Article de presse: Nikita Khrouchtchev : la tête de linotte du Kremlin
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
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Ce précédent sert de leçon.
Pour préparer l'attaque et engager l'opération, il faut que le patron soit absent de Moscou, sinon ilaurait vent de l'affaire, et il a tout de même assez de pouvoirs pour briser les conjurés s'il n'est pas " cueilli à froid ".
Au moisd'octobre, Khrouchtchev passe des vacances sur le littoral de la mer Noire.
Heureux, apparemment, et ne se doutant de rien.
Le13, il reçoit Gaston Palewski, ministre français chargé de la recherche scientifique.
Parlant du général de Gaulle, il remarque :" Un homme d'Etat reste au pouvoir jusqu'à sa mort.
" Il ne semble vraiment pas avoir conscience de ce qui se trame : dix heuresplus tard, il sera chassé du pouvoir.
Mais il faut faire vite, car le " numéro un " compte regagner d'un moment à l'autre la capitale pour y accueillir les trois " héros del'espace ".
Donc, l'affaire doit être pratiquement réglée avant son retour.
Ainsi est fait.
A peine arrivé à l'aéroport, Khrouchtchevapprend, tout étonné, lui, le premier secrétaire, que le comité central est réuni.
Dès cet instant, il comprend sans doute ce qui sepasse, mais il est désormais surveillé, encadré.
Quand il arrive à la session, la cause est entendue.
Il ne reste plus qu'à préciser lesmodalités de la destitution.
L'attaque a été menée, et d'ailleurs l'opération tout entière préparée par Souslov.
On dit qu'il avait présenté au comité central unréquisitoire en vingt-neuf points.
Il se considérait comme le garant d'une sorte de code de bonne conduite, que M.
" K " auraitviolé.
De plus il avait des raisons particulières de tenir rigueur au premier secrétaire : il n'avait pas accepté la déstalinisation tellequ'elle s'était déroulée.
Et tout récemment, sans en avoir l'air, la Pravda l'avait étrillé, lui le grand prêtre de l'idéologie.
Lequotidien du Parti avait célébré le soixantième anniversaire de Voznessenski, ancien membre du bureau politique fusillé du tempsde Staline (et réhabilité ensuite).
L'article était signé de G.
Sorkine, un auteur que Souslov avait accusé onze ans plus tôt de" propager systématiquement des thèses antimarxistes ".
Cet auteur écrivait en 1963 : " les considérations de Voznenssenski sur laloi de la valeur ont un grand intérêt.
" Les initiés firent le rapprochement avec un article que M.
Souslov avait consacré àVoznessenski dans la Pravda du 24 décembre 1952.
Il écrivait déjà dédaigneusement à propos de ce dirigeant en disgrâce : " Ilconsidère comme un fétiche la loi de la valeur.
" En octobre 1964, Souslov sait que le moment lui est favorable.
Presque tous lesautres dirigeants ont à se plaindre des foucades de Khrouchtchev.
Tous ou presque ont subi-et en public-ses colères ou sesmoqueries.
Tous sont navrés d'avoir à répéter et paraphraser les fanfaronnades du patron qui voit le communisme réalisé etl'abondance obtenue en 1980.
Les hauts fonctionnaires sont furieux, et M.
Gromyko n'est pas des plus tendres.
Souvent, dans lesvoyages et les cérémonies officielles, ils doivent s'effacer devant la famille du premier secrétaire.
Le gendre en particulier, AlexisAdjoubei, excite la fureur des hiérarques, qui détestent le " prince héritier ".
Les policiers ne se consolent pas d'avoir étédéconsidérés par la révélation des crimes staliniens.
Les militaires n'admettent pas un programme de désarmement qui diminue lescrédits et réduit les cadres : les généraux ne tiennent nullement à être convertis en présidents de kolkhozes.
La Nomenklatura prend peur
A ce moment-là, les experts achèvent la mise au point d'un nouveau plan, conçu selon les règles les plus traditionnelles.
Et voilàque le premier secrétaire, chef du gouvernement remet tout en question, y compris la durée du plan, qui, selon lui, au lieu d'êtrequinquennal, devrait passer à sept ans.
On aura un peu plus tard confirmation de l'importance que prit le débat-en fait l'algaradedu " numéro un " -dans le coup d'éclat du 15 octobre.
Chef de la délégation du Parti communiste français chargée d'allerdemander des explications à Moscou.
M.
Marchais dira dans son rapport : " Tout dernièrement, le camarade Khrouchtchev aprononcé un discours imprévu sur les problèmes économiques sans aucune discussion préalable.
" Sa manière de conduire lesaffaires étrangères ne donne pas davantage de satisfactions aux adversaires du " numéro un ".
Ne lui reprochent-ils pas, à proposdu conflit avec la Chine, d'ajouter l'insulte inutile à la critique nécessaire? De sacrifier les intérêts de la RDA pour trouver unaccommodement avec Bonn? Et Adjoubei, le gendre, n'a-t-il pas conseillé à des interlocuteurs occidentaux de prendre patienceparce que Ulbricht, l'empêcheur de négocier, est atteint par un cancer?
Tous les griefs accumulés se résument finalement en un seul : allant de réforme en réforme, déplaçant les cadres à tout boutchamp, Khrouchtchev avait déstabilisé l'establishment.
Sa dernière idée consistait à scinder en deux l'organisation du parti.
Unebranche s'occuperait des zones rurales.
C'est la fin de ces puissants personnages que sont devenus les premiers secrétaires desRépubliques et même des régions...
La Nomenklatura prend peur.
Elle se rebiffe.
C'est peut-être là qu'il faut chercher la raison immédiate de la chute du patron.
La révolution de palais a été bien menée.
Et d'autant plus facilement que le maître d'oeuvre ne voulait pour lui-même aucun titrenouveau.
Il suffisait à Souslov de s'assurer que Brejnev et Kossyguine consentaient à prendre les places de Khrouchtchev.
Lui, il se" contenterait " d'exercer l'influence.
En réalité, il restera jusqu'à sa mort, au début de 1982, le personnage-clé du régime.
Pourgagner il y a vingt ans, il lui fallait encore la neutralité bienveillante-et, en cas de complications, l'aide-de l'armée et de la police..
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