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Article de presse: L'immigration en Australie

Publié le 17/01/2022

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25 janvier 1950 - L'Australie compte depuis la fin de l'année dernière huit millions d'habitants. Y entreront cette année deux cent mille immigrants, presque tous européens: à peu près cent mille Britanniques, cinquante mille " personnes déplacées ", le reste d'autres nationalités. " Le plus grand flot d'immigrants de notre histoire... ", annonce le gouvernement. L'affirmation est exacte. De 1924 à 1929, il n'était entré, bon an mal an, que quarante mille ou cinquante mille personnes. Auparavant les chiffres étaient moindres. De 1929 à 1946, l'immigration s'est pratiquement interrompue. Il n'est pas moins exact d'affirmer que le programme australien actuel-les deux cent mille immigrants de 1950 ne sont qu'une première tranche-est un des plus hardis qu'aucun Etat ait jamais appliqués. Deux cent mille immigrants représentent 2,5 % de la population australienne. Vers 1810 ou 1815, lorsque les Etats-Unis comptaient environ huit millions d'habitants, comme l'Australie d'aujourd'hui, il n'y entrait en moyenne que vingt-cinq mille personnes par an. De 1840 à 1914, le rapport immigration annuelle-population des Etats-Unis est constamment resté inférieur à 1 %, sauf deux années de pointe vers la fin: en 1907 et en 1914, il atteignit-avec un million deux cent mille immigrants-à peu près 1,3 %. Sitôt après, les vannes se sont presque complètement refermées. L'immigration australienne actuelle est donc deux fois plus rapide que ne l'a jamais été l'immigration américaine. Pour apprécier l'importance de ce phénomène, il ne faut pas oublier dans quel milieu psychologique il est en train de se produire. L'Australie a toujours été un pays de hauts salaires, comparable en cela aux Etats-Unis. Elle entend bien le demeurer; nul ne l'en blâmera. Le désir instinctif des organisations syndicales-presque aussi puissantes dans les " classes moyennes " que dans le " monde ouvrier " -est d'y maintenir l'offre d'emplois à un niveau légèrement supérieur à la demande. D'où une surveillance constante et très stricte de l'immigration. Ainsi pour les Asiatiques, l'interdiction d'entrer est quasi absolue, non seulement parce que les Australiens ne se soucient pas de devoir affronter les problèmes sociaux angoissants que pose à l'Afrique du Sud la cohabitation de plusieurs races, mais surtout parce que des travailleurs asiatiques prêts à accepter n'importe quel salaire seraient pour les employeurs une tentation du diable. A Sydney, j'ai noté la formule de publicité suivante, qui est significative : l'Australie, seul pays du monde où la canne à sucre est cultivée uniquement par des Blancs. L'Australie n'est pas un eldorado. J'y ai rencontré beaucoup de Britanniques arrivés depuis quelques années, et qui m'ont dit : " Pas de doute : il est plus facile de se faire une situation ici qu'en Angleterre. " J'y ai rencontré aussi beaucoup de non-Britanniques, dont la plupart se plaignaient : " Nous n'avons pas trouvé d'emploi qui corresponde à ce dont nous sommes capables. " Faut-il s'étonner que le " cousin de langue anglaise " ait dans son jeu des atouts que l' " étranger " ne possède pas ? Ou que, dans un pays où la main-d'oeuvre manque, presque tous les emplois libres soient aussi les plus ingrats ? Les non-Britanniques, en particulier les " personnes déplacées ", sont habituellement tenus d'accepter pendant deux ans le travail que les autorités australiennes leur offrent, où que soit le lieu de ce travail. Faute de maison pour les Australiens eux-mêmes, on est bien obligé de les loger pendant quelques mois dans des camps, où leur sont enseignés les rudiments de l'anglais. Tout cela, évidemment, ne va pas sans frictions assez pénibles. Un fait est incontestable, pourtant: compte tenu des difficultés locales, les autorités australiennes s'efforcent d'arrondir les angles et d'agir de sorte que leur plan soit finalement pour tous un succès. Au rez-de-chaussée des rues principales des grandes villes, les vitrines des services d'immigration exposent des photographies lumineuses, des panneaux attrayants. Il ne s'agit peut-être pas que de guider et d'aider les " nouveaux Australiens ". Il s'agit aussi de persuader les anciens qu'on travaille dans leur intérêt. " Les immigrants enrichiront l'Australie. " " Soyez tolérants : comprenez les autres cultures ! " " Qui sont les nouveaux Australiens ? Des hommes et des femmes qui ont souffert de la tyrannie nazie; des soldats qui combattirent avec vous. " Les réunions communes, les festivals, se multiplient. Les naturalisations en groupe se font solennellement. Deux cent mille immigrants pour chaque année à venir; la population de l'Australie portée de 8 millions à 10 millions en 1960; doublée en une génération : tel est le programme officiel. Programme qui s'impose aux meilleurs esprits pour deux raisons évidentes. La première, que l'on proclame : l'Australie manque de bras. La seconde, que l'on ne mentionne qu'à mi-voix, mais à laquelle chacun pense : l'effroyable densité des nations asiatiques. Quatre-vingts millions de Japonais, 75 millions d'Indonésiens, 50 ou 60 millions d'Indochinois, Malais, Birmans et Siamois, 425 millions d'Indiens et de Pakistanais... De quoi faire frémir ! " L'immigration, à l'échelle que nous avons adoptée, déclare le ministre Holt, est un grand risque et une grande aventure. Mais c'est un risque que nous devons accepter pour survivre. " PIERRE FREDERIX Le Monde du 1er janvier 1950

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