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Article de presse: L'internationale étudiante

Publié le 17/01/2022

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1er-30 mai 1968 - A Madrid, dix mille étudiants viennent de se réunir à la Cité universitaire pour entendre des exposés sur le mouvement de révolte de l'Université française. A l'issue du meeting ils ont hissé le drapeau rouge au fronton de la faculté des sciences économiques et politiques. Ils ont tenté, ensuite, de dresser des barricades en ville. Il y a seulement quelques mois, des délégués de l'UNEF se rendaient discrètement en Espagne pour offrir leur appui aux dirigeants des syndicats démocratiques d'étudiants engagés dans une lutte difficile depuis la rentrée d'octobre. Aujourd'hui la " commune étudiante " de Paris sert de modèle et d'exemple non seulement aux étudiants révolutionnaires d'Espagne, mais aussi à ceux qui sont saisis de la fièvre dans les universités d'Allemagne fédérale, d'Italie, de Grande-Bretagne, de Belgique, des Pays-Bas et d'ailleurs. Genève, citadelle du calvinisme austère et des flèches rigoureuses d'une circulation " dans l'ordre ", voit à son tour avec stupeur ses étudiants défiler dans les rues. Les étudiants espagnols n'ont certes pas attendu le 10 mai pour nouer des contacts sérieux avec les leaders des commissions ouvrières, organisations illégales et semi-clandestines au sein desquelles le dialogue entre marxistes et chrétiens est permanent et vivant. Face à un appareil politique et policier bien plus sévère qu'en France, dirigeants étudiants et ouvriers s'efforcent depuis au moins deux ans de définir les bases d'une éventuelle action commune contre le régime. Mais la puissance, la profondeur et l'originalité du mouvement étudiant français relancent le débat sur les rapports nouveaux entre l'Université et l'usine. En Italie, les étudiants révoltés vont soutenir les grévistes de la Fiat. A Berlin-Ouest, à Francfort et à Munich les militants du SDS de Rudy Dutschke protestent contre les lois d'exception dont quelques-unes tendent à limiter les libertés syndicales. Dans le creuset de la contestation universitaire, ce thème de la nécessaire confrontation de l'action étudiante et ouvrière est essentiel. Il n'est pas seulement français. Ainsi les débats de la Sorbonne et la " longue marche " vers Boulogne-Billancourt ne sont que les variantes parisiennes d'un phénomène planétaire qui se manifeste avec plus ou moins d'éclat et de violence, depuis l'hémisphère occidental jusqu'à la Chine populaire en passant par Rome et Louvain. On l'a, semble-t-il, un peu oublié, le Mouvement du 22 mars de M. Daniel Cohn-Bendit est né à l'occasion d'une manifestation organisée contre la guerre du Vietnam. Quelques trois cents étudiants de la faculté des lettres de Nanterre entendaient protester contre l'arrestation de plusieurs militants du comité Vietnam national. Dans la nuit du 21 au 22 mars, ils envahissent les bureaux de leur faculté. Sur les murs ils affichent leurs premiers slogans : " Non à l'Université bourgeoise. " Le doyen Grappin accorde, quelques jours plus tard, une salle pour les réunions politiques, mais les leaders du Mouvement du 22 mars ont déjà baptisé un amphithéâtre " Che Guevara ". " Il faut, a écrit le leader révolutionnaire cubain, dans son dernier message, créer deux, trois, plusieurs Vietnams. " La montée dans le monde entier des protestations contre l'intervention américaine au Vietnam a radicalisé les luttes universitaires. " Solidarité avec le Vietnam en lutte " est un slogan qui a rassemblé des étudiants de plus en plus nombreux sur les " campus " de Berkeley ou de Colombia, à Berlin, à Londres, à Madrid, à Rome, à Amsterdam et à Paris. " La révolte étudiante a été déclenchée pour saboter les négociations officielles engagées à Paris entre les délégations des Etats-Unis et du Vietnam du Nord... " Cette " explication " officielle témoigne d'une méconnaissance des véritables courants de l'Université. Car les étudiants les plus " engagés " politiquement, à Paris et ailleurs, ne cherchent leur inspiration ni à Moscou ni même-si l'on fait exception d'une petite minorité qui ne joue pas un rôle dirigeant-à Pékin. A la tentation de remettre en question les bases mêmes de la " société de consommation " correspond, chez les étudiants les plus ardents, la prise de conscience de l'injustice fondamentale des relations internationales. " Croyez-vous, s'écrie un étudiant de la Sorbonne, que l'on puisse être satisfait devant le spectacle de deux milliards d'hommes qui crèvent de faim dans le monde alors qu'un autre milliard vivent dans l'opulence et le gaspillage ? ". Aussi n'est-il pas étonnant que la dénonciation des " lâchetés des grandes puissances devant le drame du tiers-monde " s'accompagne de la " critique virulente " du conformisme et de l'incapacité des partis politiques " traditionnels ", qu'ils soient de droite ou de gauche... MARCEL NIEDERGANG Le Monde du 23 mai 1968

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