Article de presse: L'opposition en tête aux législatives marocaines
Publié le 17/01/2022
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14 novembre 1997 - Les élections législatives du vendredi 14 novembre ont confirmé l'émiettement du paysage politique marocain. Arrivée en tête, l'Union socialiste des forces populaires (USFP), la principale formation de l'opposition, devrait être chargée par le roi de constituer le prochain gouvernement, ouvrant peut-être la voie à une alternance recherchée depuis des années par le Palais pour consolider la monarchie en lui donnant un certificat de démocratie. En toute hypothèse, la formation du gouvernement n'interviendra qu'après l'élection au suffrage indirect des membres de la Chambre des conseillers une sorte de super-Sénat , prévue le 5 décembre.
Alors que près de treize millions de Marocains étaient pour la première fois conviés à élire au suffrage universel direct les 325 députés de la Chambre des députés, les résultats, publiés samedi en fin de matinée, ne peuvent que décevoir ceux qui aspiraient à un renouvellement des équipes en place. Les trois blocs, identifiés à la veille du scrutin par le ministre de l'intérieur, Driss Basri à savoir l'opposition, " l'entente des partis " du gouvernement sortant et les petites formations , sont bien au rendez-vous, mais tous font presque jeu égal en nombre de députés. " Notre Parlement, avec ses quinze partis représentés, va ressembler à celui de la IVe République " , ironisait au cours du week-end un candidat battu. Outre le fait qu'une seule femme a été élue, l'unique surprise du scrutin est la percée des islamistes du Mouvement populaire constitutionnel et démocratique (MPCD), qui, avec 9 députés, ont la même représentation que les communistes du Parti du progrès et du socialisme (PPS).
" Tripatouillages "
Le " bloc démocratique " des quatre formations de l'opposition, la Koutla, dominée par l'USFP et les nationalistes de l'Istiqlal, arrive en tête du scrutin. Mais avec 102 députés, cette alliance hétérogène, tenue éloignée du pouvoir depuis des lustres, est loin de la majorité. " On nous a volé une soixantaine de députés " , accuse Mohammed Guessous, le numéro trois de l'USFP, qui dénonce " les tripatouillages des listes électorales par l'administration, le trafic des cartes d'électeurs financé par l'argent de la drogue, la mainmise du pouvoir sur les bureaux de vote " . Si demain l'opposition accepte de gouverner, elle devra nouer des alliances.
Réunie au sein du Wifak, la majorité sortante talonne l'opposition avec 100 élus. Pour peu qu'elle se rapproche du troisième bloc qualifié de " centriste " par les pouvoirs publics mais qui se situe à droite , une solide majorité parlementaire est à portée de main. Le président de la principale composante de ce centre, le Rassemblement national des indépendants (46 députés), Ahmed Osman, est un ancien premier ministre, beau-frère du souverain de surcroît. Quant à l'autre formation centriste, le Mouvement démocratique et social (MDS) de Mohamed Harchane, un ancien commissaire de police, son ascension fulgurante jette le doute sur son indépendance. Né au printemps 1997, le MDS qualifié comme le RNI de " parti de l'administration " par les Marocains a raflé 32 sièges aux législatives, soit autant que l'Istiqlal, la formation arrivée en tête aux élections communales de juin.
Alternance politique
Aisé à constituer sur le papier, un gouvernement associant la droite et le centre se heurte cependant à un obstacle de taille : l'obstination du roi à voir le Maroc pratiquer l'alternance politique. Sans elle, faisait-il observer en 1994 dans une adresse au Parlement, " la démocratie serait vide de contenu " . Même si, malgré tous ses efforts, Hassan II a échoué à convaincre l'opposition (et singulièrement les socialistes de l'USFP) d'entrer au gouvernement, il n'en a pas abandonné l'idée. Le faible niveau de participation au élections de vendredi (à peine 58 % de votants, selon les chiffres officiels), le fort taux de bulletins blancs ou nuls (environ 1 million) n'ont pu que conforter le souverain dans son projet. La réconciliation des Marocains avec la chose publique, donc avec la monarchie, est sans doute à ce prix.
Il reste à convaincre la Koutla d'accepter ce qu'elle a toujours refusé jusqu'ici. Le problème ne se pose pas tant avec l'Istiqlal, placée en position de faiblesse par les urnes, qu'avec l'USFP. Lassés d'être pratiquement relégués dans l'opposition depuis la fin du protectorat français, certains dirigeants socialistes ne sont plus hostiles à une entrée en force au gouvernement, où siégeraient probablement à leur côté les centristes du RNI. Preuve de ce changement d'état d'esprit, même le maintien au gouvernement de M. Basri, l'omnipotent ministre de l'intérieur, n'est plus considéré comme un obstacle par le secrétaire général de l'USFP, Abderrahmane Youssoufi (alors qu'en 1994 la participation de l'UFSP avait échoué sur cette question).
Pour les dirigeants socialistes, le seul risque est celui de n'être pas suivis par des militants dont beaucoup sont hostiles à des compromis. La menace d'une scission au sein du parti n'est pas prise à la légère par sa direction. Elle justifie la prudence des instances de l'USFP depuis la proclamation des résultats des législatives. " Le scénario de l'alternance est exclu pour l'heure, mais il n'est pas enterré. Nous allons consulter la base. Cela va prendre le temps qu'il faudra " , expliquait, ce week-end, le numéro trois de l'USFP.
JEAN-PIERRE TUQUOI
Le Monde du 18 novembre 1997
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