Article de presse: Le SIDA, ce mal qui répand la terreur
Publié le 17/01/2022
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5 mai 1983 - Le SIDA (syndrome d'immuno-déficience acquise), c'est avant tout un formidable défi lancé par un virus à la communauté scientifique internationale. De l'issue de la course de vitesse qui s'est engagée depuis 1981 entre le LAV/HTLV-III-c'est le nom du virus responsable du SIDA, découvert en 1983 à l'Institut Pasteur de Paris-et les plus grands centres de recherche dépend la survie de plusieurs centaines de milliers, voire de plusieurs millions de personnes. Cette maladie qui, il y a encore un ou deux ans, faisait sourire certains- " le SIDA, c'est les autres, les marginaux, les déviants ",-est devenue aujourd'hui un énorme problème de santé publique.
Le SIDA, c'est d'abord un virus qui s'attaque avec prédilection à certaines cellules du sang, les lymphocytes T, qui ont sous leur dépendance les mécanismes de défense immunitaire de l'organisme.
Pendant des années, ce virus, le LAV, peut rester tapi dans un lymphocyte, comme endormi. Et puis, sous l'influence de cofacteurs activateurs-d'autres agents pathogènes, certains virus en particulier,-il va se réveiller, détruire les lymphocytes et induire un effondrement des défenses immunitaires. Il s'ensuit alors l'apparition d'infections mortelles, dites " opportunistes ", en particulier des sarcomes de Kaposi et des pneumonies à Pneumocystis carinii.
Ce virus se transmet essentiellement par voie sexuelle, sanguine et transplacentaire. Des modes de contamination qui expliquent en grande partie pourquoi certains groupes de population sont plus particulièrement frappés par le SIDA. C'est le cas des personnes qui ont une activité sexuelle intense, avec de très nombreux partenaires différents. Pour des raisons encore inconnues, il s'agit, en Occident, le plus souvent, d'homosexuels et, en Afrique, d'hétérosexuels. Autres groupes à risque, les toxicomanes, les hémophiles et les polytransfusés (le dépistage systématique du virus chez les donneurs de sang devrait peu à peu prévenir l'apparition du SIDA dans les deux derniers groupes). Restent enfin les enfants nés de mères séropositives (il s'agit le plus souvent, du moins dans les pays occidentaux, de femmes toxicomanes). D'après le professeur Robert Gallo (National Cancer Institute), la proportion de séropositifs (c'est-à-dire de personnes qui, sans être atteintes du SIDA, ont été en contact avec le virus LAV) parmi les homosexuels habitant des grandes villes comme New-York ou San Francisco varie de 50 % à 70 %.
Même chose pour les toxicomanes.
Cela dit, il est extrêmement difficile d'établir un bilan chiffré du SIDA. Officiellement, à ce jour, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a répertorié, dans environ quatre-vingts pays, un peu plus de vingt mille cas (dix-huit mille sur le continent américain, mille six cents en Europe, et... trente et un en Afrique). Mais ces statistiques, sous-évaluées, ne rendent pas compte de la réalité de la situation. Ainsi, selon la plupart des spécialistes, le SIDA aurait déjà fait en Afrique plusieurs milliers de victimes. Quant au nombre exact de séropositifs-ces personnes qui, dans une proportion encore mal connue (15 % à 40 % selon les dernières études), sont susceptibles d'être un jour victimes d'un SIDA cliniquement avéré,-on ne le connaît pas. Tout juste l'estime-t-on en France à cinquante mille et aux Etats-Unis à un million sept cent mille.
Mais le SIDA, c'est aussi un extraordinaire effort de recherche, sans précédent dans l'histoire de l'épidémiologie. Dix-huit mois seulement se sont écoulés entre le moment où le Center for Disease Control d'Atlanta (Etats-Unis) signala l'apparition de cette maladie nouvelle, grave et mystérieuse, et la découverte par une équipe de l'Institut Pasteur de Paris du LAV. En dépit de ces prouesses, aucun traitement efficace, et a fortiori aucun vaccin, n'a pu être mis au point.
Seulement quelques pistes, ici ou là-HPA 23, interféron, ciclosporine, etc.,-dont, semble-t-il, il ne faut attendre aucun miracle.
Reste le " phénomène SIDA ", aux retombées culturelles et sociologiques considérables. La première maladie mortelle, qui plus est transmissible, dont on a pu suivre quasiment en direct l'apparition et le développement. Une couverture médiatique sans précédent en forme de révélateur de fantasmes. Mais aussi un désir de récupération de la maladie sous les formes les plus diverses. Aux Etats-Unis, la majorité morale a cru, l'espace de deux ou trois ans, qu'elle tenait là sa revanche sur les déviants de toute espèce ( " le SIDA, châtiment de Dieu " ). Il lui a bien fallu déchanter le jour où le président Reagan a, au nom d'une opinion publique au comble de l'émotion, rendu hommage à l'acteur Rock Hudson, mort du SIDA. Chez nous, un ministre a voulu apposer un " label France " à une expérimentation thérapeutique faite pendant trois jours sur deux malades. Jusqu'aux Soviétiques, qui ont bien fini par avouer quelques cas sur leur territoire, mais pour aussitôt accuser la CIA et le Pentagone d'avoir propagé la maladie.
Réactions de rejet, d'intolérance et de panique, fantasmes et réalité du SIDA. Une réalité qui, dans certaines grandes villes, comme New-York, San Francisco ou Kinshasa, tend à prendre des allures de cauchemar. Courageusement, après une période d'incrédulité, les associations d'homosexuels ont réagi en mettant en place de vastes programmes d'information et de prévention et en suscitant un vaste mouvement d'aide en faveur de la recherche.
Information, prévention, recherche, trois réponses à un même défi.
Trois enjeux qui, au-delà de la compétition économico-industrielle, supposent un maximum de coopération scientifique et d'aide de la part des pouvoirs publics.
FRANCK NOUCHI
Mars 1986
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