Article de presse: L'Inde entre dans une guerre fraîche et joyeuse
Publié le 22/02/2012
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6 septembre 1965 - Les troupes indiennes pénètrent au Pakistan. New-Delhi ordonne la mobilisation générale tandis que Karachi appelle à l'aide ses alliés occidentaux.
C'est un étrange spectacle que de voir un peuple réputé-en Europe plus qu'ici, il est vrai-pour sa non-violence se lancer avec résolution, et même avec enthousiasme, dans une guerre " fraîche et joyeuse ".
Sans doute l'ancienne génération, à laquelle appartiennent les dirigeants du pays, ne manque-t-elle jamais, dans ses discours, de se référer à Gandhi. Mais cette évocation du Mahatma est devenue, au cours des ans, un rite de plus en plus vide de son contenu originel.
Quant aux jeunes, ils ne craignent pas de dénoncer ouvertement ce qu'ils appellent " les sornettes des grands ancêtres ". Même Nehru, dont le souvenir est pourtant plus proche, se voit critiquer aujourd'hui.
" C'est Panditji, disent maintenant beaucoup d'Indiens, qui a rendu notre nation beaucoup trop molle. " Quoi qu'il en soit, l'annonce que les troupes indiennes marchent sur Lahore a déchaîné l'enthousiasme. Si tous les citoyens n'ont pas été aussi loin que ceux de Jammu, où la foule dansait lundi soir dans les rues, la nouvelle de l'offensive contre le Pakistan, annoncée à la radio un peu après midi, a déchaîné une fièvre générale.
A certains égards, l'atmosphère de Delhi ne reflète pas exactement celle du reste du pays. D'abord parce que la société, relativement plus sophistiquée et plus politisée, de la capitale s'intéresse beaucoup plus aux événements que les habitants des quelque cinq cent mille villages indiens, dont beaucoup sont coupés de toute route, et ne possèdent même pas un poste de radio.
Au sein de cette masse paysanne, le Pakistan est sans doute connu comme un " ennemi ", encore que le " danger " que représenteraient les musulmans du voisinage paraisse sans doute beaucoup plus proche. Mais la mention du Cachemire, qui est à l'origine du conflit actuel, n'éveille probablement pas beaucoup d'écho dans l'esprit des villageois isolés. Par ailleurs un tiers de la population de Delhi est composé de réfugiés venus du Pakistan occidental lors du partage de 1947. Tous ont perdu une maison ou un champ, occupés depuis lors par des Pakistanais.
Il a toujours été frappant de voir combien d'habitants de la capitale indienne manifestent une nostalgie profonde à l'égard de ce " paradis perdu " qu'est pour eux la plaisante cité de Lahore. C'est à Delhi peut-être que le dicton " East or West, Lahore is best " est resté le plus vivace.
Les dirigeants de tous les partis politiques n'ont d'ailleurs pas perdu de temps pour rivaliser de patriotisme et pour assurer de leur soutien le premier ministre Shastri. Même les chefs de la Ligue musulmane et ceux des partis dravidiens du Sud, qui ont toujours lutté contre ce qu'ils appellent l' " impérialisme hindou ", se trouvent aujourd'hui au premier rang des " jusqu'auboutistes ".
Certes, toute l'affaire a commencé avec le Cachemire, mais en réalité le conflit prend des proportions beaucoup plus larges dans l'esprit de la plupart des Indiens.
C'est toute l'histoire des relations avec le Pakistan qui arrive à un tournant décisif. De façon obscure et même inconsciente, l'impression s'est développée peu à peu au cours des ans qu'un " règlement de comptes " deviendrait nécessaire un jour ou l'autre, et ici chacun, ou presque, pense maintenant que ce jour est venu.
JEAN WETZ
Le Monde du 8 septembre 1965
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