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Article de presse: Léon Jouhaux 38 ans à la tête de la CGT

Publié le 22/02/2012

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jouhaux
28 avril 1954 - On le surnommait " le général " ou " le pape "... Dans sa jeunesse, en raison de sa lecture assidue de Nietzsche, on l'appelait " Zarathou ". Plus méchamment, ses adversaires syndicaux parlaient de lui en disant " le mur ". Avec sa petite barbiche, son grand chapeau et sa pipe légendaire, son allure de tribun méridional qui ne dédaignait pas en fin de banquet les " chansons à boire ", ou les romances, Léon Jouhaux ne laissait personne indifférent. André Tardieu, qui avait été long à apprécier ce syndicaliste qui se méfiait des partis politiques, avait eu en 1929 une formule ambivalente des sentiments qu'on lui portait : " Jouhaux est un homme qui est victime de son ventre; mais derrière ce ventre, il y a un coeur. " Jouhaux a profondément marqué toute l'histoire du syndicalisme en France. Né à Paris le 1er juillet 1879, il n'avait que seize ans lors de la création de la CGT en 1895. Mais il en fut le secrétaire général pendant trente-huit ans, épousant ainsi les contours de son histoire tourmentée. Il reste aujourd'hui comme l'homme qui a vécu, bon gré mal gré, trois scissions, en 1921, en 1939 et en 1947, et... deux réunifications, en 1936 dans l'euphorie précédant le Front populaire, et en 1943 lorsque la Résistance gommait les différences. Une vie tout entière consacrée au syndicalisme- " Le syndicalisme, disait-il en 1927, il est ma foi, il est ma religion, il est mon but, il est mon idéal. J'ai foi en la classe ouvrière, je suis d'elle, je me suis élevé avec elle, c'est elle qui m'a formé : la trahir, jamais! " -et couronnée en 1951 par le prix Nobel de la paix. Léon Jouhaux était le petit-fils d'un communard fusillé en 1871. Son père, allumettier, était devenu aveugle. A treize ans, il est apprenti armurier avant de travailler dans une savonnerie d'Aubervilliers puis dans une fabrique de papiers peints. A seize ans, il entre à la Manufacture des allumettes. Pendant son service militaire, chez les zouaves à Alger, il fait quinze jours de prison pour " cris séditieux ". Les Allumettes le mettent à pied mais, grâce à une intervention de Clemenceau, il est réintégré. Rapidement, il se lance dans le militantisme syndical, au point d'être élu secrétaire général de la fédération des allumettes. En 1909, il succède à Louis Niel comme secrétaire général de la CGT. En août 1914, il est nommé " délégué à la Nation " et en 1919, il participe comme conseiller technique à la conférence de Versailles. Assigné à résidence à Cahors par le régime de Vichy, il est interné à Evaux puis, pendant deux ans, dans le Tyrol par les Allemands. Le 8 mai 1945, il retrouve la France. En avril 1947, il est élu président du Conseil économique. C'est alors qu'il venait d'apprendre sa réélection qu'il succombe, le 28 avril 1954. Jouhaux se confond avec l'histoire de la CGT, dont il s'efforça de préserver l'indépendance. En 1921, c'est la première scission, les communistes minoritaires constituant la CGT-unitaire. Promoteur au sein de la CGT de la planification préconisée pour l'organisation de l'économie, Jouhaux ne se résigne pas à la division. Unitaire, il l'est par sentiment mais aussi par conviction. En 1936, les alliances politiques à gauche aidant, c'est le congrès de la réunification à Toulouse : " L'unité est scellée à bloc ", écrit-il, ajoutant, à l'intention des sceptiques : " Les communistes ? Je les mets dans ma poche. " Trois ans plus tard, le 18 septembre 1939, c'est de nouveau la rupture à la suite du pacte germano-soviétique, les communistes étant écartés du bureau confédéral. Prisonnier des Allemands, Léon Jouhaux n'est qu'indirectement l'artisan-par Louis Saillant interposé-de la nouvelle réunification opérée par les accords du Perreux, le 17 avril 1943. A son retour de captivité, la vieille CGT a changé, et les amis du " général ", regroupés autour de l'organe Force ouvrière, représentent moins du tiers du comité confédéral national. Un nouveau divorce est inéluctable. Il doit partager son pouvoir avec Benoît Frachon, membre du bureau politique du PC, alors que l'appareil est majoritairement dominé par les communistes. Pourtant Jouhaux tente d'éviter la scission, mais elle se produit, malgré lui, en décembre 1947. Président de FO, il lance à titre personnel Démocratie combattante, " mouvement universel pour la paix, le progrès social et les droits de l'homme ", immédiatement combattu par les Américains. Il ne reste plus à Jouhaux que les honneurs et... les déceptions. Méfiant à l'égard du monde politique, Jouhaux a pourtant joué aussi un rôle politique. Clemenceau puis Léon Blum (avec lequel il n'avait guère d'affinités) lui proposèrent un portefeuille ministériel. Il refusa, mais on n'oublia jamais de demander l'avis du secrétaire général de la CGT pour le choix du ministre du travail. S'il a collaboré étroitement à la " politique nouvelle " mise en place au moment du Front populaire, il a toujours tenu à maintenir les distances avec le Parti socialiste : " Nous ne sommes pas liés au Parti socialiste. Socialiste de conception, d'esprit, je le suis, socialiste de parti, je ne le suis pas. " Jouhaux s'efforça aussi de jouer un rôle international. On le vit à la fois dans le bureau de Staline et dans celui de Roosevelt. Le petit allumettier était entré dans l'histoire. MICHEL NOBLECOURT Janvier 1985

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