Article de presse: Le troisième tour
Publié le 17/01/2022
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19 décembre 1965 - L'élection présidentielle donne une image simplifiée d'une situation confuse. Ce n'est évidemment pas celle de la gauche et de la droite.
François Mitterrand a eu en effet beaucoup d'électeurs de droite et d'extrême droite, beaucoup plus que le général de Gaulle n'a eu de voix de gauche et d'extrême gauche. Rien de moins homogène que leur corps électoral, non plus que l'héritage de Jean Lecanuet. Le deuxième tour a confirmé à cet égard la leçon du premier. Cette frontière qu'il a brutalement tracée n'est pas davantage celle qui sépare les républicains de ceux qui ne le seraient pas, à moins de considérer qu'un citoyen devient républicain du seul fait qu'il ne pardonne pas l'indépendance de l'Algérie et qu'un autre cesse de l'être du seul fait qu'il témoigne sa fidélité à l'homme du 18 juin.
L'image du scrutin n'est pas même celle du gaullisme face à l'opposition, puisque parmi les électeurs du général se trouvent un certain nombre d'électeurs qui avaient voté pour les partis d'opposition en 1962 et voteront de nouveau pour eux aux élections législatives de 1967. Elle est celle d'un homme face aux oppositions.
Ses électeurs ont voté pour sa personne, son passé ou sa politique et pour les plus gaullistes, pour tout cela à la fois. Ses adversaires ont voulu voter les uns contre sa politique algérienne avec Jean-Louis Tixier-Vignancour, les autres contre sa politique européenne avec Jean Lecanuet les derniers, les plus nombreux, contre sa politique générale et son style avec Waldeck Rochet et Guy Mollet. Ainsi se dessinent plus nettement que jamais trois oppositions : la première à droite, la deuxième au centre, la dernière à gauche, qui ont nourri le courant favorable à François Mitterrand.
Le pouvoir se fera un plaisir de dénoncer cette coalition d'oppositions convergentes, mais contraires, d'opposants opposés. Mais il aurait tort de trop s'en réjouir. Car elle traduit dans de larges couches du pays et, de la gauche à la droite, une hostilité foncière et comme un état d'exaspération passionnelle. Cette frontière et presque cette fracture ne recouvre pas celle des familles traditionnelles elle risquerait même à la longue de menacer l'unité nationale, de créer comme deux Frances. Ce qui frappe en effet, c'est l'automatisme avec lequel les voix de M. Tixier-Vignancour se sont portées sur François Mitterrand en dépit du soutien du Parti communiste c'est aussi l'ampleur du transfert sur le candidat de la gauche des suffrages pourtant modérés de Jean Lecanuet. Rien ne prouve que le même phénomène ne se produira pas en 1967.
Quant au candidat des oppositions, il ne peut ignorer que la convergence dont il a profité ne fait ni une majorité ni une politique. Elle doit l'inciter à redevenir le candidat qu'il était au départ, celui de la gauche, à définir tôt ou tard les limites de son entreprise, et il le peut d'autant plus qu'à la lumière des dernières élections législatives la gauche semble assurée de retrouver lors des prochaines les voix qui lui ont tant manqué dimanche. A cet égard la lutte n'est pas finie. Elle ne fait que commencer.
Personne ne pensait sérieusement, en dehors de faux naïfs de l'extrême droite, battre le général de Gaulle. Beaucoup peuvent légitimement espérer, à droite comme à gauche, le priver de la majorité parlementaire indispensable à son maintien à l'Elysée. Le régime ne survivrait pas à l'élection d'une Assemblée hostile au chef de l'Etat.
Ce sera bien alors le " troisième tour ".
Le premier a été à l'avantage des oppositions dans la mesure où il s'est traduit par un ballottage le second a été gagné par le chef de l'Etat. La belle devrait se jouer au printemps 1967.
Pendant quinze mois, la vie politique, sinon la politique extérieure, européenne en tout cas, risque d'être suspendue à cette échéance. La précipiter ne servirait à rien. Outre que la marge a été trop étroite dimanche pour que le maintien de la majorité soit garanti, le droit de dissolution serait perdu pour un an. La seule façon pour le pouvoir d'affronter avec de meilleurs chances le " troisième tour " est de procéder à une révision de sa manière d'être et d'agir. Mais le peut-il, le veut-il ?
JACQUES FAUVET
Le Monde du 21 décembre 1965
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