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Article de presse: Soekarno, le père de l'indépendance indonésienne

Publié le 22/02/2012

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16 mai 1956 - Lorsque Soekarno naquit le 6 juin 1901 à Surabaya, dans l'est de Java, Djakarta s'appelait Batavia, et les îles de la Sonde représentaient sur la carte des empires coloniaux le fabuleux et romantique prolongement asiatique des petits Pays-Bas. Mais l'archipel, quadrillé par l'administration et la police, sortait de son sommeil. Le père de Soekarno était javanais et musulman, maître d'école. Il avait des amis, et quels amis! Plus que sur les bancs de l'école, c'est à leur contact quotidien que le futur chef de l'Etat se forgea son destin. On y discutait de tout : de la libération nationale, de l'exemple japonais, des questions religieuses. Sans ces années passées au milieu d'un prodigieux bouillonnement d'idées, Soekarno n'aurait pas existé. Il eut la chance extraordinaire d'être élevé dans le berceau du nationalisme indonésien. Toujours est-il que la puissance tutélaire veillait déjà sur ce jeune étudiant, orateur-né, qui s'était tout de suite lié au sein de divers " clubs " à des nationalistes militants. Soekarno se lança alors dans la politique, à une époque à laquelle le petit PC indonésien déclenchait prématurément une révolte, vite écrasée (1927). La même année, il regroupait plusieurs mouvements, et fondait le Perserikatan Nasional Indonesia, le Parti national indonésien, ou PNI. Bientôt, sa renommée grandit : déjà on venait l'écouter parler du marhean-terme symbolique destiné à évoquer le sort des petits, des opprimés, des pauvres-et du marheanisme, sorte de nationalisme à tendance socialisante. C'en était trop pour les Hollandais : ce succès les gênait. En décembre 1929, Soekarno fut arrêté, condamné à quatre ans de détention après avoir, devant son juge, présenté une brillante défense de son patriotisme. Il fut finalement élargi en décembre 1931 : une foule vint saluer sa libération. Il prononça alors discours sur discours, les ponctuant du mot sacré merdeka (liberté). Mais son parti était divisé de l'intérieur et aussi de l'extérieur, en raison des actions hollandaises. Il publia un livre violemment nationaliste et fut à nouveau arrêté en août 1933. Exilé avec sa proche famille sur la petite île de Florès, puis à Sumatra, il fut réduit au silence, mais non à l'inaction intellectuelle, lisant énormément. Le temps de l'indépendance La Haye, cependant, ne faisait rien pour préparer le pays à l'indépendance. Quelques dizaines seulement d'Indonésiens étaient alors passés par les établissements d'enseignement supérieur les " indigènes " étaient cantonnés dans des postes de second ordre dans l'administration, la police et l'armée. Les régions mises en valeur l'étaient essentiellement au profit de la métropole. L'économie traditionnelle se trouvait de plus en plus déséquilibrée. Le grand tournant intervint en décembre 1941 avec le Blitzkrieg japonais frappant le Pacifique et l'Asie. L'occupation nippone coûta cher, très cher à l'archipel, accompagnée qu'elle était du pillage des matières premières et du travail forcé de la population. Mais, en même temps, le nouveau colonisateur libéra les nationalistes emprisonnés, forma l'embryon de l'armée indonésienne. Soekarno, devenu " collaborateur ", demeurait discrètement lié à des résistants, et, pouvant à nouveau parcourir les îles, prononçait des discours et préparait l'indépendance. Le 17 août 1945, deux jours après la capitulation japonaise, Soekarno amenait le drapeau hollandais et annonçait que son pays était désormais libre. Il commença alors à rendre fameux les cinq grands principes de son action, le Pantjasila (nationalisme, internationalisme, démocratie, bien-être social, croyance en un dieu), théorie vide de sens si aucun programme concret ne venait lui donner un début d'application. Le chef de l'Etat, le bung, le frère Karno, allait partir en quête d'un régime original capable de diriger une société dans laquelle aucune force capitaliste autochtone ni aucune grande classe de propriétaires fonciers n'existait, dans laquelle le prolétariat-rural essentiellement-demeurait inorganisé et somme toute non représenté, le pouvoir étant aux mains d'une classe civile et militaire confisquant l'Etat à son profit, trouvant naturel de parler de " socialisme ", mais demeurant divisée, son idéologie, nationaliste, petit-bourgeoise et aucunement révolutionnaire, reflétant ses hésitations, ses divisions, et en un mot son absence totale de véritable " projet " de développement et d'organisation du pays. Il fallut cependant attendre décembre 1949 avant d'arriver à une indépendance véritable. Les Hollandais refusaient la proclamation d'août 1945, tentaient de réoccuper le pays, lançaient des offensives, mais finalement durent plier devant la résistance intérieure et aussi devant les pressions internationales, celles de Washington notamment. Un important épisode prit place pendant ces années à Java : le 18 septembre 1948, en effet, les communistes, qui se réorganisaient, fomentèrent une révolte armée à Madium. Elle fut écrasée par une division d'élite-la Siliwangi,-qui allait jouer plus tard un grand rôle politique avec à sa tête un certain Nasution, alors colonel, et qui se fera souvent le porte-parole des intérêts d'une fraction militante de l'armée. Personne, en décembre 1949, ne contestait réellement le pouvoir de Soekarno, flanqué de Hatta à la vice-présidence. Une expérience de démocratie, apparemment copiée sur l'Occident, allait alors commencer dans un pays sans cadres, sans capitaux, affaibli, que son chef allait unifier par son écrasante personnalité et son système scolaire, diffusant à la fois une même idéologie nationaliste et une langue commune. Petit à petit, à l'occasion des crises gouvernementales, des tractations parlementaires, des rivalités entre clans politiques, entre factions militaires aussi (le 17 octobre 1952 Soekarno faillit être renversé par les officiers, parmi lesquels Nasution), le rôle du chef de l'Etat grandit. Il prit de plus en plus seul les véritables décisions, manoeuvrant entre les forces antagonistes et profitant de la remontée du PC à partir de 1951 pour créer un contrepoids aux forces de droite. Les communistes, dirigés par Aidit, avaient, en effet, choisi de collaborer avec le régime. Années d'immense prestige international culminant avec la conférence de Bandoung (avril 1955), marquées par une diplomatie d'abord orientée vers l'Ouest, mais refusant de cautionner les guerres d'Indochine et de Corée, et glissant progressivement vers un neutralisme flamboyant. Années marquées aussi par l'incapacité totale des dirigeants à faire face à la crise économique et financière croissante. Il est d'usage d'expliquer ce chaos par le dédain affiché de Soekarno pour ces questions. En fait, il paraît plus réaliste d'attribuer ce laisser-aller à une impossibilité pour les groupes dirigeants de forger un modèle politico-économique de développement. On le vit bien lorsque, la démocratie parlementaire ayant échoué, Soekarno en tira les conséquences et à partir de 1957 fit entrer Djakarta dans l'ère de la " démocratie dirigée ". Il rêvait d'appliquer à l'immense archipel des pratiques en usage dans les villages de Java : le musjawarath et le gotong-rojong, c'est-à-dire une méthode de gouvernement faite de palabres, de conciliabules, d'ajustement progressif des thèses en présence. Si aucun moyen terme ne peut être dégagé, le chef tranche. Ce retour aux sources, prenant en considération une authentique pratique populaire, ne pouvait, appliqué à cette échelle, que renforcer l'arbitraire du dirigeant, sans aucunement régler les problèmes réels de la nation. En fait, il camouflait-mal-les oppositions tranchées entre la gauche et cet autre pouvoir décisif qu'était l'armée. Bien vite, Soekarno gouverna à coups de slogans, de sigles résumant un programme vide, de harangues. JACQUES DECORNOY Le Monde du 23 juin 1970

« réorganisaient, fomentèrent une révolte armée à Madium.

Elle fut écrasée par une division d'élite-la Siliwangi,-qui allait jouer plustard un grand rôle politique avec à sa tête un certain Nasution, alors colonel, et qui se fera souvent le porte-parole des intérêtsd'une fraction militante de l'armée. Personne, en décembre 1949, ne contestait réellement le pouvoir de Soekarno, flanqué de Hatta à la vice-présidence.

Uneexpérience de démocratie, apparemment copiée sur l'Occident, allait alors commencer dans un pays sans cadres, sans capitaux,affaibli, que son chef allait unifier par son écrasante personnalité et son système scolaire, diffusant à la fois une même idéologienationaliste et une langue commune. Petit à petit, à l'occasion des crises gouvernementales, des tractations parlementaires, des rivalités entre clans politiques, entrefactions militaires aussi (le 17 octobre 1952 Soekarno faillit être renversé par les officiers, parmi lesquels Nasution), le rôle duchef de l'Etat grandit.

Il prit de plus en plus seul les véritables décisions, manoeuvrant entre les forces antagonistes et profitant dela remontée du PC à partir de 1951 pour créer un contrepoids aux forces de droite.

Les communistes, dirigés par Aidit, avaient,en effet, choisi de collaborer avec le régime.

Années d'immense prestige international culminant avec la conférence de Bandoung(avril 1955), marquées par une diplomatie d'abord orientée vers l'Ouest, mais refusant de cautionner les guerres d'Indochine etde Corée, et glissant progressivement vers un neutralisme flamboyant.

Années marquées aussi par l'incapacité totale desdirigeants à faire face à la crise économique et financière croissante.

Il est d'usage d'expliquer ce chaos par le dédain affiché deSoekarno pour ces questions.

En fait, il paraît plus réaliste d'attribuer ce laisser-aller à une impossibilité pour les groupesdirigeants de forger un modèle politico-économique de développement. On le vit bien lorsque, la démocratie parlementaire ayant échoué, Soekarno en tira les conséquences et à partir de 1957 fitentrer Djakarta dans l'ère de la " démocratie dirigée ".

Il rêvait d'appliquer à l'immense archipel des pratiques en usage dans lesvillages de Java : le musjawarath et le gotong-rojong, c'est-à-dire une méthode de gouvernement faite de palabres, deconciliabules, d'ajustement progressif des thèses en présence.

Si aucun moyen terme ne peut être dégagé, le chef tranche.

Ceretour aux sources, prenant en considération une authentique pratique populaire, ne pouvait, appliqué à cette échelle, querenforcer l'arbitraire du dirigeant, sans aucunement régler les problèmes réels de la nation.

En fait, il camouflait-mal-lesoppositions tranchées entre la gauche et cet autre pouvoir décisif qu'était l'armée.

Bien vite, Soekarno gouverna à coups deslogans, de sigles résumant un programme vide, de harangues. JACQUES DECORNOYLe Monde du 23 juin 1970. »

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