Article de presse: Le traité de Rome, un pari audacieux
Publié le 22/02/2012
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25 mars 1957 - Vingt ans après la conclusion des traités de Rome, un des signataires se souvient des conditions dans lesquelles ils furent négociés
Négociés en six mois, sur la base il est vrai d'un excellent travail préalable élaboré par des experts, les traités de Rome virent le jour dans des conditions que les plus optimistes n'osaient espérer.
Ils furent surtout le fruit d'une forte volonté politique partagée par les six chancelleries des pays membres. Il apparaissait alors vital de prendre rapidement des initiatives nouvelles si l'on ne voulait pas condamner à mort l'unité européenne, blessée deux ans auparavant par l'échec de la Communauté européenne de défense.
En sorte que la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) demeurait son seul support, artificiel et fragile. Le mérite de ses promoteurs avait été grand, original, courageux. Mais cette intégration de deux secteurs économiques seulement était une conception trop élitiste pour atteindre l'opinion publique dans ses profondeurs. Leur valeur de symbole se dégradait au fur et à mesure qu'ils apparaissaient de moins en moins comme les facteurs principaux de la puissance économique et militaire au profit des domaines du nucléaire, de l'électronique, du spatial.
C'est ainsi que naquit l'idée de la communauté atomique, qui, combinée à celle du charbon, aurait préfiguré celle de l'énergie. Beaucoup ignorent aujourd'hui, en raison de son relatif effacement, qu'elle avait été considérée à la conférence de Messine comme le meilleur recours, en tout cas à l'échéance la plus immédiate. Le projet d'élaborer une communauté élargie à l'ensemble de l'économie, avancé au même moment, apparaissait plus lointain et soulevait chez ses promoteurs eux-mêmes davantage de scepticisme.
Le contraire devait se produire. L'histoire a parfois de l'humour.
Ainsi, peu à peu, au cours de la négociation, la CEE prit le pas sur l'Euratom et devait, en effet, se révéler plus féconde. Elle allait pourtant à l'encontre de nos vieux démons protectionnistes et constituait, en même temps qu'une considérable entreprise, un pari audacieux au pays de Colbert et de Méline. On objectera qu'il était plus facile de concevoir et de négocier un traité-la phase romantique-que de le mettre en oeuvre-la phase pratique. Voire.
Chacune avait ses problèmes, et elles étaient complémentaires.
En tout cas, les choses furent rondement menées, dans une ambiance de coopération et d'amitié entre les ministres des six pays, ce qui favorisa la recherche des solutions. Car les obstacles ne manquèrent pas!
En évoquerai-je trois, provoqués essentiellement par des exigences françaises? L'agriculture, les pays d'outre-mer, le passage à la deuxième étape.
Le poids de l'agriculture, ses structures, ses productions, ses niveaux de prix variaient considérablement d'un pays à l'autre. Les données de base étaient objectivement difficiles, au point que certains n'hésitaient pas à suggérer d'exclure ce secteur de la Communauté. Il fallut l'insistance de la France et de l'Italie pour l'y maintenir et pour arrêter, dans un titre spécial du traité, les principes fondamentaux d'unité de prix, de libre circulation des produits, de préférence communautaire et de coresponsabilité financière.
Les relations à établir avec les pays d'outre-mer, relevant encore à l'époque des souverainetés française, belge ou hollandaise, furent encore plus ardues à élaborer. Certains, en France surtout, prétendaient que nous apportions un cadeau sans contrepartie dans la " corbeille de la mariée ". Nos partenaires, plus avisés, pensaient le contraire. D'abord parce que ces pays étaient déjà, de par la loi-cadre Defferre, dans l'antichambre de l'indépendance. Ensuite, parce qu'il s'agissait surtout de partager des charges au travers du financement commun du FEDOM (1)et des régimes commerciaux très favorables consentis à ces territoires. Au point que, devenus indépendants peu après, ils décidèrent tous, à l'exception de la Guinée, de rester associés à la Communauté dans les conditions prévues pour eux par le traité de Rome. Mais il avait fallu pour en arriver là l'extrême insistance de la France, et la réunion à Paris des six chefs de gouvernement, dont l'un découvrait notre capitale pour la première fois!
Enfin, notre pays avait souhaité qu'au terme des quatre premières années le passage à l'étape suivante soit décidé à l'unanimité, ce qui revenait à se ménager unilatéralement le droit d'arrêter l'entreprise.
Cette position ne put être maintenue telle quelle : l'Italie, à l'économie plus fragile, n'en demandait pas tant. Et un mariage à l'essai pour quatre ans fonde rarement un bon ménage. Un compromis savant fut imaginé.
MAURICE FAURE
Ancien secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, signataire aux côtés de Christian Pineau des traités de Rome.
Le Monde du 25 mars 1977
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