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Article de presse: Staline, le plus aimé et le plus détesté des hommes

Publié le 17/01/2022

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staline
2 février 1943 - Cet humble fils d'un cordonnier géorgien, devenu le chef d'un immense empire, a suscité les plus violentes passions. Il a été à la fois le plus adoré et le plus détesté des hommes. Le plus adoré par les millions de communistes russes et étrangers, qui voient en lui un être exceptionnel, le plus profond théoricien du marxisme, le guide et le libérateur de l'humanité souffrante. Le plus détesté par les conservateurs et les capitalistes ennemis des bouleversements sociaux, mais aussi par tous les socialistes adversaires des méthodes totalitaires, et pour lesquels la réalisation du socialisme doit se faire dans la liberté. Staline a exercé un pouvoir plus despotique que les souverains autocrates de l'ancienne Russie. En s'enfermant lui-même dans le vieux Kremlin de Moscou, qui fut pendant tant de siècles le siège du pouvoir spirituel et temporel des tsars, le révolutionnaire marxiste des temps modernes s'est présenté beaucoup moins comme le successeur de Lénine que comme le continuateur de l'oeuvre d'Ivan le Terrible et de Pierre le Grand, les grands " tsars réformateurs ". On ne pourra jamais compter le nombre des odes et des dithyrambes qui célèbrent ses mérites. A quoi ne l'ont pas comparé les poètes courtisans, surtout les bardes orientaux de l'URSS ? Au soleil, aux étoiles, à l'aigle des montagnes, aux plus hauts sommets du Pamir ! Ce culte de Staline repose d'ailleurs en grande partie sur des mensonges historiques. Il s'agissait de prouver que Staline était le disciple favori et l'héritier le plus digne de Lénine. Pour cela on n'hésita pas après la mort du fondateur du bolchevisme à réécrire les livres d'histoire et à rédiger une biographie officielle de Staline où l'on exagérait son rôle durant les années de la révolution et de la guerre civile. Né le 21 décembre 1879 dans un village de Géorgie voisin de Tiflis, Joseph Vissarionovitch Djougachvili fut surtout élevé par sa mère. La plus haute ambition de cette femme était d'en faire un prêtre, et de l'école du village elle l'envoya au séminaire orthodoxe de Tiflis. Mais le jeune garçon découvrit Darwin et devint athée. La révolte naturelle qui couvait dans sa génération contre le régime tsariste le poussa hors de l'Eglise. Dès 1897, à l'âge de dix-huit ans, il dirige un cercle marxiste, puis il se lie avec l'organisation social-démocrate illégale de Tiflis, fait de la propagande auprès des ouvriers. Il devient un révolutionnaire professionnel clandestin, et il le restera jusqu'à la chute de l'autocratie, vivant dangereusement sous les pseudonymes les plus divers : David, Koba, Néjéradzé, Tchijikov, Ivanovitch, enfin sous celui qui devait définitivement consacrer sa gloire : Staline. De 1900 à 1917 il ne cesse d'être poursuivi par la police, arrêté, condamné, emprisonné ou déporté en Sibérie. Il combat le tsarisme, mais aussi ceux qui dans les milieux révolutionnaires sont les adversaires du bolchevisme : les mencheviks, les socialistes révolutionnaires, les anarchistes. C'est en Finlande, en 1905, qu'il rencontre pour la première fois Lénine. Durant la grande bourrasque révolutionnaire provoquée par la guerre russo-japonaise, Staline est encore un obscur militant de province, presque inconnu à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Ce n'est qu'en 1911, au retour d'un exil dans le cercle polaire, qu'il " travaille " illégalement dans la capitale et devient membre du comité central du Parti bolchevik. On l'arrête une nouvelle fois en 1913, et il va passer quatre ans en Sibérie, dans le hameau perdu de Koureka, chassant le renard et le canard sauvage en attendant d'autres gibiers. Au second plan pendant la révolution La révolution victorieuse de mars 1917 le ramène en pleine guerre à Petrograd. Staline s'occupe de la Pravda, adopte les thèses de Lénine dans les discussions du parti, est admis au Politburo, dirige les travaux du VIe congrès, entre en octobre dans le " comité des sept " chargé de l'organisation de l'insurrection contre le gouvernement de Kerenski. Il n'est pourtant pas au premier plan dans les journées décisives d'octobre, et c'est à Lénine et à Trotski, alors étroitement associés, que sont dues la victoire et la prise du pouvoir par le bolchevisme. Quand finit la période du " communisme de guerre ", Staline devient en 1922 secrétaire général du comité central du parti. Evénement capital dans sa vie. Fonction purement bureaucratique en apparence, mais Staline saura l'exploiter à fond. Usant de ténacité et de ruse, il s'empare peu à peu de tout l' " appareil " du parti, installe ses amis aux postes-clés, élimine ses adversaires. C'est à partir de 1928 que commence vraiment l' " ère stalinienne ". Contre ceux qui attendaient le salut d'une révolution prolétarienne mondiale, contre ceux qui niaient la possibilité d'édifier le socialisme en un seul pays, Staline fait triompher son point de vue. Dans ses discours et ses écrits il précise la doctrine marxiste-léniniste. Il se présente comme le vrai disciple, comme le continuateur de l'oeuvre de Lénine, dont il a fait exposer la momie sur la place Rouge. Il élabore les plans quinquennaux qui, grâce à l'industrialisation et à la collectivisation agraire, vont transformer la vieille Russie agricole des moujiks en un puissant Etat industriel moderne. Il lui faut moins de vingt ans pour accomplir cette transfiguration. Ce pharaon moderne, estimant que la fin justifie les moyens, n'hésite pas à imposer les pires privations et une discipline de fer aux peuples soviétiques, car il faut que L'URSS, dont il est devenu le chef national, puisse le cas échéant tenir tête victorieusement aux pays capitalistes. L'épreuve suprême arrive en juin 1941. Staline, qui avait voulu l'éviter à tout prix et avait conclu le pacte monstrueux du bolchevisme et du fascisme en août 1939, va-t-il assister à l'écroulement de son édifice ? Il réussit à arrêter l'invasion et, après la bataille de Stalingrad, il remporte la victoire. C'est l'apothéose. On le proclame sauveur de la Russie et libérateur de l'Europe. Enfin, à partir de 1945, il exploite au maximum la carte de guerre et élargit le territoire de l'URSS à l'ouest comme à l'est, constituant sur toutes les frontières un solide glacis d'Etats satellites. On ne saurait nier la grandeur de l'oeuvre accomplie en peu d'années par Staline. Mais il faut convenir qu'il n'a eu aucun scrupule dans le choix des moyens. Il a versé le sang de ses rivaux avec la cruauté d'un despote oriental. Il a habilement exploité le sentiment patriotique et la foi religieuse des peuples soviétiques. Il a été un impitoyable réaliste, et la dictature du prolétariat avec lui a pris l'aspect d'une sorte de " fascisme rouge " fossoyeur de toutes les libertés humaines. On avait pu croire après la guerre que Staline assouplirait la dictature, qu'il amenderait la Constitution de 1936 dans un sens démocratique, qu'il chercherait un accord durable avec les démocraties alliées. Il n'en a rien été, et ses dernières années ont été marquées par un nouveau durcissement du régime qui s'est traduit à l'intérieur par un redressement marxiste et à l'extérieur par une reprise des hostilités à l'égard des puissances du " camp impérialiste ", comme au lendemain de la première guerre mondiale. ANDRE PIERRE Le Monde du 5 mars 1953

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