Article de presse: Le maréchal Joukov, le sauveur
Publié le 17/01/2022
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2 février 1943 - Grandeur et décadence d'un maréchal soviétique : après avoir été porté au pinacle pour ses victoires de Stalingrad et Berlin, Joukov fut brusquement destitué de son poste de ministre de la défense en octobre 1957.
Le maréchal Georges Joukov meurt le 19 juin 1974, honoré par ceux qui ont appris l'histoire, mais oublié depuis des années par ceux qui vivent dans le temps présent.
Pourtant, ce fils de paysan, né en 1896 sur les bords de l'Oka, connut une carrière éblouissante. Soldat du rang à dix-neuf ans, membre du Parti communiste à vingt et un ans, colonel à vingt-quatre ans après une brillante campagne en Pologne, et général à quarante ans. Les purges décimaient alors l'armée. Le général Joukov, trop jeune pour attirer la méfiance de Staline, fut épargné et, comme beaucoup d'autres, fut l'objet de promotions accélérées. Ne dirigeait-il pas à quarante et un ans l'état-major des armées d'Ukraine ? Un an plus tard, en janvier, 1938, ne remportait-il pas sa première victoire en arrêtant les Japonais qui s'étaient avancés en Mongolie-Extérieure ?
Ministre et membre du présidium
La " grande guerre patriotique " allait lui donner l'occasion de conquérir tous les lauriers. Aucun autre chef militaire soviétique n'a accumulé, pendant ces quatre années, autant de titres : sauveur, " spassitel " de Moscou en 1941-1942, artisan de la bataille de Stalingrad en 1943, puis sous-chef de l'état-major général, enfin commandant en chef du front de Biélorussie et vainqueur de Berlin. C'est lui qui , le 8 mai 1945 eut l'insigne honneur de recevoir la capitulation allemande.
Mais sa réputation commençait à inquiéter Staline, qui n'entendait point partager le triomphe. Après avoir gagné sur le terrain et représenté son pays pendant quelques mois à la commission quadripartite de Berlin, Joukov se vit contraint d'aller méditer dans les garnisons de province, à Tchkakov et à Odessa.
Pourtant, le vainqueur de Berlin refit surface avant même la mort de Staline, puisqu'il fut élu membre du comité central en 1952. Mais sa carrière politique ne commença vraiment qu'en 1953. Elle fut extraordinairement rapide et brève. Rapide ?
Vice-ministre de la défense en mars 1953, ministre deux ans plus tard, membre suppléant du présidium (le bureau politique) en février 1956, membre titulaire de la direction du parti en juillet 1957. Il n'y resta que trois mois : en octobre 1957, il fut chassé du présidium et du comité central, exclu du gouvernement.
A fin du printemps de cette année, en effet, la crise la plus grave ouverte depuis la mort de Staline avait été dénouée au Kremlin. En un premier temps, Nikita Khrouchtchev avait été bel et bien limogé par la majorité du présidium. Mais le premier secrétaire fit appel de cette décision devant le comité central. Il n'aurait pu sauver la situation si le ministre de la défense ne lui avait apporté un appui décisif. Le maréchal Joukov envoya partout des avions militaires pour rassembler dans la capitale soviétique des membres du comité central, puis il mit son autorité dans la balance. L'armée, dit-il, n'acceptera jamais que le groupe " antiparti " (Molotov, Malenkov, Kaganovitch) prenne le pouvoir . Dans cette affaire, elle est aux côtés de Nikita Khrouchtchev, qui a remis Staline à sa vraie place.
Le ministre fut immédiatement récompensé de ses bons offices. Mais le premier secrétaire, confirmé dans ses fonctions grâce au vainqueur de Berlin s'aperçut sans doute qu'il était dangereux de garder un " faiseur de roi ". Joukov partit sans méfiance le 5 octobre 1957 en visite officielle à Belgrade et à Tirana. Quand il revint de mission, trois semaines plus tard, il constata qu'aucun personnage important ne l'accueillait à l'aérodrome.
La chute brutale
Le même jour, un bref communiqué annonçait qu'il cessait d'être ministre de la défense. La chute du " sauveur " risquait d'alarmer la population. Mais les autres maréchaux, jaloux sans doute de leur collègue, participèrent à l'hallali. Tous affirmaient qu'il fallait remettre l'armée à sa place. La presse étrangère s'interrogeait sur les conséquences du dernier mystère du Kremlin. Pour beaucoup, Joukov, l' " ami " d'Eisenhower, était l'homme de la coexistence soviéto-américaine, l'artisan de la détente, voire le libéral de la direction suprême.
En fait, sa disgrâce ne modifia en rien la politique de l'URSS. Il sortit de la retraite totale qui lui avait été imposée pour participer en 1965 aux cérémonies du vingtième anniversaire de la capitulation allemande.
Privé des instruments de la puissance, oublié d'une partie du public, il avait cessé d'inquiéter.
BERNARD FERON
Le Monde du 20 juin 1974
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