Devoir de Philosophie

Article de presse: Le MLF pour quoi faire ?

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

26 août 1970 - Quand, au printemps 1970, les Américaines se sont mises à défiler dans les rues en brandissant des pancartes parlant de leur " oppression " et en brûlant leur soutiens-gorge, les Français ont ricané et haussé les épaules. Mais quand, le 28 août de la même année, un groupe de jeunes femmes sont allées déposer, sous l'Arc de triomphe, deux couronnes barrées de rubans sur lesquels on lisait : " A la femme inconnue du soldat " et " Un homme sur deux est une femme ", ils se sont indignés. Depuis, le Mouvement de libération des femmes français (MLF) s'est manifesté à plusieurs reprises souvent en trouvant la formule-choc ou le geste-clé qui scandalise les uns et fait rire les autres sous cape. L'une de ses premières interventions publiques a eu lieu au cours des " Etats généraux des femmes ", organisés par l'hebdomadaire Elle en novembre 1970. Après une première " prise de parole " confuse et violente, une militante trouva le chemin des coeurs d'un auditoire de mères de famille paisibles mais curieuses, devant lesquelles défilaient tous les grands ténors de la vie politique, avec cette simple formule : " Ce n'est pas à nous d'écouter les ministres, mais aux ministres à nous écouter : c'est nous qui avons des choses à leur apprendre. " L'irruption du MLF armé de morceaux de mou de veau à une réunion du mouvement Laissez-les vivre, hostile à l'avortement, fut, en revanche, d'un goût détestable. Le " Manifeste des 343 " en faveur de la libération de la législation sur l'avortement créa indiscutablement un choc dans l'opinion française. Quelques interventions moins spectaculaires ont déjà eu, assurent les militantes, des résultats positifs : par exemple, la manifestation organisée au Luxembourg pour la fête des mères, au printemps 1971, au cours de laquelle le MLF, réclamant le libre accès des pelouses et des jeux pour les enfants, en " lâcha " un certain nombre sur le terrain pour prouver qu'il n'en résulterait aucune détérioration du domaine public. L'une des dernières manifestations spectaculaires du MLF a eu lieu en novembre dernier à l'occasion de la Marche internationale pour la gratuité de la contraception et de l'avortement. Le défilé de la Bastille à la République fut calme. A peine émaillé de quelques incidents pittoresques comme l'intrusion du FHAR (Front homosexuel d'action révolutionnaire). Le MLF avait tenu à " garder le contrôle de la manifestation ", mais un certain nombre de jeunes hommes, parfois portant des enfants, y participèrent. Dernièrement, ses militantes ont envahi le débat organisé à la Mutualité par le Parti communiste sur le thème " Un programme de gouvernement. La parole est aux femmes. " Elles ont souligné entre autres choses que M. Jacques Duclos, membre du bureau politique, n'étant pas une femme n'avait guère droit à la parole dans cette assemblée, posé quelques questions sur l'attitude du PC à l'égard de l'avortement, et signalé que le fait que des ouvrières quittent certaines usines cinq minutes avant les ouvriers pour avoir le droit de faire la queue dans les magasins afin de préparer le dîner familial passait difficilement à leurs yeux pour une conquête révolutionnaire. Après quoi, elles ont été expulsées sans douceur par le service d'ordre du PC. Qui sont ces militantes ? En majorité des jeunes filles et des jeunes femmes de moins de vingt-cinq ans, souvent étudiantes ou enseignantes. Combien sont-elles ? Il est bien difficile de répondre à cette question, car le mouvement refuse toute structure et toute hiérarchie. C'est tout juste s'il dispose d'une boîte postale et d'un journal épisodique, le Torchon brûle, dont les deux premiers numéros ne le cèdent guère en violence et parfois en obscénités à certaines publications gauchistes. Bon nombre de ses militantes proviennent d'ailleurs des groupes politiques qui surgirent au premier plan en mai 1968. Pourquoi ont-elles décidé de militer à part ? Leurs explications rejoignent celles des mouvements néo-féministes qui se sont développés dans d'autres pays industrialisés : lasses de voir leurs camarades masculins refuser de prendre au sérieux leurs revendications spécifiques, voire d'être confinées dans les tâches subalternes du militantisme, elles ont décidé de créer un mouvement purement féminin. Ni structure ni hiérarchie Est-ce vraiment un " néo-féminisme " ? Beaucoup le nient tout en reconnaissant le rôle historique joué par les suffragettes des années 20 qui combattirent pour le suffrage féminin, elles se sentent très éloignées d'elles. Elles considèrent plutôt que leur action est destinée à faire prendre conscience aux hommes et aux partis politiques de l'importance de la revendication spécifique féminine. Comme bien des mouvements d'inspiration gauchiste-encore qu'elles récusent le terme,-les militantes du MLF croient plus à la spontanéité qu'à l'action " structurée ". Elles ont, par exemple, entamé dans les quartiers une campagne d'explication sur l'avortement, avec recueil de signatures sur les marchés. Elles envisagent une campagne au porte-à-porte sur les crèches. Jusqu'à quel point le MLF est-il un mouvement politique ? Il n'est pas facile de se retrouver dans les différents courants qui le traversent. D'une façon générale, cependant, ses militantes refusent de " se laisser enfermer dans la lutte pour la libéralisation de l'avortement ". Elles considèrent que ce n'est qu' " une étape indispensable de la lutte pour la libération des femmes ", sans attendre les autres transformations économiques et sociales. Mais cette lutte est " porteuse d'une nouvelle image de la famille qui prépare l'abolition des rapports de domination dans la société dont les rapports actuels hommes-femmes sont le symbole ". Elles tiennent aussi à l'aspect " fête " de leurs actions, aux chansons, aux slogans percutants ou délirants, à " tout ce qui peut réveiller une société en train de mourir ". Ridicule, odieux, agaçant, comique, scandaleux ? Le MLF est tout cela et s'en flatte : la provocation est peut-être sa seule stratégie concertée. Mais il est en train de marquer des points : en mettant de son côté des rieurs, des intellectuels et des ménagères, qui même traditionalistes, admettent plus ou moins ouvertement qu' " on y dit tout haut des choses que bien des femmes pensent tout bas ", il marque sans doute un moment de l'évolution de la société française. NICOLE BERNHEIM Le Monde du 19 février 1972

Liens utiles