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Article de presse: Le traité de Moscou et la limitation des armements

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

22-30 mai 1972 - Richard Nixon a réussi là où Lindon Johnson avait échoué: il a signé à Moscou, le 26 mai 1972, un traité destiné à donner un coup de frein à la course aux armements. Son succès dépasse même celui que son prédécesseur avait espéré remporter, et dont il fut frustré par l'invasion de la Tchécoslovaquie, qui ne lui permettait pas, décemment, de couronner son règne par une embrassade spectaculaire avec les Soviétiques. La conclusion de l'accord intervient en effet trois semaines après l'institution du blocus des voies d'approvisionnement du Vietnam du Nord, décision si manifestement dirigée contre l'URSS qu'on s'était demandé si celle-ci ne demanderait pas l'annulation de la visite du " chef de file de l'impérialisme ". Mieux, Leonid Brejnev a, pour la première fois, signé en personne, à cette occasion, un traité avec un pays capitaliste. Ce n'est pas là seulement une marque de plus de sa propre ascension, C'est la preuve que l'événement est de première importance et qu'il engage, au-delà de l'Etat soviétique, le parti qui en est le maître. Neuf années de " détente " Il y a maintenant neuf ans que les discussions sur la limitation des armements sont passées du stade des vaines palabres, émaillées de polémiques incessantes, pour déboucher sur celui des accords. C'est en effet en juillet 1963 qu'a été signé le premier des traités conclus dans ce but : celui qui concernait l'interdiction partielle des essais atomiques. La date est significative : un an après la crise des fusées de Cuba, au cours de laquelle les Deux Grands s'étaient mesurés " dans le blanc des yeux " pour constater que l'équilibre de la terreur leur interdisait de recourir plus longtemps au chantage à la guerre nucléaire s'ils voulaient éviter de se trouver placés face au choix entre la capitulation et l'apocalypse. Une fois admise cette prémisse, il devenait absurde de se ruiner à poursuivre la fabrication d'armements dont la probabilité d'emploi ne cessait de décroître. Tout cependant restait à faire, ne fût-ce qu'en raison de l'extrême méfiance qui subsistait quant aux intentions du voisin et de la pression des responsables militaires, légitimement inquiets chaque fois qu'ils voient figurer dans l'arsenal du rival une arme qu'ils ne possèdent pas eux-mêmes. Ainsi s'explique que les premiers accords négociés aient eu une portée essentiellement symbolique. Le traité de 1963 sur les essais nucléaires a été conclu entre trois puissances-la Grande-Bretagne y est partie,-dont deux disposaient déjà des moyens de détruire plusieurs fois l'humanité tout entière (ce qu'on appelle une overkilling capability, une capacité de sur-tuer). En s'interdisant de procéder à de nouvelles explosions, elles ne s'interdisaient pas grand-chose, et notamment pas de continuer de fabriquer autant de bombes et de fusées qu'il leur plairait. Fermer les portes du club atomique En revanche, le traité aboutissait à fermer les portes du club atomique, dans la mesure où les autres puissances étaient invitées, en y adhérant, à se priver des moyens de posséder elles-mêmes des armes nucléaires. Ce qui explique que tant la Chine que la France aient pris position avec tant d'énergie contre lui. Si donc la portée militaire de ce document était quasi nulle, sa portée politique était immense. Pour la première fois, les chefs de file des deux camps concluaient un accord que rejetait, dans un cas, le principal, dans l'autre, l'un des principaux de leurs alliés. Rien d'étonnant si le schisme sino-soviétique a éclaté au grand jour dans les heures qui ont suivi la signature et si les relations franco-américaines se sont fortement aggravées après sa conclusion. Ce qu'on peut dire de ce traité est vrai de ceux qui l'ont suivi et dont certains, comme ceux qui portent sur la dénucléarisation de l'espace ou des fonds marins, avaient comme objet principal de maintenir le tempo de la négociation sur la limitation des armements, en un moment où personne n'était encore en mesure de s'engager sur des clauses sérieuses. La situation a commencé à changer avec le traité sur la non-dissémination des armes nucléaires. Là encore, sa portée militaire était quasi inexistante, puisque chacun des signataires nucléaires (Etats-Unis, URSS et Grande-Bretagne) pouvait conserver et fabriquer sans le moindre contrôle tous les armements qui lui semblaient bons. Mais l'enjeu politique était plus considérable que celui du traité d'interdiction des essais nucléaires, dont il était le prolongement. Il s'adressait en effet surtout à ceux qui ne l'avaient pas conclu et qui se trouvaient appelés à renoncer, sous contrôle international, à la possession et à la fabrication d'armes nucléaires. Dans l'esprit des Américains, il s'agissait notamment d'éviter que ces armes ne tombent dans les mains de quelque potentat ou révolutionnaire hystérique du tiers-monde; dans l'esprit des Soviétiques, il s'agissait surtout d'enlever pour toujours à l'Allemagne les moyens de remettre en cause le statut territorial hérité de la dernière guerre. Johnson et Nixon ne pouvaient ignorer cet aspect. Ils n'auraient pas lancé le premier et conclu le second traité s'ils n'avaient pas abandonné leurs idées antérieures sur le problèmes allemand et renoncé à cette réunification qui, jusqu'en octobre 1966, était, en bonne doctrine atlantique, la clé de la détente avec Moscou. Ralentie par la guerre d'Indochine et par l'invasion de la Tchécoslovaquie, la négociation s'est heurtée non seulement aux objections de la France et de la Chine, bien que le traité n'affecte en rien leur propre liberté, mais à celles de nombreuses puissances moyennes, comme l'Inde, le Japon, l'Italie, l'Espagne, le Brésil et, bien entendu, l'Allemagne, qui craignent d'hypothéquer leur destin, et à d'autres qui redoutent les effets du condominium soviéto-américain, comme Cuba, la Roumanie, etc. Ratifié par Washington et par Moscou depuis novembre 1969, le traité ne l'a pas encore été par le Bundestag. Si la pression de l'URSS à cet effet s'est sensiblement relâchée, c'est évidemment parce que avec les traités de Moscou et de Varsovie, avec le chancelier Brandt, elle a obtenu bien davantage encore. Insuffisamment remarquées, la convention qui interdit les armes biologiques et chimiques et la décision spectaculaire de Richard Nixon de faire détruire des quantités d'armes de ce type ont pour la première fois débordé le cadre des accords dont les tiers sont appelés à supporter le poids essentiel, et qui sont dépourvus de signification militaire. Mais l'accord qu'ont conclu Brejnev et Nixon a, sur tous les plans, une tout autre portée : " C'est la première fois que les deux Super-Grands concluent un accord relatif aux armements qui ne demande rien à d'autre pays ". " C'est la première fois qu'ils sont seuls à le conclure. " La fin du tripartisme Les traités précédents prolongeaient le tripartisme des conférences de Téhéran (1943), de Yalta (1945), et de Potsdam (1945). Aujourd'hui, la Grande-Bretagne n'a pas été conviée. La raison est évidente : elle ne possède ni fusées intercontinentales, ni missiles antimissiles. Il n'en est pas moins significatif que son absence, alors qu'elle vient d'être admise dans le Marché commun, montre qu'elle ne fait plus partie du " club ". Si d'autre membres devaient un jour y être admis, ce ne pourrait être, à vues humaines, en dehors de la Chine, qu'une Europe qui aurait su s'unir pour sa défense. C'est la première fois que les Super-Grands limitent effectivement la production de certains types d'armements. On peut retrouver dans l'histoire quelques précédents, et notamment les accords de limitation des tonnages navals conclus avant la deuxième guerre mondiale. Mais rien de tel ne s'est jamais produit à l'ère nucléaire. C'est la première fois qu'est vraiment surmonté le problème du contrôle, sur lequel avaient buté dans le passé la plupart des discussions sur le désarmement, au point que, lorsque fut conclu, en 1963, le traité sur l'arrêt partiel des essais nucléaires, il a été limité aux seules explosions que l'on peut constater du dehors. Khrouchtchev, après avoir admis le principe de quelques inspections sur place, y avait en effet renoncé : l'obsession de l'espionnage, qui lui avait fait rejeter, en 1955, au sommet quadripartite de Genève, le plan de " cieux ouverts " (d'inspection par avion) proposé par Eisenhower, était demeurée très vive chez lui. Rien ne prouve que ses successeurs ne l'éprouvent pas autant. Mais ils ne peuvent pas ignorer que l'avènement des satellites artificiels a fait du plan de " cieux ouverts ", qu'ils le regrettent ou s'en réjouissent, une réalité. Henry Kissinger a pu dire, vendredi, que les Etats-Unis avaient les moyens de contrôler l'exécution de l'accord Nixon-Brejnev. L'URSS les a aussi, n'en doutons pas. Un climat de confiance Pour une fois, c'est la science qui a permis de sortir d'une impasse politique. Il reste que l'accord n'aurait pas été possible si la commune volonté d'aboutir n'avait pas établi entre les deux délégations un climat de confiance suffisant pour qu'elles acceptent de se communiquer, sur l'état de leurs préparatifs, des informations dont la divulgation, quelques années plus tôt, aurait valu à son auteur la chaise électrique ou le poteau d'exécution. C'est la première fois, enfin, depuis un quart de siècle, que les maîtres des Etats-Unis et de l'URSS concluent un accord en personne. Il est significatif qu'ils le fassent alors que se déroule en Indochine une guerre abominable, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'aurait pas pris une telle ampleur si les Etats-Unis n'y étaient pas intervenus directement, et si l'Union soviétique ne fournissait pas à Hanoï et au Front de libération une aide considérable. Dans les années 1964-1968, l'escalade au Vietnam, puis la guerre de six jours, avaient considérablement pesé sur les relations soviéto-américaines, qui étaient toujours restées, en apparence au moins, extrêmement froides, et elles avaient empêché toute rencontre officielle-la visite d'Alexis Kossyguine à Lindon Johnson à Glassboro, en juin 1967, à l'occasion de l'Assemblée générale extraordinaire des Nations unies sur le Proche-Orient n'avait eu le caractère que d'une réunion de travail. Aujourd'hui, toute pudeur est rejetée. Leonid Brejnev reçoit Richard Nixon à Moscou comme si de rien n'était. Les égards qui sont témoignés au président des Etats-Unis en disent long sur le degré auquel la raison d'Etat l'emporte dans la politique soviétique sur les exigences de l'idéologie. Il est vrai qu'il y a longtemps que George Kennan a dit que celle-ci n'est guère, pour les maîtres du Kremlin, qu'une " feuille de vigne ". S'il en est ainsi, c'est parce que les Super-Grands ont les moyens de ne pas trop se préoccuper des réactions de leurs protégés respectifs, mais plus encore parce qu'ils en sont venus à se reconnaître mutuellement comme les seuls interlocuteurs sérieux parce que les seuls de même taille. Ce que certains appellent leur complicité laisse encore, certes, beaucoup à désirer, et il suffit de voir le fantastique appareil de destruction que le nouveau traité laisse non seulement subsister, mais se développer, et qui ne vise pas seulement la Chine, pour s'en persuader. Mais les Grands posent clairement à la face du monde, pour qu'il en prenne bonne note, ce fait qu'à l'époque des armements nucléaires il y a pour eux des problèmes plus essentiels que la controverse sur les avantages respectifs de la propriété privée des moyens d'échange et de production et de la propriété collective. L'un de ces problèmes, le plus grave pour eux, est celui de leur survie respective, face non seulement aux dangers abyssaux d'une nouvelle guerre, mais au coût chaque jour grandissant de la course aux armements. L'accord de Moscou est un pas substantiel, et qui sera sans doute suivi d'autres, en direction de sa solution. On peut donc dire que les négociations sur la limitation des armements stratégiques sont en passe d'apporter à la coexistence, comme le suggère leur abréviation anglaise (SALT), le sel dont elle a jusqu'à présent manqué. Il reste à les faire contribuer à la solution de l'autre problème majeur et à faire en sorte que la coexistence, qui s'est trop longtemps accommodée de la persistance sur ces frontières de conflits sanglants, trouve enfin le moyen d'y mettre un terme acceptable. ANDRE FONTAINE Le Monde du 28-29 mai 1972

« Johnson et Nixon ne pouvaient ignorer cet aspect.

Ils n'auraient pas lancé le premier et conclu le second traité s'ils n'avaient pasabandonné leurs idées antérieures sur le problèmes allemand et renoncé à cette réunification qui, jusqu'en octobre 1966, était, enbonne doctrine atlantique, la clé de la détente avec Moscou. Ralentie par la guerre d'Indochine et par l'invasion de la Tchécoslovaquie, la négociation s'est heurtée non seulement auxobjections de la France et de la Chine, bien que le traité n'affecte en rien leur propre liberté, mais à celles de nombreusespuissances moyennes, comme l'Inde, le Japon, l'Italie, l'Espagne, le Brésil et, bien entendu, l'Allemagne, qui craignentd'hypothéquer leur destin, et à d'autres qui redoutent les effets du condominium soviéto-américain, comme Cuba, la Roumanie,etc.

Ratifié par Washington et par Moscou depuis novembre 1969, le traité ne l'a pas encore été par le Bundestag.

Si la pressionde l'URSS à cet effet s'est sensiblement relâchée, c'est évidemment parce que avec les traités de Moscou et de Varsovie, avec lechancelier Brandt, elle a obtenu bien davantage encore. Insuffisamment remarquées, la convention qui interdit les armes biologiques et chimiques et la décision spectaculaire de RichardNixon de faire détruire des quantités d'armes de ce type ont pour la première fois débordé le cadre des accords dont les tierssont appelés à supporter le poids essentiel, et qui sont dépourvus de signification militaire.

Mais l'accord qu'ont conclu Brejnev etNixon a, sur tous les plans, une tout autre portée : " C'est la première fois que les deux Super-Grands concluent un accord relatifaux armements qui ne demande rien à d'autre pays ". " C'est la première fois qu'ils sont seuls à le conclure.

" La fin du tripartisme Les traités précédents prolongeaient le tripartisme des conférences de Téhéran (1943), de Yalta (1945), et de Potsdam(1945).

Aujourd'hui, la Grande-Bretagne n'a pas été conviée.

La raison est évidente : elle ne possède ni fusées intercontinentales,ni missiles antimissiles.

Il n'en est pas moins significatif que son absence, alors qu'elle vient d'être admise dans le Marché commun,montre qu'elle ne fait plus partie du " club ".

Si d'autre membres devaient un jour y être admis, ce ne pourrait être, à vueshumaines, en dehors de la Chine, qu'une Europe qui aurait su s'unir pour sa défense. C'est la première fois que les Super-Grands limitent effectivement la production de certains types d'armements.

On peutretrouver dans l'histoire quelques précédents, et notamment les accords de limitation des tonnages navals conclus avant ladeuxième guerre mondiale.

Mais rien de tel ne s'est jamais produit à l'ère nucléaire. C'est la première fois qu'est vraiment surmonté le problème du contrôle, sur lequel avaient buté dans le passé la plupart desdiscussions sur le désarmement, au point que, lorsque fut conclu, en 1963, le traité sur l'arrêt partiel des essais nucléaires, il a étélimité aux seules explosions que l'on peut constater du dehors. Khrouchtchev, après avoir admis le principe de quelques inspections sur place, y avait en effet renoncé : l'obsession del'espionnage, qui lui avait fait rejeter, en 1955, au sommet quadripartite de Genève, le plan de " cieux ouverts " (d'inspection paravion) proposé par Eisenhower, était demeurée très vive chez lui.

Rien ne prouve que ses successeurs ne l'éprouvent pas autant.Mais ils ne peuvent pas ignorer que l'avènement des satellites artificiels a fait du plan de " cieux ouverts ", qu'ils le regrettent ous'en réjouissent, une réalité.

Henry Kissinger a pu dire, vendredi, que les Etats-Unis avaient les moyens de contrôler l'exécutionde l'accord Nixon-Brejnev.

L'URSS les a aussi, n'en doutons pas. Un climat de confiance Pour une fois, c'est la science qui a permis de sortir d'une impasse politique.

Il reste que l'accord n'aurait pas été possible si lacommune volonté d'aboutir n'avait pas établi entre les deux délégations un climat de confiance suffisant pour qu'elles acceptent dese communiquer, sur l'état de leurs préparatifs, des informations dont la divulgation, quelques années plus tôt, aurait valu à sonauteur la chaise électrique ou le poteau d'exécution. C'est la première fois, enfin, depuis un quart de siècle, que les maîtres des Etats-Unis et de l'URSS concluent un accord enpersonne. Il est significatif qu'ils le fassent alors que se déroule en Indochine une guerre abominable, dont le moins qu'on puisse dire estqu'elle n'aurait pas pris une telle ampleur si les Etats-Unis n'y étaient pas intervenus directement, et si l'Union soviétique nefournissait pas à Hanoï et au Front de libération une aide considérable.

Dans les années 1964-1968, l'escalade au Vietnam, puisla guerre de six jours, avaient considérablement pesé sur les relations soviéto-américaines, qui étaient toujours restées, enapparence au moins, extrêmement froides, et elles avaient empêché toute rencontre officielle-la visite d'Alexis Kossyguine à. »

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