Article de presse: Mendès France : sept mois et dix-sept jours
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
Il obtient l'accord du Parlement, met en train la réforme fiscale, s'attaque par décrets à une forteresse en même temps qu'à unsymbole : le sacro-saint privilège des bouilleurs de cru et le régime de l'alcool.
Cela aussi lui sera rendu avec usure au jour de lacurée.
Il faut tout traiter, tout régler à la fois.
Ce mois d'août, qui voit la mise en oeuvre de l'accord indochinois, l'amorce de lapolitique tunisienne, le lancement de la politique économique et sociale, est avant tout celui de l'Europe, celui de la CED.
Leprésident du conseil est décidé à vider le débat et à le conclure.
Une partie politique et diplomatique presque aussi serrée quepour l'Indochine s'engage.
Elle se double d'une série de péripéties intérieures qui ne contribuent pas médiocrement à compliquerles choses.
Qu'on en juge par ces quelques dates et événements :-13 août : hostiles à la CED, trois ministres républicains sociaux,c'est-à-dire gaullistes, Maurice Lemaire, Jacques Chaban-Delmas et le général Koenig, donnent leur démission -18 août au 22août : quatre jours de négociations acharnées à Bruxelles entre les Six, dont les délégations sont conduites par Konrad Adenauerpour l'Allemagne, Paul-Henri Spaak pour la Belgique, Sir Anthony Eden pour la Grande-Bretagne et Pierre Mendès France.
Lecompromis français est rejeté -23 août : entretiens Mendès France-Churchill à Chartwell -29 août : le débat se déroule dans uneatmosphère tendue, presque dramatique.
C'est ce jour-là que la vraie rupture sera consommée entre Mendès France et les" européens " du MRP et du Parti socialiste qui ont refusé de participer à son gouvernement et réitéreront leur refus à plusieursreprises.
C'est ce jour-là que la construction européenne est retardée, peut-être de dix ans -30 août : les députés rejettent laCED par 319 voix contre 264 et 12 abstentions.
Les vingt-trois membres du gouvernement n'ont pas pris part au vote.
Aussitôt,les plus intransigeants partisans de la CED, Maurice Bourgès-Maunoury, Emile Hugues, Eugène Claudius-Petit, donnent leurdémission; en revanche, un " anticédesiste ", Jacques Chaban-Delmas, reprend place dans le gouvernement.
Cette décision de la France, qui surprend et navre ses cinq partenaires et l'allié américain, a fait table rase de tout accord.
Depatientes et rudes négociations, menées tout au long du mois de septembre, avec des rencontres, des allées et venues,d'interminables conférences, aboutissent à l'élaboration des accords de Londres et de Paris, qui consacrent le réarmement del'Allemagne et son admission à l'OTAN.
Paraphés le 3 octobre, approuvés par l'Assemblée le 12, signés le 23, ratifiés mais aveccertaines disjonctions dans la dernière semaine de décembre, ces accords et le rejet de la CED seront tout au long de saprésence à la tête du gouvernement un boulet de plus, et bien lourd à traîner, pour Pierre Mendès France.
Pour la politique française, c'est une grande rupture elle trace une nouvelle ligne de fracture qui n'est pas près de s'effacer.
Elleconsacre le divorce entre européens " supranationaux " et adversaires de toute délégation de souveraineté.
Le rythme ne fléchit pas, bien au contraire, pendant les derniers mois de 1954 et jusqu'à la chute, au soir du 5 février 1955.
Ilfaut continuer à tout faire à la fois, et aussi faire front sans cesse, car l'étau se resserre autour du gouvernement, mis soudain encause devant le pays par une manoeuvre occulte, un véritable complot, qu'on appellera l' " affaire des fuites ".
Un policier, le commissaire Jean Dides, apporte à un ministre, Christian Fouchet, dès le mois de juillet, des comptes rendus desdébats du bureau politique, l'instance permanente suprême du Parti communiste, selon lesquels Jacques Duclos fait état desprocès-verbaux des comités secrets de défense nationale, tous tenus quelques jours plus tôt à l'Elysée.
Pierre Mendès France estsaisi, une enquête est ouverte.
On apprend bientôt que ces " fuites " durent depuis plusieurs mois, qu'elles s'étaient déjà produitessous le gouvernement Laniel.
Qui intoxique qui ? Policiers plus ou moins marrons, et parfois, comme l'ancien préfet de police Jean Baylot, qui a été écartédès le mois de juin, à la recherche d'une vengeance.
Comploteurs, mécontents, hommes de main et de l'ombre, mènent la dansedans un extraordinaire ballet.
L'homme à travers lequel ils visent Pierre Mendès France est François Mitterrand, son ministre de l'intérieur.
Calomnies,infamies, truquages, rien n'y manque.
L'affaire prendra lentement, malaisément, sa véritable dimension : après un débatparlementaire tendu, le 2 décembre, la confiance est accordée du bout des lèvres par 287 voix contre 240 et 71 abstentions.
Dehauts fonctionnaires se sont rendus coupables au mieux d'imprudences, au pis d'une coupable incurie ils seront identifiés, jugés etcondamnés.
Au passage, deux mesures qui, sans demeurer vraiment inaperçues, n'ont pas l'éclat que leurs immenses conséquences leurdonneront par la suite.
C'est ce gouvernement transitoire et bousculé qui prend les décisions de principe et de fait qui engagentdéfinitivement le pays vers la construction de l'arme nucléaire, de la première bombe atomique dont de Gaulle saluera l'explosionsix ans plus tard d'un cri d'orgueil et de joie : " Hourra pour la France ! " Enfin, il faut s'attaquer au budget de l'Etat pour 1955.Au ministère des finances, Robert Buron succède à Edgar Faure, qui passe aux affaires étrangères, portefeuille enfin abandonnépar le président du conseil, qui veut se consacrer davantage aux questions financières, économiques et sociales..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Article de presse: 27 jours qui ébranlèrent la France
- Article de presse: Le discours de Carthage de Mendès France
- Article de presse: L'investiture de Pierre Mendès France
- Article de presse: La France a-t-elle perdu l'Afrique ?
- Article de presse: La France affiche sa différence