Devoir de Philosophie

Article de presse: Le refus des ingérences étrangères

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

18 mars 1962 - Si, sur l'essentiel, la politique française à l'égard de l'Algérie a bien changé entre 1954 et 1962, sur un point cependant elle n'a pas varié : de la première à la dernière minute Paris s'est opposé à toute interférence étrangère, soutenant contre vents et marée qu'il s'agissait d'une affaire purement intérieure. C'est pour cette raison que la IVe puis la Ve République ont refusé les propositions de médiation tuniso-marocaines et dénié aux Nations unies, qui s'en sont saisies dès 1955, toute compétence à en connaître. Cette attitude de principe n'excluait pas certaines nuances d'application. Antoine Pinay, en octobre 1955, a quitté la salle des séances de l'ONU avec sa délégation, provoquant ainsi une émotion qui amena l'Assemblée générale à revenir sur son vote Christian Pineau, son successeur, a plaidé avec talent, par deux fois, en février et décembre 1957, le dossier de la France, évitant ainsi le vote des motions dites " afro-asiatiques " qui exprimaient le point de vue du FLN. Persuadé de l'importance d'un contexte international favorable dans la recherche d'un règlement, il obtint des ambassadeurs des Etats-Unis et de Grande-Bretagne des déclarations favorables à l'orientation " libérale " de la politique française. Porté au pouvoir par un courant fortement xénophobe, estimant que son devoir essentiel était de rendre à la France sa liberté d'action, plein de dédain pour les Nations unies et pour les démagogues auxquels elles servent de tréteaux, le général de Gaulle pouvait moins que personne accepter l'idée d'une quelconque ingérence étrangère dans le problème algérien (...). Il n'est guère surprenant que, de session en session, avec l'arrivée d'un nombre croissant de délégations afro-asiatiques, les motions favorables aux thèses de la rébellion aient obtenu un nombre croissant de voix. En 1960 encore, cependant, le GPRA n'a pas réussi à faire entériner l'idée d'un référendum contrôlé par l'ONU dont il s'était fait le champion. Il a fallu attendre 1961 pour que fût votée, au terme d'un débat sans passion, une résolution tout à fait conforme aux desiderata du FLN. Encore était-il déjà de notoriété que celui-ci s'était engagé pour de bon sur la voie de la négociation. Pas plus que sa devancière, la Ve République n'a cependant ignoré l'aspect international du problème. C'est en pensant à l'Algérie que le général de Gaulle s'est efforcé dès son retour aux affaires de raccommoder la France avec le monde arabe. L'un après l'autre, tous les pays arabes reconnurent le GPRA. Dès la première seconde la Tunisie, le Maroc, l'Egypte, l'Arabie saoudite, l'Irak, la Libye, avaient d'ailleurs manifesté à la rébellion un soutien qui ne s'est jamais démenti, faisant inviter des observateurs FLN à la conférence de Bandoung, lui fournissant, selon les cas, et sans jamais chercher à s'en cacher, argent, armes, bases d'instruction, facilités de propagande. Tunis et Rabat ont toujours salué dans le président du GPRA un chef d'Etat appelé à devenir l'un des trois leaders de la future confédération maghrébine. Pour empêcher une généralisation du mouvement, la France fut amenée à définir une attitude comparable à ce que les diplomates appellent la doctrine Hallstein. De même que la République fédérale d'Allemagne a fait savoir qu'elle romprait les relations diplomatiques avec tout pays qui reconnaîtrait sa rivale communiste, de même la France menaçait-elle de rupture les Etats qui reconnaîtraient le GPRA. Ce principe fut appliqué avec une rigueur relative mais inégale. On fit une exception générale pour les pays du tiers-monde, qui en nombre grandissant ont reconnu le gouvernement algérien. L'URSS, pour sa part, choisit de ne pas tenter l'expérience. Et il a fallu attendre octobre 1960 pour que Nikita Khrouchtchev reçoive-à New-York-des ministres algériens et leur accorde une reconnaissance qui, en dépit d'un voyage quasi officiel de Ferhat Abbas à Moscou, est restée de facto, jusqu'au jour du cessez-le-feu où elle s'est transformée en reconnaissance de jure. Les satellites européens du Kremlin ont adopté la même attitude, tandis que les pays communistes d'Asie, au contraire, reconnaissent de jure le GPRA. La Chine populaire, le Nord-Vietnam, la Corée du Nord et la Mongolie ont profité de ce qu'ils n'avaient pas de relations diplomatiques avec la France, ce qui les mettait à l'abri des représailles. En fin de compte un seul pays a été victime de l'application de la doctrine Hallstein française. Des alliés de la France, aucun à l'exception du Pakistan, membre comme elle du pacte de Manille, n'a reconnu le GPRA. Aucun non plus n'a été, comme Paris l'aurait souhaité, jusqu'à interdire toute activité à ses agents sur son sol. Certes, Londres, Bonn et Rome ont pris par moments des dispositions restrictives à l'égard des nationalistes algériens. Les Britanniques, les Belges, les Hollandais, les Israéliens, les Espagnols ont soutenu avec constance et efficacité le point de vue français aux Nations unies, en un moment où la Ve République donnait à beaucoup l'impression de s'en désintéresser. L'OTAN n'a pas fait d'objection au maintien et même au transfèrement outre-Méditerranée de divisions qui lui étaient promises. Des armes, des hélicoptères ont été livrés à la France, dont nul ne pouvait ignorer la destination. Il n'en devenait pas moins chaque jour plus évident que même pour nos meilleurs amis le FLN était " l'interlocuteur valable " avec lequel il faudrait bien finir par traiter. L'enjeu des blocs Tel était notamment le point de vue des Etats de la Communauté, qui ont, en de nombreuses occasions, recommandé l'ouverture aussi rapide que possible de négociations avec le GPRA. Tel était aussi le cas des Américains : leur anticolonialisme de principe n'en était pas la seule raison. Non seulement l'affaire d'Algérie les mettait, comme le conflit israélo-arabe, dans une position difficile pour disputer à Moscou les sympathies du tiers-monde, mais ils ne pouvaient envisager sans inquiétude une situation qui laisserait au-delà de la Méditerranée le meilleur des troupes françaises, privait le commandement atlantique de dix divisions depuis longtemps promises, faisait de la Bundeswehr, quinze ans après la capitulation du Reich, la principale armée d'Europe occidentale. En sens contraire jouait la crainte de certains militaires de voir le départ de la France du Maghreb engendrer une anarchie à la faveur de laquelle l'URSS étendrait sa zone d'influence. Aussi, le souhait très net de Washington était-il que l'indépendance inévitable de l'Algérie ne signifie pas la rupture avec la métropole, mais l'établissement avec celle-ci de liens nouveaux de coopération comparables à ceux que Paris a su, au cours des dernières années, nouer avec la plupart des Etats successeurs de l'AOF et de l'AEF. Le bloc soviétique s'est contenté de donner à la rébellion l'appui diplomatique de principe qu'il accorde à tout mouvement anticolonialiste à l'extérieur de ses frontières, de lui faire parvenir quelques chargements d'armes et de lui prodiguer les bonnes paroles. Mais jamais rien qui justifie le spectre souvent agité, pour des raisons opposées, des deux côtés de la barricade, d'une intervention directe dans le conflit. Les dirigeants du FLN, pendant des années, n'ont été reçus à Moscou que par des sous-chefs de bureau. Les délégués soviétiques aux Nations unies, tout en votant pour les résolutions favorables au GPRA, tenaient des propos relativement modérés. Quant à la Chine, dont plus d'un observateur s'est attendu, à diverses reprises, à voir arriver les " techniciens " sur le barrage de la frontière tuniso-algérienne, Ferhat Abbas a parfaitement résumé son attitude dans l'article qu'il consacra dans le Moudjahid à son entrevue avec Mao Zedong. Tenez bon le temps qu'il faudra; mais ne comptez que sur vous-mêmes, lui avait dit en substance le président chinois. En dépit de tout le bruit fait à l'ONU et ailleurs, en dépit des innombrables voyages de ses dirigeants à travers le monde, l'appui obtenu par le GPRA est donc resté essentiellement politique et psychologique. Cette guerre de sept ans aura été pour l'essentiel une affaire entre la France et les deux communautés algériennes. Est-ce à dire que le contexte politique international n'a joué qu'un rôle secondaire dans le conflit algérien ? Bien au contraire. Si la Ve République a fini par traiter avec le FLN, c'est en grande partie parce que ses animateurs ont réussi à persuader l'opinion mondiale et les chancelleries que l'Algérie avait droit, au même titre que le Maroc et la Tunisie, l'Inde ou le Ghana, à l'indépendance qu'ils étaient eux-mêmes les représentants les plus qualifiés, sinon les seuls, du peuple algérien. ANDRE FONTAINE Le Monde du 20 mars 1962

« L'enjeu des blocs Tel était notamment le point de vue des Etats de la Communauté, qui ont, en de nombreuses occasions, recommandél'ouverture aussi rapide que possible de négociations avec le GPRA.

Tel était aussi le cas des Américains : leur anticolonialismede principe n'en était pas la seule raison.

Non seulement l'affaire d'Algérie les mettait, comme le conflit israélo-arabe, dans uneposition difficile pour disputer à Moscou les sympathies du tiers-monde, mais ils ne pouvaient envisager sans inquiétude unesituation qui laisserait au-delà de la Méditerranée le meilleur des troupes françaises, privait le commandement atlantique de dixdivisions depuis longtemps promises, faisait de la Bundeswehr, quinze ans après la capitulation du Reich, la principale arméed'Europe occidentale. En sens contraire jouait la crainte de certains militaires de voir le départ de la France du Maghreb engendrer une anarchie à lafaveur de laquelle l'URSS étendrait sa zone d'influence.

Aussi, le souhait très net de Washington était-il que l'indépendanceinévitable de l'Algérie ne signifie pas la rupture avec la métropole, mais l'établissement avec celle-ci de liens nouveaux decoopération comparables à ceux que Paris a su, au cours des dernières années, nouer avec la plupart des Etats successeurs del'AOF et de l'AEF. Le bloc soviétique s'est contenté de donner à la rébellion l'appui diplomatique de principe qu'il accorde à tout mouvementanticolonialiste à l'extérieur de ses frontières, de lui faire parvenir quelques chargements d'armes et de lui prodiguer les bonnesparoles.

Mais jamais rien qui justifie le spectre souvent agité, pour des raisons opposées, des deux côtés de la barricade, d'uneintervention directe dans le conflit. Les dirigeants du FLN, pendant des années, n'ont été reçus à Moscou que par des sous-chefs de bureau.

Les déléguéssoviétiques aux Nations unies, tout en votant pour les résolutions favorables au GPRA, tenaient des propos relativementmodérés. Quant à la Chine, dont plus d'un observateur s'est attendu, à diverses reprises, à voir arriver les " techniciens " sur le barrage dela frontière tuniso-algérienne, Ferhat Abbas a parfaitement résumé son attitude dans l'article qu'il consacra dans le Moudjahid àson entrevue avec Mao Zedong.

Tenez bon le temps qu'il faudra; mais ne comptez que sur vous-mêmes, lui avait dit en substancele président chinois. En dépit de tout le bruit fait à l'ONU et ailleurs, en dépit des innombrables voyages de ses dirigeants à travers le monde, l'appuiobtenu par le GPRA est donc resté essentiellement politique et psychologique.

Cette guerre de sept ans aura été pour l'essentielune affaire entre la France et les deux communautés algériennes. Est-ce à dire que le contexte politique international n'a joué qu'un rôle secondaire dans le conflit algérien ? Bien au contraire.

Sila V e République a fini par traiter avec le FLN, c'est en grande partie parce que ses animateurs ont réussi à persuader l'opinion mondiale et les chancelleries que l'Algérie avait droit, au même titre que le Maroc et la Tunisie, l'Inde ou le Ghana, àl'indépendance qu'ils étaient eux-mêmes les représentants les plus qualifiés, sinon les seuls, du peuple algérien. ANDRE FONTAINE Le Monde du 20 mars 1962. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles