Article de presse: Le Parti travailliste britannique remporte une écrasante victoire
Publié le 22/02/2012
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1er mai 1997 - Les Britanniques ont plébiscité le changement, massivement, mais un changement modéré. Lassé de dix-huit années de règne conservateur sans partage, l'électorat a donné, lors du scrutin législatif du jeudi 1er mai, une écrasante majorité aux travaillistes de Tony Blair, qui a promis de gouverner au centre. C'est un franc tournant politique, par l'ampleur historique de la victoire et parce que le Parti conservateur avait pris des allures d'indéboulonnable parti de gouvernement; mais ce ne devrait être qu'un modeste virage quant aux orientations économiques du Royaume-Uni ou à ses réticences devant tout nouveau progrès de l'intégration européenne.
A quarante-trois ans, M. Blair, entré en politique à peu près au moment où Margaret Thatcher prenait le pouvoir, s'installe au 10 Downing Street sans avoir encore jamais occupé la moindre fonction ministérielle. Il est le principal artisan d'un raz-de-marée qui n'a pu avoir lieu, selon lui, qu'après que le Parti travailliste eut abandonné l'essentiel de son programme traditionnel au profit d'une ligne ouvertement centriste. Dans un entretien accordé jeudi au quotidien The Guardian, M. Blair calmait à l'avance tout excès d'enthousiasme chez les militants de la gauche : "il ne s'agit pas, a-t-il prévenu, de remettre les pendules à l'heure des années 70", quand le Labour ne jurait que par les nationalisations. Avec un gouvernement Blair, il n'y aura ni renationalisations, ni finances publiques laxistes, ni retour à des pratiques syndicales jugées abusives.
"Les électeurs veulent un certain nombre de changements spécifiques limités, et que les promesses qui leur ont été faites soient tenues", a prévenu le nouveau premier ministre. Il a rappelé au Guardian que, toujours selon lui, "la guerre idéologique entre les forces du marché et celles qui prônent le contrôle de l'Etat sur l'économie n'a plus lieu d'être" pour cause de défaite des secondes. Il assure que "la plus grande erreur commise par beaucoup à gauche a été de penser qu'ils allaient regagner la confiance des électeurs en promettant le ciel".
De fait, M. Blair n'a pas promis de gros bouleversement macro-économique, sauf l'instauration d'un salaire minimum. Il a promis beaucoup de continuité, avec un "plus" social. Encore les changements "limités", a-t-il averti, ne se feront-ils pas du jour au lendemain. M. Blair croit en l'évolution lente, pas dans la révolution. Il assure, cependant, qu'il va lui falloir relever un formidable défi : rétablir chez les Britanniques un minimum de confiance dans les capacités du gouvernement à modifier le cours des choses, c'est-à-dire combattre un héritage thatchérien qui n'a cessé de diaboliser l'Etat.
Il entend réformer cet Etat et la vie publique du pays. D'ici deux ans, une commission pourrait proposer l'introduction d'une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin (majoritaire à un tour), avant que les Britanniques soient appelés à se prononcer par référendum. Simultanément, deux des nations composant le Royaume-Uni, l'Ecosse et le pays de Galles, devraient être dotées de leur propre Parlement.
Dans le domaine social, M. Blair a donné la priorité à deux secteurs laissés en déshérence par les tories : l'éducation et la santé. C'est sans doute là que l'attendent les premières grandes difficultés. Car la nouvelle équipe travailliste devra faire la preuve qu'elle peut améliorer ces deux services publics tout en tenant sa promesse de ne pas bousculer l'équilibre budgétaire : pas de hausse des impôts, pas de nouvelles dépenses sociales. Durant la campagne, le chef travailliste s'est soigneusement abstenu de dire comment il sortirait de cette apparente contradiction... Il sera surveillé de près par la gauche travailliste, qui a l'impression d'avoir été traitée en pestiférée par l'équipe Blair. Elle est jusqu'à présent restée silencieuse, de crainte d'être accusée d'avoir fait fuir l'électorat en vantant les vieilles recettes du parti. Mais, la victoire acquise, il y a peu de chances pour que la gauche maintienne longtemps un profil si discret. M. Blair devra prouver qu'il peut faire respecter, à Downing Street, l'absolue discipline de parti qu'il a obtenue durant la campagne. Le vrai test viendra de l'Europe. Une bonne partie de la gauche travailliste penche pour une ligne eurosceptique qui n'a rien à envier à celle que prônent nombre de conservateurs europhobes. La campagne a été marquée par une poussée eurosceptique dans la rhétorique des deux grands partis; les libéraux-démocrates de Paddy Ashdown ont été les seuls à défendre une politique franchement pro-européenne.
Rendez-vous avec l'Europe
Entraîné par un John Major bousculé sur sa droite par ses eurosceptiques, Tony Blair a, durant la campagne, "flirté" avec quelques thèmes hypernationalistes. Il est difficile de savoir quel sera son comportement lors des grands rendez-vous européens qui l'attendent, en particulier à la mi-juin, quand les Quinze devront, à Amsterdam, boucler la Conférence intergouvernementale (CIG) qui doit moderniser les institutions de l'Union. S'il faut s'en tenir au programme, M. Blair défendra une politique qui ne sera guère éloignée de celle qu'avançait John Major avant d'être entraîné par les vents anti-européens de son parti.
Le New Labour est opposé à une extension du vote à la majorité dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (la PESC); il a les mêmes réticences pour les affaires de justice et de police, mais serait prêt à s'y rallier sur d'autres questions. Il n'aime pas non plus le projet de fusion de l'Union de l'Europe occidentale (UEO, seule organisation européenne habilitée à traiter des questions de défense) dans l'Union européenne. Autant de positions qui le placent très loin de celles défendues par l'Allemagne et la France.
La prudence est la même pour la dernière phase de l'Union économique et monétaire. Les travaillistes ont décidé que toute adhésion du pays à l'euro serait soumise à un triple verrou : une décision unanime du cabinet d'abord, puis un vote aux Communes, enfin un référendum. Cela fait beaucoup d'obstacles et explique que le futur secrétaire au Foreign Office, Robin Cook, sujet à un fort tropisme eurosceptique, a déjà prévu que la Grande-Bretagne n'entrerait pas dans l'euro avant 2002, terme de la nouvelle législature...
Cela ne devrait pas consoler John Major, qui enregistre une défaite de proportion historique largement due aux tensions ayant déchiré son parti sur l'Europe. La défiance de conservateurs eurosceptiques a sérieusement malmené son image de leader, déjà écornée lorsqu'en 1992, il avait dû renier sa promesse de ne pas augmenter les impôts puis consenti à l'humiliant retrait de la livre du système monétaire européen. Double échec qui a durablement occulté son bilan économique : croissance retrouvée, chômage en baisse, inflation contrôlée. Mais la plupart des commentateurs attribuaient d'abord la retentissante défaite des tories à ce que l'un d'eux appelait "l'usure, l'usure et encore l'usure". C'est-à-dire le rejet absolu d'une équipe fatiguée, devenue arrogante et perçue comme indifférente au sort d'une société de plus en plus inégalitaire.
PATRICE DE BEER et ALAIN FRACHON
Le Monde du 3 mai 1997
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