Article de presse: Les équipements classiques ont un bel avenir

2 avril 1982 - La guerre des îles Malouines aura apporté la confirmation qu'un Etat nucléaire, parce qu'il peut être défié, voire agressé, par un Etat non nucléaire, a intérêt à conserver des forces classiques très bien armées et entraînées plutôt que très nombreuses, pour riposter sur le même mode que son adversaire. Tel est l'enseignement principal de ce conflit, qui ne fut pas une " promenade militaire " pour le Royaume-Uni-comme l'avaient cru initialement des admirateurs de l'armée britannique,-même si les Argentins, de leur côté, ont, présumant de leurs forces, eu le tort d'attaquer trop tôt : un an plus tard, la marine britannique, qui envisageait de vendre ou de désarmer certains de ses navires, n'aurait pas eu les moyens de relever le gant. Aujourd'hui, les industriels de l'armement, dans le monde, rivalisent à coups de communiqués et de comptes rendus contradictoires, dans les analyses qu'ils font de l'après-conflit. Chacun vante les mérites qu'il attribue à son matériel, et cette concurrence est la plus vive entre Britanniques et Français en raison, principalement, des performances prêtées au missile Exocet. La réalité est plus complexe et les enseignements à tirer, de part et d'autre, sans doute plus nuancés. 1-Le sous-marin d'attaque à propulsion nucléaire a, face à une modeste marine de guerre, assumé pleinement son devoir de dissuasion. Le Conqueror, en coulant le croiseur General-Belgrano à sa deuxième torpille, a vidé l'océan et contraint la flotte argentine à se réfugier dans les ports. Ce qui a donné l'impression à une garnison inexpérimentée et installée de façon précaire sur des îles battues par l'hiver austral qu'elle était laissée à elle-même, sans l'espoir d'un deuxième échelon de renfort. D'où la décision de l'Argentine de commander de nouveaux sous-marins à des chantiers ouest-allemands. 2-L'aviation basée à terre, l'aviation et les hélicoptères embarqués ont joué, dans les deux camps, un rôle prépondérant. En armant le tandem Super-Etendard-Exocet, l'aéro-navale et l'armée de l'air argentines ont présenté un outil militaire adapté à la situation et, de leur côté, les porte-aéronefs britanniques, malgré des handicaps techniques, ont été l'instrument du succès. D'où, là encore, le choix, dès le conflit terminé, de l'Argentine, qui a pratiquement reconstitué le potentiel de combat de son armée de l'air, et la décision de la Grande-Bretagne de conserver ses porte-aéronefs, dont les capacités de veille-radar et d'autodéfense rapprochée seront améliorées. 3-La guerre électronique et l'utilisation, intensive, des missiles de toutes catégories ont bouleversé la bataille tactique. Mais il s'agit, en la circonstance, d'une confirmation des leçons précédentes, déjà tirées au Proche-Orient avec les conflits entre Israël, la Syrie et l'OLP, au Liban, ou entre l'Irak et l'Iran. On notera seulement que les Anglais ont dû apprendre à se protéger contre leurs propres armes, vendues aux Argentins. 4-Les moyens aériens-satellites ou avions spécialisés-de surveillance et de transmission sont, désormais, indispensables à la conduite d'une guerre depuis un PC lointain. 5-Dans des conflits très localisés, champs clos d'un affrontement entre deux Etats qui s'interdisent d'en appeler à l'aide d'alliés plus puissants, des troupes aguerries, motivées et entraînées peuvent faire aisément contrepoids à des troupes plus nombreuses et moins instruites. Surtout, comme ce fut le cas aux Malouines, si cette force de professionnels use de l'intoxication et de la désinformation, techniques chères à l'Intelligence Service. JACQUES ISNARD Le Monde du 13-14 avril 1983