Article de presse: Plus de cinq millions et demi de morts
Publié le 22/02/2012
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20 janvier 1942 - Hitler a annoncé publiquement que l'anéantissement de la race juive dans toute l'Europe (Vernichtung) était une éventualité très probable dans un discours prononcé au Reichstag pour l'anniversaire de son arrivée au pouvoir, le 30 janvier 1939. Il est revenu sur ce thème dans deux autres discours au Reichstag, le 30 janvier 1942 et le 30 janvier 1943. En 1942, le massacre était déjà largement amorcé. Nous n'avons pas d'ordre écrit, daté et signé du Führer. Il n'y en a probablement jamais eu, pour ne pas laisser de trace. Pour la même raison, les instructions données aux exécutants ont souvent été verbales ou utilisaient les euphémismes biens connus : " solution finale " (Endlösung) ou " traitement spécial " (Sonderbehandlung).
De 1933 à 1940, priorité a été donnée à la création des camps de concentration pour briser l'opposition communiste et non communiste. Les juifs ont été privés de la nationalité allemande, brimés, spoliés, rançonnés. Beaucoup ont été déportés ou expulsés. Mais il n'était pas encore question d'extermination physique. Après l'occupation de la Pologne, la Gestapo et les SS s'attaquent immédiatement aux dirigeants polonais, à l'Eglise et aux juifs. Ces derniers sont battus, volés, parqués dans les ghettos, astreints au travail forcé.
Un pas de plus a été fait au début de la guerre, en septembre 1939, quand Hitler a ordonné la liquidation des aliénés et des incurables. La réalisation du plan " Euthanasie ", qui devait rester secret, a été confiée à des médecins SS sous le contrôle de fonctionnaires de la chancellerie du Reich. Six centres ont été aménagés à cet effet. Les malades qui y étaient envoyés étaient tués dès leur arrivée. Le plus souvent par piqûres. Mais quelques-uns ont été gazés, car c'est là qu'ont été expérimentées les premières chambres à gaz.
Les réactions de l'opinion allemande et les protestations des Eglises ont obligé les nazis à reculer (du moins en paroles, car l'euthanasie a continué plus discrètement pendant toute la guerre et a fait des dizaines de milliers de victimes).
Compte tenu de cet incident, l'Holocauste a été organisé hors d'Allemagne, sur le front russe, puis en Pologne. La décision initiale a été prise au printemps 1941, pendant la préparation de l'offensive contre l'URSS (juin 1941).
Quatre Einsatzgruppen (groupes d'intervention SS) ont été chargés de suivre les armées allemandes et le liquider les juifs, les commissaires politiques et les partisans. Ces unités très spéciales ont assassiné des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants avec l'aide de soldats de la Wehrmacht et de milices auxiliaires recrutées parmi les antisémites locaux en Ukraine et dans les pays baltes. Le 30 juillet 1941, Goering a confié à Heydrich le soin de préparer " une solution finale de la question juive dans les territoires européens sous influence allemande ". Il semble que Heydrich ait d'abord envisagé de déporter les juifs au-delà de Lublin, dans la zone d'action des Einsatzgruppen. Mais Himmler en a décidé autrement vers la fin de l'été 1941.
Nous savons, pas les témoignages d'Eichmann et du commandant d'Auschwitz, Hoess, qu'il a ordonné d'organiser le massacre en Pologne dans les camps spéciaux ( Belzec, Chelmno, Sobibor, Treblinka) et dans les camps de concentration déjà ouverts pour les Polonais, qui ont été transformés en " camps mixtes ", et le sont restés jusqu'à la fin de la guerre (Stutthof, Auschwitz, Maidanek). La mise en oeuvre a été rapide. Le 20 janvier 1942, Heydrich a réuni une quinzaine de hauts dignitaires du régime à Wannsee, près de Berlin, pour organiser l'acheminement de tous les juifs des pays occupés vers les camps d'extermination polonais. Les premiers convois formés en Allemagne étaient déjà en route. Ils se sont multipliés un peu partout à partir du printemps 1942. La machine était désormais lancée. Elle a fonctionné à plein rendement jusqu'en novembre 1944.
Le chiffre de six millions de morts a été avancé au procès de Nuremberg et repris au procès Eichmann à Jérusalem, sans que les deux cours se soient préoccupées de l'établir avec précision, car leur rôle n'était pas de faire des statistiques, mais de juger un crime dont l'étendue n'était pas douteuse. Il ne s'agit donc que d'un ordre de grandeur, mais cet ordre de grandeur est tout à fait plausible et sérieux, ne serait-ce que parce qu'il a été proposé à Nuremberg par deux SS haut placés, Höttl et Wisliceny, qui le tenaient eux-mêmes d'Eichmann. Ce dernier l'a d'ailleurs confirmé, seize ans plus tard, au cours de son procès. Il a, en effet, parlé une fois de six millions et une fois des victimes des Einsatzgruppen sur le front russe, qu'il estimait lui-même à un ou deux millions.
Il est difficile d'arriver à des chiffres plus précis, car les archives des camps ont été en grande partie détruites.
Elles avaient d'ailleurs été falsifiées au départ, car les SS n'enregistraient qu'une partie des décès et les camouflaient systématiquement en morts naturelles.
En prenant, pour ces derniers, les chiffres les plus raisonnables, on aboutit à un total minimum de cinq millions cinq cent mille, qui est sans doute inférieur à la réalité.
Les chambres à gaz
Au printemps 1942, les Einsatzgruppen ont été doté de camions spécialement aménagés pour gazer les occupants avec les gaz d'échappement des moteurs Diesel. Vers la même époque, les premières chambres à gaz ont commencé à fonctionner régulièrement à Chelmno, à Belzec, à Treblinka et dans tous les camps situés en Pologne, notamment à Auschwitz, où le procédé a été amélioré par l'emploi du Zyklon B.
En 1943, le développement d'Auschwitz est devenu tel qu'il a fallu ajouter aux deux chambres primitives d'Auschwitz II-Birkenau les quatre immenses blocs chambres à gaz-crématoires qui ont permis de gazer et d'incinérer plusieurs milliers de personnes par jour. L'ensemble a fonctionné à plein rendement jusqu'à la révolte du Sonderkommando d'octobre 1944. Et pendant tout ce temps et jusqu'à la fin de la guerre, les SS ont continué à fusiller et à assassiner de toutes les manières, à Auschwitz et ailleurs.
Par contre, il est certain qu'il n'y a pas eu de chambre à gaz permanente dans les camps de concentration " ordinaires " situés sur le territoire du Reich. Bien que ces derniers aient fait de nombreuses victimes, le but premier du système concentrationnaire n'était pas l'extermination générale et immédiate, mais l'élimination des opposants et leur liquidation progressive par les mauvais traitements et le travail forcé.
Toutefois, cette distinction n'est pas absolue. Les SS n'ont pas cessé de fusiller et de torturer dans les camps de concentration comme dans les camps d'extermination. Il y a même eu ici ou là des gazages ponctuels.
FRANCOIS DELPECH
Le Monde du 8 mars 1979
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