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Article de presse: Le mythe Camus

Publié le 22/02/2012

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camus
4 janvier 1960 - Beaucoup de jeunes gens commencent dans la vie avec une première phrase de roman. C'est leur " nécessaire de voyage ". Dans les années 50, les premières phrases de l'Etranger remplissaient cette fonction: " Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile: " Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. " Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier ". En poursuivant cette lecture, on découvrait que la vie entière ne voulait rien dire. Meursault, le héros du roman, jugeait l'existence absurde. Il se contentait de manger, de boire, de dormir, de faire l'amour, d'aller se promener au bord de la mer et de recevoir sur sa peau le soleil d'Alger. Il tuait un homme-un Arabe,-mais c'était par hasard. Il serait emprisonné, condamné, exécuté, mais tout cela, encore une fois, n'avait aucun sens... On voulut confondre l'auteur et son personnage. Cependant, Albert Camus n'était pas Meursault. Certes, il avait connu, dans la même ville, une adolescence pauvre que la maladie n'avait pas épargnée; certes, il aimait, comme Meursault, le soleil et les plages d'Alger, les moeurs de cette ville, et son insouciance. Mais, fort éloigné de l'indifférence que montrait son personnage, Camus allait prendre parti, et dénoncer le sort qui était fait à la population musulmane. En juin 1939, dans Alger républicain, il ferait paraître, notamment, plusieurs articles sur la " Misère de la Kabylie ". Se retrouvant en métropole pendant l'Occupation, Camus entrait dans la Résistance et participait à la rédaction de Combat clandestin. Quand Paris fut libéré, le même journal célébra l'événement avec un éditorial non signé. Camus en était l'auteur. Dès lors, le mythe allait naître, dans lequel se mélangeraient la figure de Meursault, le Camus résistant et journaliste, l'amitié-difficile-avec Sartre, l'amour du théâtre, la passion du football et des stades, le Camus séducteur, le Camus épicurien autant que moraliste... Tout cela résumé dans la silhouette d'un homme qui traversait notre époque avec un imperméable à la Bogart. Des milliers de jeunes gens allaient entretenir ce mythe avec la vigilance des vestales les plus fidèles. Ils couraient dans les librairies chaque fois qu'un " nouveau Camus " était annoncé: la Peste (1947) les Justes (1950), l'Homme révolté (1951), la Chute (1956), l'Exil et le Royaume (1957). Les mêmes jeunes gens redécouvraient les oeuvres plus anciennes: l'Envers et l'Endroit (1937), Noces (1939), Caligula (1944), et surtout le Mythe de Sisyphe (1942). On attendait impatiemment chaque numéro de l'Express, car l'écrivain avait " repris du service " dans cet hebdomadaire pour s'élever contre les aveuglements et les cruautés engendrés par la guerre d'Algérie. En 1957, le prix Nobel ne fit que renforcer l'image, car il récompensait un homme de quarante-quatre ans. Mais, le 4 janvier 1960, Albert Camus se tuait dans un accident de voiture alors qu'il regagnait Paris. Ce jour-là, sur une route de l'Yonne, un mythe venait de trouver la mort. Il nous resterait, ensuite, à mieux définir les vertus de l'écrivain. FRANCOIS BOTT Octobre 1985

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