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Article de presse: Tel père, tel fils...

Publié le 17/01/2022

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16 janvier 1979 - " Le chah est un brillant mais dangereux mégalomane dont le psychisme a été profondément affecté par un père cruel, par le rôle de pion que lui attribuèrent les Alliés, par la honte de son ascendance roturière ", soutenait un rapport secret de la CIA, dont la teneur a été révélée par la presse américaine en juillet 1975. Les enquêteurs achevaient le portrait de l'ancien souverain iranien en indiquant, entre autres, qu'il souffrait d'une " peur obsessionnelle de l'impuissance " et d'un " énorme complexe d'infériorité ". L'équipe de psychanalystes et de psychologues de la CIA n'a sans doute pas eu trop de mal à établir ce diagnostic. " Un seul regard de mon père suffisait pour que je rentre sous terre ", écrivait Mohamed Reza dans ses Mémoires. Des photos jaunies des années 30 montrent un garçon malingre aux yeux tristes, les épaules rentrées, face à un homme de près de 2 mètres, massif, la moustache agressive et le regard foudroyant. Reza Chah était, en effet, une force de la nature. L'ancien ânier, miséreux et illettré, devenu officier d'une brigade de Cosaques avant de s'emparer, à la tête de ses troupes, du pouvoir des Kadjars, avait su fonder, à la force du poignet, une nouvelle dynastie, la sienne, celle des Pahlavi. Pour forger le nouvel Iran, il n'hésitait pas à faire tomber de nombreuses têtes; coléreux et brutal, il alla jusqu'à défenestrer un ministre qui tentait de se justifier. Malgré sa tendresse sous-jacente, il terrifiait littéralement le jeune Mohamed. Reza Chah voulait façonner un fils à son image: " fort " et " viril ". Il lui fit mener une vie spartiate. En dépit d'une santé fragile, Mohamed Reza reçut une formation militaire-il est " colonel " dans l'armée impériale à l'âge de douze ans-et pratiqua tous les sports violents, sauf le ski, jugé trop périlleux par son père. Celui-ci, dont la vie sentimentale est tumultueuse, interdit encore à l'adolescent de dépenser son énergie de cette façon. Sous la férule de ce père despotique et auprès d'une soeur jumelle à la personnalité envahissante-dont il évitera toujours de parler-ainsi que d'une mère autoritaire et dévote, Mohamed Reza se réfugia dans le mysticisme, trait essentiel de son caractère, qui compensera son manque de confiance en lui. Trois " apparitions " dans son enfance, deux attentats auxquels il échappe " miraculeusement " lui font croire qu'il est investi d'une " mission divine ". Dieu, qui est son " seul ami ", l'aurait rendu, à l'en croire, invulnérable. Cette conviction contribue à le rendre impitoyable à l'égard de ses adversaires, à affermir sa patience quand, dans les premières années de son règne, il essuie ce qu'il ressent comme étant de nouvelles humiliations. En 1941, à son père, parti en exil, se substituent de nouveaux tuteurs, les puissances alliées, en guerre contre l'Axe, qui lui dictent sa conduite. Les forces d'occupation, britanniques et soviétiques, occupent l'Iran, dont le gouvernement n'est central que de nom. Kurdes et Azerbaïdjanais instaurent leurs propres républiques autonomes; les politiciens nationalistes, les bazaris, plutôt républicains, méprisent ou ignorent le souverain; les mollahs, qui ont des comptes à régler avec son père, le détestent; le Parti communiste Toudeh, alors très puissant, prépare au grand jour la relève d'un roi qui a toutes les apparences d'une potiche. Sa fuite, en août 1953, sous la pression populaire, tout autant que son retour à Téhéran trois jours plus tard, grâce à un coup d'Etat organisé et financé par la CIA, ne contribuent pas à affermir son assurance. Mais l'épisode Mossadegh marque pour lui un tournant psychologique capital. La fin d'un rêve Mohamed Reza a désormais les mains libres pour se venger de toutes les avanies du passé. Son père est mort. L'Angleterre et les Etats-Unis, qui lui sont reconnaissants d'avoir sauvé le pétrole " occidental " de la " subversion ", le courtisent et l'incitent à étouffer toute contestation. La phase sanglante de son règne s'ouvre par l'exécution de centaines d'officiers, pour la plupart communistes. Il fait quadriller la population par plusieurs dizaines de milliers d'agents secrets de la SAVAK, qu'il investit du pouvoir discrétionnaire d'enlever, d'incarcérer, de torturer, de mutiler, d'assassiner les opposants. En un quart de siècle, quelque cinq cent mille personnes ont séjourné dans les geôles du chah, plusieurs dizaines de milliers ont été tuées par balles lors de la dispersion de manifestations par les forces de l'ordre. Mohamed Reza a été, à cet égard du moins, plus " fort " et " viril " que son père. Il a manifesté aussi davantage d'habileté politique, de ruse et de démagogie. Les propos qu'il nous tint, en juillet 1959, et qui annonçaient la politique qu'il allait appliquer à partir de 1961, étaient conçus pour convaincre l'observateur le plus sceptique. Avec une fougue qui avait toutes les apparences de la sincérité, il fustigeait les " féodaux " et la " réaction noire " (le clergé), parlait comme un authentique socialiste de la " réforme agraire ", de l' " association des ouvriers à la propriété de l'entreprise ", de la " libération de la femme ". La " révolution " qu'il déclencherait serait, bien entendu, " blanche ", puisqu'elle s'accomplirait sans effusion de sang. Il réussit même, on ne sait trop comment, à faire confier à sa soeur, la princesse Achraf, la présidence de la Commission des droits de l'homme des Nations unies. Tout lui souriait alors. Une bonne partie de la presse occidentale, surtout outre-Atlantique, l'adulait dans des termes qui frisaient le lyrisme. L'Union soviétique le recevait avec des égards particuliers. Les Etats-Unis-grâce, en particulier, au président Nixon et à Henry Kissinger-lui avaient ouvert les portes de leurs arsenaux, où, depuis mai 1972, il pouvait acheter de l'armement de son choix en quantité illimitée, privilège " sans précédent " dans les annales américaines, selon une commission d'enquête sénatoriale. Grands industriels, banquiers, brasseurs d'affaires venus du monde entier, se bousculaient à Téhéran pour recueillir les miettes de la manne pétrolière, qui décupla entre 1970 et 1974. La fortune s'ajoutant au pouvoir absolu accentuait au fil des années les tendances à la " mégalomanie " que signalait le rapport de la CIA. Le souverain proclama, contre toute logique, que l'Iran deviendrait avant 1980 la " cinquième puissance militaire du monde ", promit à son peuple la " grande civilisation " tout en dénigrant la " décadence " de l'Occident. Il se comparaît volontiers à Darius, à Cyrus le Grand, au général de Gaulle. Le chahinchah (roi des rois) n'entendait pas sonner l'heure des échéances. 1976: la mévente du pétrole, les difficultés de trésorerie, déclenchent le mécanisme de la récession sans pour autant freiner une inflation galopante. Le petit peuple, les classes moyennes, dont le niveau de vie est en baisse, supportent de moins en moins un régime oppressif qui engendre la misère. L'aryamehr (lumière des aryens) ne voit pas non plus se dessiner les lézardes sur la façade en trompe-l'oeil de son empire, ni la révolution qui pointait à l'horizon. Le soulèvement populaire de 1978-1979 le traumatise. N'était-il pas le " père de la nation "? Il " s'infantilise " alors, selon ses proches; revit les terreurs de ses jeunes années; perd son maintien altier, ses manières arrogantes, son regard volontaire et froid. L'ambassadeur américain s'étonne de la " pusillanimité " du souverain, qui l'appelle à toute heure pour lui demander ce qu'il devrait faire pour mettre un terme à l'insurrection. Cette indécision, fruit de son désarroi, achèvera de le perdre. Mohamed Reza quitte l'Iran le 16 janvier 1979, homme brisé et désespérément seul, tel son père, trente-sept ans plus tôt... ERIC ROULEAU Le Monde du 29 juillet 1980

« le lyrisme.

L'Union soviétique le recevait avec des égards particuliers. Les Etats-Unis-grâce, en particulier, au président Nixon et à Henry Kissinger-lui avaient ouvert les portes de leurs arsenaux,où, depuis mai 1972, il pouvait acheter de l'armement de son choix en quantité illimitée, privilège " sans précédent " dans lesannales américaines, selon une commission d'enquête sénatoriale.

Grands industriels, banquiers, brasseurs d'affaires venus dumonde entier, se bousculaient à Téhéran pour recueillir les miettes de la manne pétrolière, qui décupla entre 1970 et 1974. La fortune s'ajoutant au pouvoir absolu accentuait au fil des années les tendances à la " mégalomanie " que signalait le rapportde la CIA. Le souverain proclama, contre toute logique, que l'Iran deviendrait avant 1980 la " cinquième puissance militaire du monde ",promit à son peuple la " grande civilisation " tout en dénigrant la " décadence " de l'Occident.

Il se comparaît volontiers à Darius,à Cyrus le Grand, au général de Gaulle. Le chahinchah (roi des rois) n'entendait pas sonner l'heure des échéances.

1976: la mévente du pétrole, les difficultés detrésorerie, déclenchent le mécanisme de la récession sans pour autant freiner une inflation galopante.

Le petit peuple, les classesmoyennes, dont le niveau de vie est en baisse, supportent de moins en moins un régime oppressif qui engendre la misère.L'aryamehr (lumière des aryens) ne voit pas non plus se dessiner les lézardes sur la façade en trompe-l'oeil de son empire, ni larévolution qui pointait à l'horizon. Le soulèvement populaire de 1978-1979 le traumatise.

N'était-il pas le " père de la nation "? Il " s'infantilise " alors, selon sesproches; revit les terreurs de ses jeunes années; perd son maintien altier, ses manières arrogantes, son regard volontaire et froid.L'ambassadeur américain s'étonne de la " pusillanimité " du souverain, qui l'appelle à toute heure pour lui demander ce qu'ildevrait faire pour mettre un terme à l'insurrection.

Cette indécision, fruit de son désarroi, achèvera de le perdre. Mohamed Reza quitte l'Iran le 16 janvier 1979, homme brisé et désespérément seul, tel son père, trente-sept ans plus tôt... ERIC ROULEAU Le Monde du 29 juillet 1980. »

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