Devoir de Philosophie

Article de presse: Pie XII : un doux autoritaire

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

9 octobre 1958 - Pie XII a-t-il donné sa mesure ? Elevé au pontificat à une époque angoissée, ayant régné pendant la plus cruelle et la plus meurtrière des guerres, puis dans le désordre spirituel et matériel d'un après-guerre où tant d'hommes osaient à peine regarder vers l'avenir, il s'était assigné, semble-t-il une tâche limitée. Elle s'exprime par un verbe au sens plein en français : maintenir. Placé au confluent de deux courants populaires impétueux, l'un nourri des passions grégaires, l'autre des nouvelles aspirations sociales, il a certainement louvoyé. Pouvait-il ne pas le faire ? Personne du moins ne pourra lui marchander le haut mérite d'avoir laissé intact à son successeur le dépôt sacré qu'il avait reçu : celui de l'intégrité et de l'autorité de l'Eglise catholique, apostolique et romaine. La personnalité du pape défunt a offert à l'observation de ceux qui l'on souvent approché des aspects différents et même apparemment paradoxaux. Chétif de complexion, il était sévère d'esprit; nerveux, il était obstiné; doux et sensible, comme en témoignait son regard lumineux, il avait des duretés dans la voix lorsqu'il commandait; heureux de l'étendue des responsabilités de sa charge suprême, il n'admettait pas la plus déférente des contradictions; il inspirait une admiration profonde et un respect infini, un dévouement entier, peu de tendresse; extrêmement pieux et professant que l'humilité est la plus haute des vertus, il n'a cédé à personne la moindre parcelle de son immense pouvoir; il avait des collaborateurs, pas de seconds; des conseillers, pas de confidents. Son pontificat est marqué par de nombreux records. Aucun pape en vingt ans et neuf mois de règne n'a publié autant d'encycliques, n'a tenu autant de discours, répandu autant de messages, prononcé autant d'allocutions que lui; aucun n'a procédé à autant de canonisations et de béatifications, n'a nommé autant de cardinaux en une fois, n'a accordé autant d'audiences privées ou générales. Romain de vieille souche-le premier pape romain depuis Innocent XIII, mort en 1724,-d'une intelligence exceptionnelle servie par une mémoire prodigieuse, polyglotte, érudit, il est devenu pape sans avoir jamais été en contact avec la peine quotidienne des hommes. Il ignorait la rue. Il n'y est pas descendu. Il n'a pas confessé de pauvres pécheurs, il ne leur a pas administré les sacrements. Il n'a connu les passions humaines qu'à travers une société choisie, les livres, les rapports écrits ou oraux. A vingt-cinq ans, deux ans après son ordination, il est devenu diplomate, et n'a quitté temporairement la secrétairerie d'Etat que pour accomplir des missions, comme nonce apostolique à Munich d'abord, à Berlin ensuite. Il a été prêtre, professeur de droit ecclésiastique, prélat domestique de saint Pie X, évêque, cardinal, pape et toujours pasteur-diplomate. Sa naissance, sa formation et sa carrière l'ont tenu à l'écart du peuple, du " popolino ", comme on dit en Italie. Tous les croyants de foi catholique peuvent considérer comme un signe de la Providence que les destinées de l'Eglise aient été confiées entre 1939 et 1958 à un diplomate... Une époque où, sans contestation possible, les hommes ont eu le triste privilège d'assister à une évolution révolutionnaire de l'humanité sur les terrains sociaux, scientifiques, politiques, et peut-être sur le terrain de la foi. Les trois grands actes Trois événements principaux illustreront le règne de Pie XII: la condamnation totale du communisme en tant que doctrine matérialiste athée, la proclamation du dogme de l'Assomption et la forte internationalisation du Sacré-Collège. Avant lui d'autres papes, et spécialement Pie XI (1931, " Quadragesimo Anno " ), avaient condamné le communisme. Pas de la même façon. Il avait condamné sans couper tous les ponts avec les brebis égarées, sans engager le fer à fond contre l'ennemi, sans l'acculer, sans le placer devant le terrible dilemme: vous ou nous. Pie XII a tranché. On ne peut pas être communiste et chrétien. Tous les communistes ayant quelque responsabilité sont excommuniés. Ils n'ont pas deux chemins à prendre pour obtenir le pardon, il n'y a que celui de Canossa. Cette lutte à mort entre la croix et le drapeau rouge est l'un des drames majeurs de nos temps. Par la proclamation du dogme de l'Assomption, durant l'année sainte 1950, le pape défunt a accompli un geste inspiré qui a soulevé des ondes d'amour dans le monde catholique. Il a parfait l'oeuvre commencée par Pie IX, qui a offert à la chrétienté en 1854 le radieux ciment des âmes de l'Immaculée Conception. Mais, en renforçant, en exaltant, le culte marial, il a inquiété certains théologiens. En accroissant le nombre des cardinaux étrangers au Sacré-Collège-il est composé actuellement de trente-sept cardinaux étrangers et de dix-huit italiens,-Pie XII a voulu souligner aux yeux du monde le caractère universel de l'Eglise. Cette affirmation n'est peut-être pas apparue dans toute son ampleur. Elle est pourtant appelée dans un avenir plus ou moins proche à avoir d'importantes conséquences, soit pour l'élection des papes, soit pour l'administration générale de l'Eglise. Il est à remarquer, par exemple, que l'élection d'un pape étranger est maintenant possible. Elle ne l'était pratiquement pas en 1939. Sur la mémoire de Pie XII pèse un malaise. Posons tout de suite et en clair une question que beaucoup de personnes dans toutes les nations et jusque dans l'enceinte de la Cité du Vatican inscrivent depuis plus de dix ans sur leurs tablettes secrètes: a-t-il eu connaissance de certaines horreurs de la guerre voulue et conduite par Hitler ? Lui, disposant en tous temps et en tous lieux des rapports périodiques des évêques, lesquels recueillent les renseignements des prêtres de leur diocèse, lesquels reçoivent les confessions, pouvait-il ignorer-ce que les grands chefs militaires allemands eux-mêmes prétendent avoir ignoré!-la tragédie des camps de concentration des déportés civils, les massacres froidement exécutés de soldats ennemis prisonniers, l'épouvante des chambres à gaz, où, par fournées administratives, les juifs étaient exterminés ? Et, s'il l'a su, pourquoi, dépositaire et premier chantre de l'Evangile, n'est-il pas descendu sur la place publique, en bure blanche, les bras en croix, pour crier " non ! " ? On peut croire que Pie XII n'a pas su. Quels qu'aient été ses sympathies pour tels ou tels groupements ethniques, l'acuité de sa vision des dangers mortels du marxisme revu par Lénine et par Staline pour le salut des hommes faits à l'image du Christ, les impératifs de sa mission divine de pacificateur, son sentiment de l'éternité de l'Eglise au milieu des débordements passionnels, comment n'eût-il pas tonné s'il eût su ? L'action de son pontificat pourra prêter à de nombreuses controverses sur un autre point. Il s'agit, en regard de la rigueur avec laquelle le Saint-Siège a redressé les erreurs doctrinales qui se sont dévoilées sous l'impulsion de gens généralement bien intentionnés depuis un demi-siècle-ne remontons pas plus haut,-de l'apparente mansuétude dont Pie XII a fait preuve envers l'injure notoire à la lettre et à l'esprit du dogme qu'a représenté le racisme. Prenons la France en exemple. Le Saint-Siège a dénoncé et écrasé dans l'oeuf, comme il en avait sans doute le droit et le devoir, des déviations politico-religieuses telles que les mouvements du Sillon (Pie X) et de l'Action française (Pie XI), de la Mission de Paris (Pie XII). Il n'a pas explicitement, fortement, définitivement, condamné la religion du sang, l'hitlérisme. Il est inutile d'exhumer des phrases dans le grandiose bagage des interventions pontificales. On n'y trouvera pas ce que l'on y chercherait: le fer rouge. Il n'y est pas. Qui jugera ? Peut-on juger ? Qui se permettrait de censurer les attitudes du pape dont le coeur attristé vient de cesser de battre et qui, sous les illuminations de la grâce et du savoir, mesurait les événements et les hommes sous un jour qui nous est inconnu ? JEAN D'HOSPITAL Le Monde du 10 octobre 1958

« n'est peut-être pas apparue dans toute son ampleur.

Elle est pourtant appelée dans un avenir plus ou moins proche à avoird'importantes conséquences, soit pour l'élection des papes, soit pour l'administration générale de l'Eglise. Il est à remarquer, par exemple, que l'élection d'un pape étranger est maintenant possible.

Elle ne l'était pratiquement pas en1939. Sur la mémoire de Pie XII pèse un malaise.

Posons tout de suite et en clair une question que beaucoup de personnes danstoutes les nations et jusque dans l'enceinte de la Cité du Vatican inscrivent depuis plus de dix ans sur leurs tablettes secrètes: a-t-ileu connaissance de certaines horreurs de la guerre voulue et conduite par Hitler ? Lui, disposant en tous temps et en tous lieux des rapports périodiques des évêques, lesquels recueillent les renseignements desprêtres de leur diocèse, lesquels reçoivent les confessions, pouvait-il ignorer-ce que les grands chefs militaires allemands eux-mêmes prétendent avoir ignoré!-la tragédie des camps de concentration des déportés civils, les massacres froidement exécutésde soldats ennemis prisonniers, l'épouvante des chambres à gaz, où, par fournées administratives, les juifs étaient exterminés ? Et,s'il l'a su, pourquoi, dépositaire et premier chantre de l'Evangile, n'est-il pas descendu sur la place publique, en bure blanche, lesbras en croix, pour crier " non ! " ? On peut croire que Pie XII n'a pas su.

Quels qu'aient été ses sympathies pour tels ou tels groupements ethniques, l'acuité de savision des dangers mortels du marxisme revu par Lénine et par Staline pour le salut des hommes faits à l'image du Christ, lesimpératifs de sa mission divine de pacificateur, son sentiment de l'éternité de l'Eglise au milieu des débordements passionnels,comment n'eût-il pas tonné s'il eût su ? L'action de son pontificat pourra prêter à de nombreuses controverses sur un autre point.

Il s'agit, en regard de la rigueur aveclaquelle le Saint-Siège a redressé les erreurs doctrinales qui se sont dévoilées sous l'impulsion de gens généralement bienintentionnés depuis un demi-siècle-ne remontons pas plus haut,-de l'apparente mansuétude dont Pie XII a fait preuve enversl'injure notoire à la lettre et à l'esprit du dogme qu'a représenté le racisme. Prenons la France en exemple.

Le Saint-Siège a dénoncé et écrasé dans l'oeuf, comme il en avait sans doute le droit et ledevoir, des déviations politico-religieuses telles que les mouvements du Sillon (Pie X) et de l'Action française (Pie XI), de laMission de Paris (Pie XII).

Il n'a pas explicitement, fortement, définitivement, condamné la religion du sang, l'hitlérisme.

Il estinutile d'exhumer des phrases dans le grandiose bagage des interventions pontificales.

On n'y trouvera pas ce que l'on ychercherait: le fer rouge.

Il n'y est pas. Qui jugera ? Peut-on juger ? Qui se permettrait de censurer les attitudes du pape dont le coeur attristé vient de cesser de battreet qui, sous les illuminations de la grâce et du savoir, mesurait les événements et les hommes sous un jour qui nous est inconnu ? JEAN D'HOSPITAL Le Monde du 10 octobre 1958. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles