Article de presse: Liban, III.- 1982-1983: l'intervention israélienne
Publié le 17/01/2022
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6 juin 1982 - L'invasion commence le 6 juin. Le 13, le rêve fou des chrétiens auquel eux-mêmes avaient cessé de croire, cauchemar des Palestiniens, des Syriens et du magma d'organisations islamiques ou " progressistes " du secteur ouest de la capitale, s'est réalisé : les Israéliens à Beyrouth. A vrai dire, les chrétiens manifestent plus que d'autres leur contentement, traitant les soldats israéliens qui s'égaillent dans leur territoire en " vieux copains ", mais ils ne sont pas seuls à être satisfaits : par " ras-le-bol " des Palestiniens, au Sud, la population chiite accueille très bien l'armée israélienne les druzes ne leur manifestent pas d'hostilité farouche.
Mais si jusque-là leur campagne militaire se déroule vite et bien, les Israéliens, une fois qu'ils ont mis le siège autour de Beyrouth-Ouest, rencontrent résistance et complications.
Un espoir nommé Bechir
Menahem Begin en tête, chacun à Jérusalem cherche à engager Bechir Gemayel et ses miliciens dans la bataille de Beyrouth. Il résistera jusqu'au bout à ces pressions, convaincu que cela empêcherait la réalisation de son nouveau dessein : accéder à la présidence de la République. Ce qu'il réalisera le 23 août 1982, à l'arraché, et il sera assassiné le 14 septembre par un membre chrétien maronite du PSNS (Parti syrien national social, ex-Parti populaire syrien), formation libanaise qui figure parmi les alliés de Damas.
Entre l'élection de Bechir Gemayel et sa mort tragique, le Liban vit un état de grâce. Son jeune président parvient à entraîner l'adhésion non seulement des chrétiens-ils sont, à l'exception principale des Frangié au Nord, enthousiastes,-mais aussi progressivement celle d'une bonne partie des musulmans, à qui " Bechir " ne déplaît plus tellement. Ceux-ci en viennent à se demander si, après tout, ayant été débarrassés, fût-ce par Israël, des Palestiniens et des Syriens au Sud et à Beyrouth, il n'est pas temps d'en finir avec cette " guerre des autres " par un arrangement entre Libanais. Un vent d'espoir souffle sur le pays, tandis qu'une vive ferveur nationale gagne toutes les communautés.
C'est que, dans le courant de ces trois semaines, les Palestiniens ont lâché pied : leurs combattants ont évacué Beyrouth-Ouest en même temps que les soldats syriens qui y étaient bloqués, aux termes d'un accord négocié avec Israël à travers l'émissaire américain Philip Habib, qui ne leur garantissait finalement rien d'autre que le droit de partir sains et saufs, le kalachnikov au poing. Ils devront d'ailleurs remiser leurs armes dans chacun des sept pays arabes où ils seront disséminés. Poignant départ! Bien qu'ils aient fini par excéder la population musulmane de Beyrouth-Ouest avant même qu'elle ne subisse à cause d'eux les affres d'un dur siège et d'implacables bombardements israéliens, une émotion profonde s'empare de la demi-ville plongée dans l'enfer lorsque les fedayins la traversent en convoi vers le port, faisant de la main un " V " dérisoire.
Les derniers jours, lorsque l'hallali va, de toute évidence, être sonné, les " damnés de la terre " palestiniens suscitent la solidarité apitoyée de ceux-là mêmes qui, à Beyrouth-Ouest, s'étaient mis à les exécrer après les avoir adulés dans les années 70. Ils sont littéralement pourchassés d'un immeuble à l'autre par l'aviation israélienne, qui les anéantit avec les infortunés habitants sous ses bombes à implosion. Le chef de l'OLP, Yasser Arafat, n'a d'autre ressource que de tourner en rond durant des heures en voiture dans les rues d'un Beyrouth-Ouest rétréci comme une peau de chagrin.
Sabra et Chatila
C'est la fin d'un monde : après la mort, dès 1975, de Beyrouth l'insouciante, la cosmopolite, voici que Beyrouth la palestinienne disparaît sous les coups de boutoir israéliens, en ce torride été 1982.
Mais, une fois passé ce moment d'émotion, les musulmans libanais n'ont rien de plus pressé que d'oublier la " période palestinienne ". Lorsque se produit l'effroyable massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila (un millier de morts), commis par des miliciens chrétiens dans le sillage de l'entrée de l'armée israélienne, dans le secteur assiégé de la ville, au lendemain de l'assassinat de Bechir Gemayel, ils se voilent pudiquement la face. Même aujourd'hui, alors qu'ils se battent de nouveau contre le camp chrétien, mais plus pour le compte des Palestiniens, nombreux sont les chiites notamment qui continuent à percevoir les Palestiniens en ennemis.
Déçus par le refus de Bechir Gemayel de livrer avec eux la bataille de Beyrouth-Ouest, les Israéliens n'en perdent pas moins, avec sa disparition, une précieuse pièce sur l'échiquier libanais. L'élection de son frère, l'actuel président Amine Gemayel, ne fait guère leur affaire. Elle témoigne néanmoins, sur le plan intérieur, de la volonté de toutes les communautés de continuer à croire à la paix restaurée.
La livre libanaise, en effaçant en quelques jours la quasi-totalité de son lent effritement des huit années de guerre, symbolise elle aussi la persistance de l'espoir.
Est-il alors entièrement sans fondement ? Israël a entrepris sa besogne dans son plus strict intérêt, mais la ville de Beyrouth n'en est pas moins débarrassée de la résistance palestinienne. Les Libanais, pour une fois, ne demandent qu'à s'entendre. Leur armée, brusquement ressuscitée, prend le relais des Israéliens, contraints par Washington de se retirer aux abords de la capitale. Elle vide, après eux, les dépôts d'armes par dizaines.
Puis les Etats-Unis prennent directement les choses en main et constituent avec la France, l'Italie et la Grande-Bretagne une " force multinationale " qui débarque une première fois en août 1982 pour permettre la sortie des fedayins dans l'honneur et la sécurité, une deuxième fois en septembre pour protéger les camps palestiniens. Après la FAD (Force arabe de dissuasion, à large dominante syrienne) et l'OLP, la " multinationale " : les armées des nantis succèdent à celles des gueux.
Velléitaires et hésitants durant toute la guerre du Liban, les Américains paraissent enfin s'être dotés d'une politique à l'échelle du Proche-Orient et prendre appui sur le Liban pour la mettre en application.
Pourquoi pas la paix ? Les Libanais y croient et, par dizaines de milliers, rentrent au pays pour participer à sa renaissance.
LUCIEN GEORGE
Le Monde du 18 avril 1985
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