Article de presse: Moshe Dayan : le roi des territoires occupés
Publié le 22/02/2012
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1er juin 1967 - Son style direct quelque peu arrogant, ses réparties vives et son dévouement à la cause d'Israël ont fait de Moshe Dayan un des représentants les plus authentiques des " sabras " israéliens. Né en 1915 au bord du lac Tibériade, dans le kibboutz de Degania, il a vécu son enfance et son adolescence dans le mochav de Nahalal, que ses parents avaient fondé avec d'autres pionniers. Il n'alla pas au-delà de l'école d'agriculture, et ce n'est qu'en 1950, à l'âge de trente-cinq ans, qu'il put fréquenter épisodiquement les cours des universités de Jérusalem et de Tel-Aviv.
En effet, dès sa prime jeunesse, il est attiré par la carrière militaire. A quatorze ans, il milite déjà dans les rangs de la Haganah, l'armée clandestine de la communauté juive en Palestine. Lors des émeutes arabes contre les Anglais et les juifs (1936-1939), il fait la connaissance du capitaine britannique Orde Wingate, qui combattait dans les rangs de la Haganah, et devient son disciple, adoptant ses conceptions militaires, surtout en ce qui concerne les assauts nocturnes. Arrêté par les forces britanniques, en 1939, il est condamné à dix ans de travaux forcés et interné à la prison de Saint-Jean-d'Acre. Libéré en 1941 par les alliés, qui se cherchent des appuis, Dayan met sur pied une compagnie juive qui, sous l'uniforme anglais, passe la frontière libanaise sans attendre l'arrivée des forces britanniques. Blessé dans un combat contre les forces de Vichy, il perd l'oeil gauche et porte, non sans coquetterie, le célèbre bandeau noir qui devait participer à sa légende.
Moshe Dayan se voit attribuer des fonctions importantes dès la création de l'Etat d'Israël en 1948. Il est à la tête des troupes israéliennes lors des combats contre les Syriens à Deganya, participe aux opérations sur le front égyptien, puis sur le front jordanien lors de la conquête de Lydda et de Ramlèh. Commandant du secteur de Jérusalem avec le grade de lieutenant-colonel, délégué de l'armée israélienne lors des pourparlers de Rhodes précédant l'armistice israélo-jordanien en 1949, puis responsable des délégations militaires aux comités mixtes d'armistice avec les pays limitrophes, il prend en 1950 le commandement du Sud israélien, avec grade de général de division. Un an plus tard, il est nommé responsable de la région Nord.
Particulièrement apprécié par Ben Gourion, alors président du conseil et ministre de la défense, il devient, en 1953, le quatrième commandant en chef de Tsahal, poste qu'il occupera jusqu'en 1958.
Stratège né, c'est à ce poste qu'il élabore sa politique des " représailles massives " contre les pays arabes.
En octobre-novembre 1956, lors de la campagne du Sinaï, on le retrouve à la tête de l'armée israélienne, après avoir participé aux pourparlers secrets de Sèvres, au cours desquels fut décidée et préparée l'expédition de Suez, suivant un processus suggéré par lui-même : entrée des forces israéliennes dans le Sinaï, suivie de l'intervention des forces franco-britanniques.
Après la campagne de Suez, abandonnant l'uniforme, Moshe Dayan fait son entrée dans la vie politique en se faisant élire à la Knesset, où il siège désormais sur les bancs du Mapaï, le parti social-démocrate au pouvoir, avant d'entrer au gouvernement en 1959 comme ministre de l'agriculture. Resté fidèle à Ben Gourion, Moshe Dayan suivra son " maître à penser " en 1964, quand l'ex-premier ministre se sépare du Mapaï pour fonder la Rafi. Il ne fera sa rentrée dans l'équipe dirigeante qu'en juin 1967, à la veille de la guerre de six jours, comme ministre de la défense au sein du gouvernement d'union nationale, présidé par M. Eshkol. Auréolé par la victoire, le général Dayan est désormais, pour l'homme de la rue, un personnage providentiel, dont les conceptions annexionnistes feront foi. En 1968, il regagnera, avec les dissidents du Rafi, le bercail travailliste.
En sa qualité de ministre de la défense, il applique une politique qui lui vaut le sobriquet de " roi des territoires occupés ". Disciple fidèle de Ben Gourion, Dayan a représenté, surtout jusqu'à la guerre d'octobre 1973, la tendance dure et intransigeante à l'égard des pays arabes. Sa politique est cependant pragmatique, et il est convaincu que le conflit israélo-arabe s'enracine dans l'hostilité profonde d'un peuple spolié de sa terre au bénéfice d'un autre. En 1968, il déclarera avec franchise, lors d'un discours prononcé sur la tombe d'un jeune soldat tué dans le kibboutz de Nahal-Oz, près de Gaza : " N'accusons pas ceux qui ont tué ce garçon et ne nous plaignons de leur haine. Cela fait huit ans qu'ils vivent dans des camps de réfugiés à Gaza, tandis que nous ici, sous leurs yeux, nous sommes en train de nous approprier les terres et les villages dans lesquels ils vivaient, eux et leurs ancêtres. " En 1967, après la guerre de six jours, il reprendra ce thème : " Nous sommes venus dans un pays habité et nous y construisons un Etat juif. Les Arabes n'accepteront pas notre entreprise. Nous sommes condamnés à un état de belligérance perpétuelle. Nous sommes un corps étranger transplanté dans cette région que les autres organes repoussent. " Depuis la guerre de six jours, sa préoccupation principale reste de préserver et de conserver les nouvelles frontières de l'Etat hébreu. A plusieurs reprises, il annonce clairement qu'il préfère " Charm-El-Cheikh sans la paix, à la paix sans Charm-El-Cheikh. " Après la conquête et l'implantation, la " normalisation " au sein des territoires occupés devient le troisième volet de la politique du premier militaire israélien. Cette normalisation doit se faire sous l'égide d'une armée dotée d'une totale liberté d'action et qui n'hésitera pas à recourir aux " châtiments collectifs " pour assurer la " coexistence " entre les populations.
Persuadé que " le temps travaille pour Israël ", et qu'il " maintiendra le statu quo dans la région aussi longtemps qu'il le désirera ", et soutenant que " les Arabes n'ont pas d'option militaire ", il exclut catégoriquement toute éventualité d'une attaque arabe qui pourrait mettre en cause la pax israelica dans la région.
La guerre de 1973 fut pour lui un choc énorme et a marqué le début du déclin de son prestige. Au cours des opérations, il est " effondré " moralement à plusieurs reprises et n'a pas, en définitive, joué un rôle important comme cela avait été le cas en 1956 et 1967.
Le général Dayan perd alors son portefeuille ministériel, mais conserve ses opinions intransigeantes. Il s'opposera vigoureusement à la signature, en septembre 1975, de l'accord intérimaire avec l'Egypte, signé par son rival, le premier ministre Rabin. Après la défaite électorale du parti travailliste, il créera la surprise en acceptant le poste des affaires étrangères dans le gouvernement de M. Begin, partisan du " Grand Israël ".
AMNON KAPELIOUK
Le Monde du 18-19 octobre 1981
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