Article de presse: Le président Zeroual détient tout le pouvoir en Algérie
Publié le 22/02/2012
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28 novembre 1996 - Le président Zeroual a les mains libres pour diriger l'Algérie. L'élection présidentielle au suffrage universel, il y a un an, lui avait conféré une légitimité populaire. Le projet de Constitution soumis, jeudi 28 novembre, aux électeurs algériens a été plébiscité, selon les résultats officiels. Son entrée en vigueur conférera au chef de l'Etat un pouvoir sans partage. Mais pour quel usage ? Pour mener quelle politique ? Le président de la République va-t-il mettre à profit ce chèque en blanc pour ramener la paix civile après cinq années d'une guerre de l'ombre qui a fait des dizaines de milliers de morts ? Ou va-t-il ramener l'Algérie vers les années de plomb ?
Pour l'opposition, l'affaire est entendue. Le scrutin de la semaine dernière a été " une mascarade ". Dans un pays qui compte environ sept millions d'analphabètes, comment expliquer qu'un référendum sur une nouvelle Constitution forcément obscure ait mobilisé davantage de votants que l'élection présidentielle ? En novembre 1995, la participation électorale avait atteint un taux remarquable (75,7 %). Celui affiché jeudi frisait 80 %. " C'est de la provocation. Jamais, depuis l'indépendance, le pouvoir algérien n'avait fait preuve d'une telle vulgarité, d'un tel mépris ", commentait Saïd Sadi, secrétaire général du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un parti qui avait appelé à boycotter le scrutin. Selon les estimations du RCD, la participation réelle n'aurait pas dépassé 30 % à 35 % des votants. Les témoignages recueillis par la presse internationale dans la capitale algérienne vont dans le même sens.
Parti concurrent du RCD, dont il partage la base électorale, - la Kabylie - , le Front des forces socialistes d'Hocine Aït Ahmed avait appelé à voter non. C'était prendre le risque de cautionner la démarche plébiscitaire du pouvoir. À s'en tenir aux chiffres officiels, le non n'a obtenu que 15 % des suffrages. Selon les estimations du FFS, de Bejaia, dans l'est du pays, à Tipaza, sur la côte ouest, les votes négatifs auraient été majoritaires. Dans l'Oranais, il y aurait eu près de 40 % de non.
Les chiffres réels ne sont pas ceux publiés avec un retard suspect par le ministre de l'intérieur, Mustapha Ben Mansour. Comme le dit le premier secrétaire du FFS, Seddik Debaïlli : " Qu'est-ce qu'un vote lorsque l'opposition est interdite de meetings, que ses militants sont arrêtés, qu'on lui refuse l'accès à la télévion d'Etat et qu'on lui interdit de participer au déroulement du vote et à son dépouillement ? " Et d'ajouter : " Nous sommes revenus aux pratiques anciennes. "
Une large partie de l'opinion publique tire du scrutin une leçon identique. Elle a sans doute raison. A moins que le président Zeroual, désormais indéboulonnable, assuré grâce à la nouvelle Constitution de contrôler le Parlement, ne décide d'ouvrir le jeu politique. L'immobilisme du chef de l'Etat depuis son élection ne plaide pas en faveur de ce scénario optimiste. Certains opposants refusent pourtant de l'exclure et préfèrent parler de " pause " dans la démocratisation à propos du dernier scrutin.
L'organisation des élections législatives aura valeur de test. Elles se dérouleront, en principe, au cours du premier semestre de 1997. Il s'agira d'un scrutin proportionnel. " La compétition sera plus ouverte. Comme il ne court plus le moindre risque, le pouvoir va jouer le jeu ", avance Ali Kassi, un ancien député appartenant au courant réformateur du FLN, l'ex-parti unique, qu'anime Mouloud Hamrouche. " On disposera à la Chambre des députés d'une bonne image du paysage politique algérien ", pronostique M. Kassi, signataire d'un récent " Appel pour la paix ", qui réunit des personnalités d'horizons divers, islamistes compris.
Conseil de la nation
La composition de la seconde Chambre, le Conseil de la nation, dont un tiers des membres seront désignés par le chef de l'Etat, fournira aussi des indications sur les intentions du président Zeroual. S'il a le courage de puiser dans la société civile et les mouvements associatifs, ce Conseil de la nation ne sera pas une simple Chambre créée pour verrouiller le travail des députés (les textes votés par ces derniers doivent être approuvés par le Conseil de la nation à la majorité des trois quarts pour avoir force de loi, selon la Constitution).
Installé à la tête du pays par les militaires en 1979 après la disparition du président Boumedienne, le colonel Chadli Bendjedid avait surpris. Une fois réélu à la présidence dans des conditions fort peu démocratiques , il avait imposé des réformes, introduit le multipartisme, légalisé le Front islamique du salut (FIS), autorisé le retour en Algérie d'opposants, encouragé l'éclosion d'une presse libre... Bref, démocratisé le régime.
L'expérience a finalement échoué. Pour avoir accepté de cohabiter avec le FIS, le président Chadli fut contraint à la démission par ses pairs, les militaires, et remplacé en 1992 par Mohamed Boudiaf (assassiné six mois plus tard). Le président Zeroual va-t-il surprendre, et réussir là où Chadli avait échoué ? La Constitution lui en donne les moyens. " S'il se montre bon chef d'orchestre il peut stabiliser la société algérienne dans cette époque troublée ", confie un homme politique.
Le temps presse. La population est désenchantée. L'omnipotence de l'armée et de la police permet à un pouvoir démonétisé de contrôler le pays. Mais jusqu'à quand ? Avec l'envolée des cours du pétrole, les caisses de l'Etat sont bien garnies, pour la première fois depuis longtemps, et le gouvernement a pu remettre de l'ordre dans les finances publiques à la satisfaction du FMI et de la Banque mondiale. Les poches des citoyens, elles, sont vides. Depuis la dévaluation du dinar, la monnaie nationale, en avril 1994, les salaires stagnent. Les conditions de vie se dégradent pour la majorité de la population. Les professeurs de l'enseignement supérieur sont en grève depuis la mi-octobre pour protester contre leurs conditions de vie. Les médecins vont sans doute suivre le mouvement. Le gouvernement s'est engagé à cesser de faire renflouer par le Trésor, à partir de la fin de l'année, les entreprises publiques défaillantes. Si la mesure est appliquée, des centaines d'entre elles seront contraintes de mettre la clé sous la porte. Dans un pays où un actif sur quatre est sans emploi, une telle opération passera moins facilement que le référendum.
JEAN-PIERRE TUQUOI
Le Monde du 3 décembre 1996
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