Article de presse: Les surplus américains
Publié le 17/01/2022
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novembre 1997 - Masqué par la crise boursière, l'événement est presque passé inaperçu. Il est pourtant considérable. Pour la première fois depuis plus de trente ans, l'Etat fédéral américain termine son exercice fiscal sur un bilan presque équilibré. Le déficit prévu pour 1997 (1er octobre 1996-30 septembre 1997) devait être de 125 milliards de dollars (750 milliards de francs). Il n'aurait été que de 22,6 milliards ! Depuis l'arrivée de Bill Clinton à la Maison Blanche, en 1992, l'évolution est spectaculaire. Le déficit, ce mal que l'on disait endémique, y est tombé de 290 milliards de dollars à 22 milliards, de 4,8 % du produit intérieur brut à 0,3 % à peine.
Alors que la France tente de réduire ses déficits, l'Amérique est ainsi engagée dans un autre débat : que va-t-elle faire des surplus que devraient dégager, dans les années à venir, ses finances publiques ! Cette perspective n'est peut-être ni aussi proche, ni aussi certaine que veulent bien le croire démocrates et républicains réunis. Les finances de l'Etat américain sont, elles aussi, infectées par de nombreuses bombes à retardement. Le financement, à terme, de certains programmes sociaux (Medicaid et Medicare notamment, l'aide médicale aux personnes à faible revenu et aux personnes âgées) n'est pas vraiment assuré. Les réformes de structure ont été reportées à 1999, c'est-à-dire après les élections de novembre 1998. Il n'est pas inutile, pourtant, de s'interroger sur les voies qui ont permis cette contraction de l'impasse budgétaire outre-Atlantique.
Le facteur décisif, c'est naturellement la croissance. Régulière et soutenue depuis le printemps 1991, celle-ci a engagé les finances publiques américaines, celles de l'Etat fédéral comme celles des autres collectivités territoriales d'ores et déjà excédentaires, dans un véritable cercle vertueux. La croissance y a favorisé, par exemple, la création d'emplois. Davantage d'emplois, ce sont davantage de revenus, davantage d'impôt sur le revenu et donc davantage de recettes fiscales. Côté dépenses, davantage d'emplois, ce sont moins de chômeurs et donc, moins de prestations versées aux chômeurs.
La bonne santé de l'économie a aussi favorisé une envolée des cours des actions à Wall Street et un gonflement des gains réalisés sur les marchés financiers. Le budget américain en a lui aussi profité, avec une augmentation sensible des recettes tirées des taxes sur les plus-values boursières. La contraction du déficit, année après année, a enfin permis un ralentissement dans la progression de la dette publique. Elle a ainsi favorablement pesé sur les taux d'intérêt et finalement sur les charges de la dette payées par l'Etat.
Si la croissance a favorisé la baisse du déficit, qu'est-ce alors qui a favorisé la croissance ? C'est une " policy mix " pertinente, comme disent les économistes, c'est-à-dire un bon équilibre entre les politiques monétaire et budgétaire. Après avoir mené une politique plutôt restrictive visant à inciter l'Etat à la rigueur, la Réserve fédérale a progressivement assoupli sa politique monétaire. Des taux d'intérêt faibles et un dollar bas ont largement aidé, pendant toute une partie de la période, au soutien de l'activité. Dans le même temps, l'Etat a marqué une nette détermination à réduire son déficit. L'accord d'août dernier, entre le Congrès et la Maison Blanche, visant à l'élimination du déficit budgétaire d'ici à l'an 2002, s'inscrit dans cette perspective.
En 1992, le candidat Bill Clinton avait promis un vaste plan de relance. Il y a renoncé et a mené, au contraire, une active politique de réduction des dépenses de l'Etat. Avec une nouvelle diminution des crédits militaires, la réforme de l'administration, la contraction des effectifs publics et la remise en cause de certains programmes sociaux, il a réussi à stabiliser le poids de la dépense publique dans l'ensemble du PIB autour de 33 %, contre 54 % en France.
Dans le même temps, il est parvenu à accroître rapidement les recettes du Trésor. Pour cela, contrairement à une tradition européenne, il n'a pas procédé à une augmentation générale des taux de certains impôts. Au contraire, il a accepté d'en réduire quelques-uns comme ceux qui pèsent sur les gains en plus-values. Les rentrées fiscales s'en sont trouvées brusquement gonflées. C'est d'ailleurs, en 1997, ce qui explique la réduction bien plus forte que prévu du déficit. Les experts américains sont à la recherche des origines de quelque 46 milliards de dollars de recettes fiscales inattendues. En France, Bercy est en quête des causes de nombreuses moins-values fiscales.
Même si elle s'inscrit dans un environnement très différent de celui de l'Europe (une monnaie impériale, des marchés dérégulés, etc.), l'expérience américaine illustre une nouvelle fois qu'une réduction des déficits publics n'est pas incompatible avec la croissance et l'emploi. Elle démontre même plutôt que, bien gérée, une contraction du déficit peut être facteur de croissance et d'emplois.
ERIK IZRAELEWICZ
Le Monde du 4 novembre 1997
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