le Monde du 2-3 janvier 1972
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