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Article de presse: Saliout 7, l'espace au quotidien

Publié le 22/02/2012

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6 septembre 1984 - Nouveau record spatial pour les cosmonautes soviétiques. Après avoir passé deux cent trente-six jours vingt-deux heures et cinquante minutes dans l'espace, Leonid Kizim, Vladimir Soloviev et Oleg Atkov, les trois cosmonautes de la station orbitale Saliout-7, ont retrouvé le 2 octobre la Terre, qu'ils avaient quittée le 8 février. L'exploit, et c'en est un, n'aura sans doute pas le retentissement qu'il mérite. Certes, on saluera l'événement avec le faste qu'il convient en Union soviétique. Mais il y a tout lieu de croire qu'il sera accueilli ici avec une certaine indifférence. Non pas que la performance soit sans valeur, mais plus simplement parce que, à l'Est comme à l'Ouest, l'espace se banalise. C'est aujourd'hui une évidence que personne ne conteste : la conquête spatiale a perdu son côté théâtral, réglée qu'elle est, désormais, par les nécessités des arbitrages budgétaires. Une preuve? La voici, administrée par les Soviétiques eux-mêmes : " Les records, disent-ils, ne sont pas tout ", " et il est essentiel pour nous, ajoutent-ils, de rentabiliser nos missions ". La mission qui vient de s'achever illustre ce choix. En sept mois, pas moins de cinq vaisseaux-cargos Progress ont rejoint le train spatial Saliout-Soyouz pour déverser les tonnes de matériel, de vivres et de combustible nécessaires à la poursuite du vol. Dans le même temps, l'équipage, appelé pour diverses raisons à faire des réparations sur la station, est sorti six fois dans l'espace. Vingt-deux heures et cinquante minutes ont été ainsi passées hors de la station pour poser un revêtement de protection thermique, couper une canalisation d'alimentation en combustible, travailler sur un panneau solaire et en prélever un fragment, remplacer certaines pièces du système de propulsion, etc. Les cosmonautes ont aussi reçu des visites : Vladimir Djanibekov, Igor Volk et Svetlana Savitskaya sont venus prêter main-forte à l'équipage de Saliout en faisant une septième sortie dans l'espace, qui a duré un peu plus de trois heures et demie. Il suffit d'y ajouter les travaux de routine quotidiens qu'un tel vol suppose et la conduite des expériences civiles et " moins civiles " prévues par le programme pour avoir une idée plus précise de la vie d'un cosmonaute en orbite. Tour à tour, le cosmonaute s'est transformé en médecin ou cobaye avec les séries de mesures destinées à mieux comprendre le comportement de l'homme en apesanteur; en métallurgiste ou astronome avec les expériences de fabrication de matériaux dans l'espace (alliage gallium-bismuth et dépôt métallique sous vide) et mesure des rayons gamma (Elena) ou des paramètres de l'atmosphère dans l'environnement immédiat de Saliout; en laborantin ou biologiste lors de l'extraction par électrophorèse d'une " substance antiseptique " ou de la mise en oeuvre d'une expérience franco-soviétique (Cytos-3) sur la perméabilité des membranes cellulaires. A bord de Saliout, les journées ont été bien remplies. Ce n'est pas le médecin de bord, Oleg Atkov, qui le démentira. Ayant fait remarquer que le travail demandé aux cosmonautes engendrait, en fin de journée, une certaine fatigue, il s'était entendu rétorquer que " les hommes étaient bien préparés et [qu'] ils n'étaient pas dans une station de cure ". Saliout-7, pas plus d'ailleurs que la navette américaine, n'est un lieu de villégiature. En vingt-neuf mois d'existence, Saliout-7 a été occupée vingt mois au total par trois équipages qui ont chacun accompli un vol de longue durée. N'est-ce pas là une preuve de plus de la volonté des responsables soviétiques de rentabiliser leurs programmes spatiaux? Oubliée, donc, la fameuse diplomatie du Spoutnik qui avait tant fait pour le renom de l'Union soviétique, oublié aussi Youri Gagarine, dont le tour de la Terre historique apparaît, vingt-trois ans après, comme une pâle performance devant les quelque trois mille huit cents orbites décrites depuis le 8 février par Leonid Kizim, Vladimir Soloviev et Oleg Atkov à bord du train spatial Saliout-Soyouz. Mais, qui se soucie, ou s'est soucié, de ces trois hommes dont la vie, sept mois durant, a été calquée sur celle de leurs compatriotes : dix à douze heures de travail par jour, neuf heures de sommeil et, la belle aubaine, une journée de repos par semaine? Qui se soucie aussi de la manière dont on peut vivre à trois, sept mois durant, dans un espace vital d'une centaine de mètres cubes? Voilà une performance que bien peu, même sur Terre, consentiraient à accomplir. On conviendra sans peine qu'il faut pour cela des nerfs diablement solides et une santé mentale à toute épreuve. Car ce n'est pas la courte visite, en avril, d'un équipage soviéto-indien à bord de Saliout, ni celle, plus longue (douze jours), en juillet, de Vladimir Djanibekov et d'Igor Volk, accompagnés de la cosmonaute Svetlana Savitskaya, deuxième femme soviétique à voler dans l'espace et première à faire une sortie en orbite, qui a suffi à égayer le séjour de l'équipage de Saliout-7. JEAN-FRANCOIS AUGEREAU Le Monde du 4 octobre 1984

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