Article de presse: Senghor, professeur, poète et chef d'Etat
Publié le 22/02/2012
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En politique, Senghor réussit haut la main.
Ministre de la IVe, puis de la Ve, urbain et charmeur dans les couloirs du Palais-Bourbon, il n'a pas oublié que chez lui les Sérères sont réputés comme lutteurs.
Entre deux citations, ce Vaugelas d'outre-mer pratique à merveille le pancrace parlementaire.
Quand survient l'indépendance, ilest ministre-conseiller dans le gouvernement de Michel Debré.
Avec Félix Houphouët-Boigny, il est déjà l'un des deux " grandsAfricains " et il anime, face au RDA de l'Ivoirien, le groupe des Indépendants d'outre-mer.
La querelle entre le paysan médecinpragmatique et le professeur poète ne cessera plus : Houphouët veut une fédération franco-africaine supprimant les " exécutifs "fédéraux de Dakar et Brazzaville.
Senghor est déjà le chantre lyrique d'un " Commonwealth à la française ", confédérationcimentée par la langue et qui sera bientôt la séduisante et éphémère " Communauté ".
L'histoire donnera raison au gros bon sensteinté d'égoïsme du planteur d'Abidjan contre les belles rêveries du lettré.
En septembre 1960, Léopold Sedar Senghor est le premier président de la République du Sénégal.
L'échec de la fédération duMali l'a déçu et, homme des grands horizons, il hérite d'un petit pays dépouillé, avec la dislocation de l'AOF, de sa pourpreimpériale.
Dakar, la capitale, flotte dans des vêtements devenus trop grands.
Entré en conflit avec son ami Mamadou Dia,président du conseil, il se montre soudain un homme à poigne, le fait juger et condamner.
Il maintiendra, en dépit desinterventions, dans une dure captivité jusqu'en 1974, son ancien compagnon vaincu et malade.
Sachant être impitoyable, l'homme de culture manque peut-être du cynisme qui trempe l'acier d'un chef d'Etat.
Le Sénégal estcoupé en deux par l'aberrant " doigt de gant " de la Gambie.
Senghor ne saisira pas l'occasion favorable d'annexer l'anciennecolonie britannique, Etat d'opérette et repaire de contrebandiers.
D'autres l'eussent fait sans hésiter.
Reculant devant le coup deforce, l'homme oublie que les nations se forgent à coups d'épée.
Faut-il vraiment le lui reprocher?
Le professeur, lui, ne tolère pas qu'on le chahute et brise chez lui la mutinerie d'étudiants qui suit d'un mois le mai 68 français.
Est-ce parce que le pouvoir ne l'a jamais vraiment fasciné ? Senghor le quitte, avec une rare élégance, passant le relais à sonpremier ministre, Abdou Diouf.
Après quelques inévitables aigreurs dues surtout à l'entourage, il laisse gouverner sans entravescelui qui s'est assis dans son fauteuil.
Pour l'Afrique, c'est une leçon de sagesse.
Le président Ahidjo du Cameroun-seul à l'avoirsuivie-aura moins de bonheur et peut-être, car il se savait gravement malade, moins de mérite à passer la main.
Il s'opposera àson héritier, Paul Biya, dans un déchirement qui resta épargné au Sénégal.
Une image de la France
Il est vrai que Léopold Sedar Senghor ne considérait pas Dakar comme le seul théâtre d'une ambition qu'il résumait encore enjuin 1983 à l'occasion de son accession à l'Immortalité : " Je rêvais d'être professeur et poète ", mais ajoutait-il avec une sincéritéteintée d'humour, " professeur au Collège de France ".
Pour illustrer la " négritude " que d'autres ont découverte et qu'il achantée-c'est à une magistrature morale qu'il aspirait.
Toute sa vie, Senghor l'Africain a surtout voulu réconcilier les griots noirs deson enfance et les professeurs blancs de sa jeunesse studieuse.
C'était l'enjeu de sa francophonie, tant prêchée et tant vantéequ'elle a parfois suscité, dans les élites africaines, une réaction de rejet aujourd'hui heureusement estompée.
Pourtant l'idée était simple et noble : la solidarité de ceux que le Français unit, la revanche sur la décolonisation qui cesse d'êtreune humiliation et une défaite pour devenir voie d'accès à l'universel, enrichissement par la différence.
Faute de prix Nobel,Senghor aura eu la satisfaction tardive de présider la plus haute instance internationale francophone.
Le hasard a voulu que cetAfricain imbu de la France exalte à partir du Sénégal, disposant d'une langue très largement majoritaire, le Ouolof, ce que lesautres dirigeants africains empochaient sans y songer : l'acquis précieux d'une grande langue sans laquelle les Etats nouveaux-àcommencer par la Côte-d'Ivoire-étaient condamnés à la cacophonie.
PAUL-JEAN FRANCESCHINI Juillet 1986.
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