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ARTICLE DE PRESSE: Le procès de la section spéciale

Publié le 17/01/2022

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Mémoire 1945 - La première section de la cour de justice de la Seine, présidée par M. Pallhé, premier président, s'est prononcée hier sur le cas des cinq magistrats de la section spéciale de la cour de Paris ayant, le 27 août 1941, condamné à mort trois communistes. Elle avait, auparavant, entendu un réquisitoire modéré de M. Lindon, commissaire du gouvernement, et les plaidoiries des défenseurs. Les condamnations suivantes, furent prononcées : Benon, travaux forcés à perpétuité, Guyenot, dix ans de réclusion, tous deux étant, en outre, déclarés en état d'indignité nationale et radiés de le Légion d'honneur, avec confiscation de leurs biens; Larricq, quatre ans de prison et 2 000 F d'amende Cottin, deux ans de prison et 1000 F d'amende. Robert Baffos fut acquitté. (Le Monde du 10-11 juin 1945.) 1977, Le film Voici les faits : 21 août 1941, attentat sur la quai du métro Barbès-Rochechouart. Un officier allemand est tué par un jeune homme, connu plus tard sous le non de colonel Fabien, qui réussit à s'enfuir sans avoir été identifié. A Vichy, le gouvernement du maréchal Pétain réagit immédiatement, devance les exigences allemandes et met la dernière main-il n'y manquait qu'une clause rétroactive-à une loi d'exception en préparation depuis plus de dix jours, à la demande du ministre de l'intérieur, Pierre Pucheu. Elle prévoit, cette loi, la création de sections spéciales appelées à juger sans instruction préalable, sans circonstances atténuantes, sans recours et sans pourvoi, toute infraction pénale commise " dans l'intention d'activités communistes ou anarchistes ". C'était une très nette aggravation du décret Daladier de septembre 1939 interdisant le P.C. à la suite du pacte germano-soviétique. Le texte-on l'a daté du 14 août-paraîtra au Journal officiel du 24 août. Reste à constituer le tribunal, à trouver un président qui accepte de se prêter à ce simulacre de justice. Le garde des sceaux, Joseph Barthélemy, n'aura pas grand mal. Si Cornet refuse, Benon accepte et recrute, sans trop de difficultés, ses assesseurs. La machine est en place qui permettra de faire tomber dans la cour de la Santé, le 28 août, jour des funérailles de l'officier assassiné, trois des six têtes exigées par l'occupant en guise de représailles, celles de prévenus ou communistes, ou juifs, ou les deux déjà condamnées à des peines légères allant de quinze mois à cinq ans de prison. Il manquait trois exécutions pour faire le compte. Elles eurent lieu moins d'un mois plus tard. A noter que les Français avaient proposé de dresser la guillotine place de la Concorde les allemands s'y étaient opposés, ils n'en demandaient pas tant. Les faits, les voilà donc, tels que les a rapportés Hervé Villeré dans un livre intitulé Section spéciale, tels que les a illustrés ensuite Costa-Gavras dans un film. Pourquoi ces magistrats se sont-ils associés à un pareil défi au droit ? Comment ont-ils pu jouer le rôle que leur destinaient précisément les nazis et se discréditer en se livrant ainsi à de véritables assassinats ? La réponse est évidente, immédiate : c'est parce qu'ils en avaient reçu l'ordre. Parce que la séparation absolue des pouvoirs, si chère à Montesquieu, n'a pratiquement jamais été qu'une vue de l'esprit. Les anciens défenseurs de Laval et de Pucheu n'ont pas manqué d'évoquer la menace des autorités allemandes de fusiller cinquante, cent, voire cent cinquante otages, au cas où elles ne seraient pas obéies. Reste à savoir si la justice devait servir de caution à cet odieux marchandage. Fallait-il accepter de faire la besogne de la Gestapo, et pouvait-on vraiment penser que cela permettrait d'éviter les nombreuses exécutions qui n'ont pas manqué de suivre et qui ont condamné sans recours cette épouvantable mascarade ? CLAUDE SARRAUTE Le Monde du 8 janvier 1977

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