Article de presse: L'ordre coranique règne sur Kaboul
Publié le 22/02/2012
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11 septembre 1996 - L'ordre règne à Kaboul. Depuis la chute de la ville, voici une semaine, les talibans ont imposé leur loi, celle du Prophète et du Coran. Et celle-ci ne saurait être ignorée : interdiction aux femmes de sortir dévoilées, d'aller à l'école ou à l'université et de se rendre au bureau. Par ailleurs, les fonctionnaires de sexe féminin ont été " invitées " à rester à la maison, les autorités leur assurant que leur salaire continuerait à être versé... Pour les hommes, le port de la barbe est désormais obligatoire, celui du turban et du large costume traditionnel recommandé.
Les premières mesures prises par les talibans n'ont étonné personne car ces " étudiants en religion ", qui contrôlent maintenant les deux tiers de l'Afghanistan, avaient déjà imposé cet ordre " vert " dans les différentes villes tombées entre leurs mains depuis deux ans. Mais Kaboul était encore la cité la plus " libérale " du pays, y compris sous le règne précédent, qui prétendait pourtant être autant islamiste que le nouveau pouvoir. L'ancien premier ministre Gulbuddin Hekmatyar avait certes fait fermer les cinémas, il y a quelques mois, mais une atmosphère de relative tolérance prévalait encore. Désormais Kaboul est entre les mains des " moines-soldats ", dont l'obsession est de faire appliquer à la lettre les moindres recommandations coraniques. Les femmes ont donc presque toutes déserté les rues et ne sortent que vêtues du grand tchadri, ce voile de couleur mauve qui les recouvre des pieds à la tête, sauf une sorte de grillage à la hauteur des yeux.
De nombreux Kaboulis, qui portaient jusque-là une moustache, ont l'air de forçats évadés avec leur barbe naissante. Il leur reste quarante jours pour en laisser pousser une. Ceux qui sortaient encore tête nue se sont couvert le crâne d'un turban ou d'un calot musulman, et rares sont ceux qui osent encore s'aventurer dans les rues en jeans ou en pantalons.
En ville, les talibans se font pourtant discrets, circulant par petits groupes ou en 4 x 4, l'éternel kalachnikov en bandoulière et le drapeau blanc sur le capot des véhicules. La plupart d'entre eux viennent du sud du pays et ne connaissent pas Kaboul. Ils semblent un peu perdus dans cette grande ville. Leur attitude est distante, voire condescendante envers les " infidèles ", mais reste correcte.
Après avoir tué l'ancien président communiste, Mohammed Najibullah, et son frère, retrouvés pendus sur la grande place vendredi 27 septembre, - un choc pour les Kaboulis - , il semble pourtant que les nouveaux maîtres se conduisent en combattants disciplinés. Les déclarations alarmistes d'Amnesty International, laissant entendre qu'un " règne de terreur " s'est abattu sur la ville, sont contredites par de nombreux Afghans et expatriés : " Les talibans ne pillent pas et obéissent à la lettre aux consignes de retenue données par les nouvelles autorités ", explique l'un d'entre eux. Des arrestations auraient cependant eu lieu, jeudi, dans les quartiers nord de la ville, où les miliciens recherchent d'éventuelles caches d'armes laissées par les soldats de l'ancien chef militaire Ahmed Shah Massoud, aujourd'hui réfugiés dans la ville du Panshir natal.
Mais de nombreux observateurs, qui ont vécu la conquête talibane, assurent qu'il n'y a eu pour l'instant ni chasses aux sorcières ni arrestations en masse. Cependant, vendredi, les Kaboulis ont afflué vers la mosquée de Pul-e-Khechti. Les talibans étaient tout autour, contrôlant la foule. Un récalcitrant a même été poursuivi par les miliciens et ramené de force à la mosquée. Voici quelques jours, des femmes, qui n'avaient pas eu la décence de sortir suffisamment voilées, ont été battues par des extrémistes. Mais surtout, la plupart des Kaboulis font dans l' " autocensure ", pour reprendre l'expression de l'un d'entre eux : personne n'oserait enfreindre le nouvel ordre.
" Les talibans sont des extrémistes ", affirme un ancien communiste, qui vient de brûler les photos de son passé compromettant, reflétant la peur de nombreux Kaboulis face à ces paysans d'ethnie pashtoune, ne maîtrisant même pas le persan, lingua franca de l'Afghanistan pluriethnique.
Les Kaboulis semblent, en fait, avoir accueilli le nouveau pouvoir avec un mélange de soulagement et de crainte. Soulagement, parce que, pour la première fois depuis longtemps, les roquettes ont cessé de pleuvoir sur la ville et que, peut-être, " la guerre est finie ". Crainte, parce que " personne ne sait où tout cela va mener. Personne ne sait si l'Afghanistan va devenir une Arabie saoudite tranquille ou un régime de " terreur verte " qui essaierait de déstabiliser l'ensemble de la région ", explique un responsable d'une ONG occidentale.
BRUNO PHILIP
Le Monde du 7 octobre 1996
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