Article de presse: Terrorisme noir en Italie
Publié le 17/01/2022
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12 décembre 1969 - Autour des quatorze cercueils alignés lundi dans la nef de la cathédrale de Milan, un peuple entier, uni dans le deuil et la stupeur, s'interroge sur le sens et les conséquences d'un acte qui, il y a quelques jours, paraissait encore inconcevable. De sang-froid, une équipe a organisé à la minute près une véritable tuerie à des fins bien évidemment politiques, mais sans qu'aucun responsable ou groupuscule, fût-ce en plaidant les circonstances atténuantes, ait accepté de signer ou approuver le forfait.
Premier pays à connaître une telle expérience, l'Italie avait été, depuis cinq ans, le théâtre d'attentats relativement mineurs. Les protestataires sud-tyroliens, à quelques exceptions près, visaient surtout des objectifs " techniques ". Les groupuscules gauchistes ou néo-fascistes qui leur avaient succédé utilisaient généralement des pétards inoffensifs pour rappeler avec fracas leur existence et leurs prétentions. Les auteurs de vingt-huit attentats " rouges " et de vingt-trois " noirs " avaient été arrêtés, selon les autorités, depuis le 1er octobre 1968. L'opinion s'était habituée à la façon, pourtant bien inquiétante, dont ils exprimaient leur dissentiment. Elle constate aujourd'hui avec horreur où mènent de telles méthodes.
L'Italie à feu et à sang qui révèlent les attentats de Milan et de Rome ne correspond pourtant pas à trois mois d'agitation sociale vigoureuse sans doute, mais où le seul incident grave avait été la mort d'un policier. Des cortèges immenses, des manifestations de masse, des discours enflammés, s'étaient succédé, mais les centrales syndicales semblaient avoir repris le contrôle des éléments extrémistes qui menaçaient de les déborder. Le Parti communiste, bien éloigné d'amplifier l'agitation et de lui donner une forme insurrectionnelle, s'était comporté prudemment et, selon la Commission européenne elle-même, l'économie du pays était en mesure de supporter les charges résultant des conventions collectives signées au terme de ces semaines de négociations houleuses.
La classe politique italienne, recluse dans le labyrinthe de ses oppositions de personnes et d'un verbalisme irritant, s'est lentement résignée à un " vide du pouvoir " alarmant. Les attentats de vendredi reposent, en effet, de façon dramatique le problème-clé italien : celui de la confiance populaire dans les capacités des partis et des politiciens. Au-delà de l'alternative simpliste, " les Soviets ou les colonels ? ", posée par certains commentateurs de la crise, la réponse à cette question commande l'avenir de la démocrate libérale à Rome.
Le Monde du 16 décembre 1959
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