Article de presse: Six cents interpellations au quartier Latin
Publié le 22/02/2012
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3 mai 1968 - A la suite de la décision de fermeture de la faculté des lettres prise par le recteur, Jean Roche, à trois semaines des examens, il n'y aura plus d'enseignement pendant plusieurs jours pour l'ensemble des étudiants en lettres de l'académie de Paris-plus de quarante mille,-ainsi que pour les étudiants en sciences des quelques sections qui fonctionnent encore à la Sorbonne, en attendant leur transfert dans des locaux en construction quai Saint-Bernard.
Le recteur a justifié sa décision en déclarant qu' " un petit groupe d'étudiants cherchent, de leur propre aveu, à paralyser hier comme aujourd'hui les enseignements et demain les examens ".
Cette déclaration laisse perplexe, comme celle d'Alain Peyrefitte, qui, dans une interview à la radio, parlait d'une " poignée de trublions ".
Suffit-il d'une " poignée de trublions " pour obliger à suspendre tout enseignement dans deux facultés ? Il semble que les autorités ont manqué de sang-froid. Comme le soulignaient vendredi des enseignants libéraux de Nanterre, il n'y a pas eu paralysie de l'enseignement. Il est certes exact que les groupuscules d'extrême gauche-ou du moins plusieurs d'entre eux-font de la provocation une arme de guerre.
Aimant les raisonnements absolus et plus encore l'effarement qu'ils provoquent chez les " bourgeois ", ils ont affirmé que les examens, sanctionnant des enseignements sclérosés, n'avaient pas de sens.
Fallait-il les prendre à ce point au sérieux ?
Il faut également souligner que la manifestation d'étudiants dans la cour de la Sorbonne s'est déroulée sans troubles ni incidents. C'est seulement après l'arrestation par la police de ceux qui y participaient que se déclenchèrent les violentes bagarres au quartier Latin.
Les brutales réactions de la police et l'annonce de la suspension des cours ont d'ailleurs eu un effet immédiat : accroître l'audience des " trublions ", qui sont dorénavant soutenus par divers groupements d'étudiants de gauche fort opposés à eux jusqu'à présent : étudiants SFIO, et même les étudiants communistes.
A Nanterre, d'où est parti le mouvement, on commençait à percevoir la lassitude de nombreux étudiants, même chez certains " enragés ". Il n'est certes pas admissible que l'inquiétude de nombreux jeunes gens sur leur avenir et sur la qualité des études qu'on leur offre se traduise par une paralysie de l'université. Mais peut-on y mettre fin en France, alors que le ministre a si souvent souligné la nécessité du " dialogue ", par des mesures répressives si semblables à celles qui ont été prises à Madrid ou à Varsovie ?
BERTRAND GIROD DE L'AIN
Le Monde du 5-6 mai 1968
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