Article de presse: Les onze pays admissibles
Publié le 17/01/2022
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2 mai 1998 - La France, l'Allemagne et l'Italie ont à leur tour rendu publics vendredi 27 février les résultats de leurs finances publiques pour 1997. Ceux-ci confirment que les onze pays désireux de participer au lancement de l'euro au 1er janvier 1999 ont réussi à tenir le principal engagement qu'ils avaient souscrit, celui de limiter leur déficit budgétaire à un maximum de 3 % du produit intérieur brut (PIB). Le gouvernement de Lionel Jospin, arrivé au pouvoir en juin 1997 en jurant de ne pas se laisser impressionner par le fétichisme du "Dreikommanull" ("Trois-virgule-zéro", en allemand) imposé par le ministre des finances de Bonn, Theo Waigel, a finalement lui aussi rendu une copie dans les normes. Et les Allemands, après avoir bien cru qu'ils n'arriveraient pas eux-mêmes à respecter la discipline qu'ils réclamaient aux autres avec intransigeance, peuvent faire valoir, sans pavoiser, que leur effort est méritoire compte tenu des charges de la réunification.
La Commission de Bruxelles et l'Institut monétaire européen, qui sont les destinataires de ces chiffres, vont pouvoir maintenant se mettre à l'ouvrage pour préparer leurs rapports sur l'état de convergence des économies européennes. Ils disposent de quelques semaines, jusqu'au 25 mars, pour rendre leurs conclusions et, en ce qui concerne la Commission, faire des recommandations. En tenant compte des chiffres officiels de 1997 et des prévisions budgétaires des gouvernements pour 1998, ils devront juger de l'effort accompli par les pays signataires du traité de Maastricht pour faire converger "dans la durée" leurs politiques économiques et financières. Cet effort est mesuré par leur capacité à respecter les objectifs que les Quinze se sont donnés en matière de déficits publics, d'endettement, d'inflation et de taux d'intérêt.
Mis à part la Grèce, qui continue de représenter un cas à part dans l'Union, les résultats d'aujourd'hui témoignent de la volonté des gouvernements, quelle que soit leur coloration politique, de respecter les règles du jeu. C'est d'autant plus remarquable que trois des pays concernés (Grande-Bretagne, Danemark et Suède) n'ont pas l'intention, pour des raisons politiques, de se joindre dans l'immédiat à la zone euro, ce qui ne les empêche pas de suivre le mouvement général. La crise monétaire des années 1992 et 1993, qui a fortement secoué le système monétaire européen et le marché unique, est désormais du passé. Les valeurs des monnaies européennes se sont peu à peu rapprochées d'un degré de stabilité jamais atteint jusque-là et qui va permettre début mai, lorsque sera connue la liste des pays autorisés à adopter l'euro, de geler en douceur, et une fois pour toutes, les parités entre elles.
Les chiffres publiés ces derniers jours appellent un certain nombre de remarques. Tout d'abord, il devient difficile de parler d'un Nord vertueux et d'un Sud fragile. Chacun a ses problèmes. On l'a vu avec les difficultés de l'Allemagne et de la France à contrôler leurs dépenses. Les Pays-Bas connaissent actuellement un dérapage de leur inflation. La Suède et la Belgique ont elles aussi des taux d'endettement préoccupants. Il faut ensuite souligner la grande réussite de l'Espagne, du Portugal et de l'Irlande, considérés avec la Grèce comme les pays les plus défavorisés de l'Union et qui sont revenus de très loin pour se couler dans le moule général. Ils ont certes bénéficié d'une aide substantielle à travers le fonds de cohésion mis en place pour eux, mais leurs résultats ne s'expliqueraient pas sans le consensus politique existant dans ces pays sur la nécessité de l'intégration européenne. Leur réussite se mesure non seulement à leur capacité à contrôler leurs déficits publics (l'Irlande est la seule avec le Luxembourg à connaître un dépassement), mais aussi à voir leurs taux d'intérêt rejoindre la moyenne communautaire. Ils ont connu en 1997 les taux de croissance les plus élevés des Quinze (8,3 % pour l'Irlande, 5,8 % au Portugal, 3,4 % en Espagne) et peuvent espérer petit à petit rattraper leur retard en matière de revenu par habitant et, pour l'Espagne, voir baisser son chômage record.
"Excellente situation"
Ces trois pays bénéficient en matière d'endettement public d'une situation satisfaisante par rapport à la moyenne. L'Irlande peut donner l'exemple, passée d'un ratio de dette par rapport au PIB de 96 % en 1993 à 67 % en 1997. On est loin des taux records de la Belgique et de l'Italie, qui frôlent encore les 120 %, ce qui fait peser en permanence une épée de Damoclès sur leur santé financière. La moindre hausse de taux d'intérêt s'y traduit par une hausse substantielle du service de la dette, et donc du déficit. C'est bien ce qui continue d'inquiéter dans le cas de l'Italie, obligée de jongler pour payer les intérêts de sa dette et qui a bien du mal à trouver les moyens de comprimer ses autres dépenses.
Pour le moment, les gouvernements ont tout lieu de se féliciter des résultats affichés, qui permettent de poursuivre le dur chemin de croix en cours. "Excellente situation, très encourageante", commente-t-on à Bruxelles, en notant que pratiquement tous les clignotants sont au vert. La croissance, plus forte qu'attendu au second semestre 1997, a aidé à réduire les déficits publics plus nettement que prévu. Mais ces résultats flatteurs ont surtout été rendus possibles parce que les gouvernements, en dépit de la très bonne conjoncture, n'ont pas relâché leur effort.
"Ce à quoi on assiste maintenant valide les orientations prises il y a quelques années : l'assainissement budgétaire permet d'avoir une croissance saine. L'Europe crée de l'emploi, voit son chômage diminuer. Ce n'est certainement pas le moment d'inverser le cap", fait-on valoir dans l'entourage d'Yves Thibaut de Silguy, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires. Faut-il prendre au sérieux le risque de déflation agité par quelques-uns ? "La déflation, c'est une baisse des prix et de la valeur des actifs généralisée. On n'en est pas là. Avec la croissance actuelle, la moyenne des prix ne va sans doute plus baisser. Le niveau très bas atteint en janvier dans certains pays membres, dont la France (moins de 1 % en rythme annuel), s'explique par les cours très bas de l'énergie et par les soldes", estime un expert. Pour lui, les risques d'une détérioration de la situation conjoncturelle, notamment en raison de la crise asiatique, sont minimes, sinon inexistants, et la reprise, qui ne repose plus uniquement sur les exportations, tout à fait rassurante.
HENRI DE BRESSON et PHILIPPE LEMAITRE, avec nos correspondants en Europe
Le Monde du 28 février 1998
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