Article de presse: Liban, II. -1977-1981: le jeu syrien
Publié le 17/01/2022
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26 octobre 1980 - Aux pieds du soldat syrien éberlué, quelques paquets de friandises et des bouquets de fleurs. C'est le premier Noël de ce que l'on croit être au Liban l'après-guerre, en décembre 1976. A l'appel d'un journal du camp chrétien, des Libanais de bonne volonté déposent des cadeaux aux postes de l'armée syrienne amie à Beyrouth-Est " pour remercier ces hommes qui ont froid dans les rues afin que nous passions les fêtes en paix ".
Un an et demi plus tard, juin 1978, les mêmes quartiers de Beyrouth-Est, noyés de chaleur, sont écrasés par les obus des Syriens, et Camille Chamoun rugit à leur adresse : " Rentrez chez vous ! " Bechir Gemayel amorce son irrésistible ascension. La bataille syro-chrétienne, qui durera trois ans, conflit majeur de la deuxième phase de la guerre du Liban, a commencé.
Dans l'intervalle, 1977 fait figure d'année creuse de la guerre. C'est pourtant l'année-clé. A l'ombre tutélaire de Damas, la vie reprend un peu partout au Liban. Cela est particulièrement remarquable à Beyrouth, qui se recycle rapidement dans la coexistence d'antan, le centre-ville se ranimant de mille étals devant les décombres des boutiques qui furent florissantes avant guerre.
Plus jamais on ne reverra cela. Pas même en 1983, quand, une nouvelle fois, les Libanais, plus exactement alors les Beyrouthins, auront le sentiment que la guerre est derrière eux.
Israël retourne la situation
Mais Israël veille au grain en cette première année de la pax syriana.
Intéressé à voir Damas engagé au Liban dans un partage des rôles de facto avec lui, l'Etat hébreu n'entend toutefois pas laisser les Syriens mettre leur nez au Sud, ni gouverner, du moins tranquillement, à travers les chrétiens-ou d'autres-le reste du pays. Israël s'engage donc dans un patient travail de sape de l'alliance syro-chrétienne, alors que celle-ci porte ses fruits : remise en place des structures institutionnelles autour d'un président de la République, Elias Sarkis, agréé de tous, coopération amicale entre dirigeants syriens et chrétiens libanais. Même Bechir Gemayel se rend à l'époque à Damas.
Les Syriens se portent fort de la participation positive de l'islam modéré au pouvoir et de la mise au pas des " progressistes " et des Palestiniens, donnant des gages de leur détermination à les mâter.
Kamal Joumblatt, assassiné, disparaît de la scène, quelques accrochages provoqués à bon escient par la Saïka pro-syrienne rappellent à Yasser Arafat qu'il a intérêt à se tenir coi.
Israël va abattre systématiquement ce bel édifice en frappant ses deux points faibles. Au sud, l'opération " bonne frontière " se développe. La milice du commandant Saad Haddad, qui deviendra en 1980 l'Armée du Liban sud, est renforcée.
La milice chrétienne unifiée de Bechir Gemayel, les Forces libanaises, est prise en charge de façon ostentatoire par l'armée israélienne. Ses hommes sont entraînés près de Haïfa avec rotation régulière d'effectifs, traités en amis et l'objet d'une flatteuse admiration-qui s'évanouira en 1982-1983 pour faire place à une condescendance hostile,-équipés y compris en chars Sherman, inutiles, en tout cas jamais utilisés, mais bons pour agacer et gêner les Syriens quand on les exhibe dans des parades à Beyrouth-Est.
Traités de si flatteuse façon, enclins au demeurant à préférer l'Israélien au Syrien, pour lequel le chrétien moyen nourrit antipathie et mépris- " Soyez ce que vous avez toujours été : de bons concierges et de bons ouvriers de chantier ", leur dira Camille Chamoun,-les miliciens de Bechir Gemayel sont insensiblement entraînés vers des tiraillements, puis des accrochages, enfin un long et sanglant conflit avec l'armée syrienne.
Les ruades des chrétiens
1977, année (presque) sans morts, sans événement majeur, sans date-jalon, sans conflit nouveau, en un mot sans relief, est donc bien l'année charnière durant laquelle les Israéliens retournent la situation durablement et profondément, de façon à alimenter sous différentes formes la guerre au Liban durant les années suivantes.
Après s'être montrés très patients en 1977 malgré un harcèlement de plus en plus agressif de leurs troupes dans les zones chrétiennes, les Syriens changent donc radicalement d'attitude. Ils saisissent l'occasion de la tragique expédition d'Ehden, au cours de laquelle un commando des Forces libanaises assassine Tony Soleiman Frangié, fils de leur plus fidèle ami chez les chrétiens, sa femme, sa fille et trente-deux autres personnes, entraînant une scission du camp chrétien, pour se retourner contre les alliés ingrats et insupportables qu'ont été les autres chrétiens. Ceux-ci sont en train de trouver un chef en Bechir Gemayel.
C'est alors, en deux temps, juillet et surtout octobre 1978, un déluge de fer et de feu sur Beyrouth-Est à partir des batteries syriennes qui la surplombent et dont certaines se trouvent à l'intérieur même de ses quartiers. Mais le président Hafez El-Assad est un maître de la Realpolitik : ayant durement signifié aux chrétiens qu'ils ne le chasseraient pas de leur territoire à leur gré, il s'en retire à son heure, et, plutôt que de s'y laisser enferrer, il l'enserre de toutes parts, gardant les crêtes des montagnes à l'est, renforçant leur nouvel ennemi, Soleiman Frangié, au nord, et leurs ennemis de toujours, les " palestino-progressistes ", à l'ouest et au sud-ouest.
Un modus vivendi s'établit, avec une ligne de démarcation où les échanges d'obus deviennent routine.
C'est à cette époque que les Libanais parviennent, à force d'ingéniosité et de travail hors de chez eux, notamment dans le Golfe alors prospère, à instaurer cette paradoxale " guerre dans l'abondance " qui durera jusqu'en 1984.
Une première invasion
La guerre syro-chrétienne, après deux années de routine, connaît une nouvelle éruption grave en 1981.
Israël a largement dépassé le stade des représailles et même des opérations préventives au Liban contre la résistance palestinienne.
Une première invasion, en 1978, qui apparaîtra limitée au vu de celle de 1982, entraîne la création de la FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban), qui ne règle rien. Elle consolide en l'élargissant la bande frontalière sous la protection d'Israël, mais lui sert aussi de matelas de sécurité. Les raids aériens sur Beyrouth, la destruction des ponts reliant le Sud au reste du pays, préfigurent en 1981 la grande invasion de l'année suivante.
LUCIEN GEORGE
Le Monde du 17 avril 1985
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