Article de presse: Nicaragua, un pays assiégé
Publié le 17/01/2022
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15 mars 1982 - Quatre ans après la chute de Somoza et le triomphe des sandinistes, le Nicaragua est de nouveau en guerre. Le pays ressemble à une citadelle assiégée de tous côtés par des forces disparates, désunies, mais qui peuvent compter sur le soutien politique et militaire des Etats-Unis.
Les accrochages, les embuscades meurtrières, les incidents frontaliers de plus en plus nombreux, cachent l'essentiel. Le Nicaragua sandiniste est engagé dans une lutte à mort pour sa survie. Les opposants, qui comprennent d'anciens somozistes mais aussi des démocrates sincères, n'ont pas l'intention de relâcher leur pression politique et militaire. Ils veulent, avec l'accord de Washington, obtenir la chute du régime sandiniste. C'est l'objectif maximaliste. Certains d'entre eux se contenteraient d'une négociation avec Managua afin de revenir, si possible, à la case départ, au 19 juillet 1979, et de repartir " du bon pied " vers une réelle démocratie pluraliste et un authentique non-alignement. Ceux-là savent qu'ils sont minoritaires au sein des différents groupes d'opposition, et que, surtout, les sandinistes sont moins que jamais disposés aux concessions.
Il y a presque de la satisfaction dans le comportement des dirigeants sandinistes de premier plan : celle de devoir affronter de nouveau une situation difficile mais qu'ils connaissent parfaitement. Pourtant, cette fois, dans le combat armé, ils sont de l'autre côté de la barricade. La phase finale de l'offensive contre Somoza s'est déroulée dans les villes, avec la participation des masses populaires et de larges secteurs de la petite et moyenne bourgeoisie. Ils doivent se battre aujourd'hui contre une guérilla contre-révolutionnaire qui s'efforce de faire tache d'huile dans les campagnes, et d'abord celles du Nord, où la fidélité inconditionnelle des paysans au régime n'est pas acquise, malgré (ou à cause de) la réforme agraire.
" Nous distribuons des terres et des fusils, dit l'un des membres de la junte de gouvernement. Tant que les fusils sont tournés vers le Honduras, tout va bien. Mais s'ils se retournent... ".
Les miliciens sandinistes sont scandalisés par la tactique des groupes de la Contra, qui montent des embuscades, frappent et se retirent rapidement. Ils oublient que leurs " aînés " -mais de si peu-faisaient de même lorsqu'ils attaquaient les colonnes de la garde nationale de Somoza. L'armée populaire sandiniste, elle, se comporte déjà comme une troupe régulière. Elle contrôle les routes, les axes, les localités. Elle répugne, sauf à poursuivre une bande de contras venant de réaliser un coup de main, à s'engager profondément dans les espaces libres.
Vu de l'extérieur, le régime paraît condamné. Comment le David nicaraguayen pourrait-il résister longtemps à la pression du Goliath américain ?
Les armes affluent et les responsables du régime ne font rien, bien au contraire, pour en dissimuler l'importance et la variété. Et les sourires éloquents de l'ambassadeur soviétique montrent que le gouvernement de Managua peut aujourd'hui et demain compter sur toute l'aide militaire nécessaire.
Les premiers chars soviétiques T-54 ont été envoyés en juin vers le Nord des convois de camions transportant des hélicoptères soviétiques MI 18 traversent Managua en plein jour. Fusils, mitraillettes, fusils mitrailleurs, mitrailleuses, artillerie légère et moyenne, mortiers, lance-roquettes, bazookas, munitions : tout arrive par les ports de Corinto, sur la côte pacifique, et de Bluefields, sur l'Atlantique.
Une véritable mobilisation populaire
En mai, l'armée populaire sandiniste (régulière) était évaluée à vingt-cinq mille hommes bien entraînés. Il fallait ajouter les troupes spéciales du ministère de l'intérieur, unités d'élite, des bataillons d'infanterie de réserve, les gardes-frontières et les milices locales équipées de fusils V-2 à baïonnettes et d'AK-47. En tout, selon les experts occidentaux, près de quatre-vingt mille hommes. La marine est modeste (quatorze patrouilleurs côtiers, dont quatre de type Dabur) et l'aviation n'est pas-pas encore-en état d'affronter celle du Honduras, la meilleure d'Amérique centrale.
La montée des périls bouleverse les données. C'est une véritable mobilisation populaire qui est en cours. Près de dix mille fonctionnaires ont été envoyés dans les bataillons de réserve, et cinq mille autres dans les milices. Etudiants, ouvriers et paysans sont sollicités. Mais c'est, bien évidemment, au détriment de l'administration et de la production, alors que la crise économique s'aggrave et que le rationnement se généralise.
Le manque de devises et de crédits est aggravé par les pressions américaines : Washington vient de mettre son veto à un crédit de plus de 2 millions de dollars approuvé par la Banque interaméricaine de développement. Le Nicaragua vit aujourd'hui une économie de dénuement et de guerre. Le riz, les haricots, base de la nourriture populaire, mais aussi l'huile, le savon, sont rationnés. Les oeufs et la viande sont rares, les fruits et les légumes hors de prix.
Les comités de défense sandinistes (CDS), un par bloc, à la cubaine, sont chargés de distribuer les cartes de rationnement et de veiller aux répartitions de produits : un système bureaucratique dont on imagine les implications. Le marché noir est encore freiné par les menaces, sévères de répression. On compte, déjà, officiellement, plus de cent mille " vigies révolutionnaires " qui ne sont pas toutes nécessairement membres des CDS : la délation est encouragée par les dirigeants à l'encontre des " contre-révolutionnaires " et des " mauvais patriotes ".
Le peuple est naturellement le plus durement frappé par les restrictions et le rationnement alors que les diplomates fréquentent des " magasins spéciaux ", à la cubaine, et que les familles riches continuent d'aller faire leur marché à Miami.
Officiellement, les dirigeants s'accrochent avec obstination à leurs trois principes de base : pluralisme, non-alignement, économie mixte.
Certes, le secteur privé, bien que réduit, n'a pas disparu. Le COSEP, le CNPF local, a toujours pignon sur rue, bien que ses porte-parole soient plus timides. Le quotidien la Prensa, soumis à une censure rigoureuse et tatillonne, continue à donner la vedette aux nouvelles internationales déplaisantes pour le régime. Mais c'est un jeu épuisant et son tirage baisse. On dénombre une demi-douzaine de petits partis politiques sans moyens d'expression, sans audience et sans véritables leaders.
Mgr Obando, archevêque de Managua, fulmine en chaire et en privé contre les " curés populaires ". Sa messe du dimanche est suivie par des milliers de fidèles qui voient en lui le véritable porte-parole d'une opposition réduite à la discrétion, sinon au silence, par le renforcement progressif des " pouvoirs " sandinistes et par le climat de guerre.
MARCEL NIEDERGANG
Le Monde du 19 juillet 1983
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