Article de presse: Le général Spinola, un condottiere anticonformiste
Publié le 22/02/2012
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25 avril 1974 - Depuis le 25 avril dernier, il a séduit des hommes aussi différents que le communiste Alvaro Cunhal, le socialiste Mario Soares ou le libéral Miller Guerra. Il a le masque d'un condottiere d'un autre temps.
Le général Spinola n'a pas, à proprement parler, dirigé le soulèvement militaire du 25 avril.
Son évolution personnelle a coïncidé, sans doute, dans le temps avec celle des jeunes officiers contestataires qui découvraient l'absurdité de la guerre et se demandaient, avec une angoisse croissante, pourquoi ils combattaient. Mais il n'en a pas orienté le rythme. Il a été l'inspirateur discret, connaissant sans doute l'ampleur de son prestige au sein des forces armées, mais en usant avec mesure et se plaçant, le moment venu, à la tête d'un coup d'Etat à la portugaise, c'est-à-dire sans effusion de sang.
Né dans une famille fortunée, à Estremoz, en 1910, Antonio Spinola n'a connu dans sa jeunesse que la discipline, la rudesse des casernes et l'ordre impitoyable de l'Académie militaire. Honneur et patrie : le jeune officier idéaliste, anticommuniste, penchait à droite, et même à l'extrême droite. Rien ne l'obligeait, sinon la certitude d'être du bon côté de la barricade, à s'engager comme volontaire, avec les forces franquistes, pendant la guerre civile espagnole. En 1943, observateur portugais chargé de mission, il était à Stalingrad avec les armées encerclées du général Paulus.
Son renom de baroudeur et de meneur d'hommes sachant payer de sa personne n'aurait cependant jamais franchi les frontières du Portugal s'il n'y avait eu la guerre d'Afrique. La seconde vie d'Antonio Spinola commence en 1961 avec les premiers coups de feu de l'insurrection armée en Angola.
Quand il arrive en Guinée-Bissau, en 1969, comme commandant en chef et gouverneur, la situation politique et militaire dans le plus petit des territoires africains du Portugal est franchement mauvaise. Le général Spinola entreprend de colmater les brèches faites par un adversaire qu'il va bientôt admirer et respecter au point de l'imiter : Amilcar Cabral.
Cabral compose des livres de classe guinéens pour les Guinéens, Spinola les adopte. Il remplace seulement le mot " guérillero " par celui de " soldat ".
Quand ses troupes réoccupent un secteur où Cabral a installé des coopératives, il ne les détruit pas.
Spinola lit beaucoup. Il lit en particulier, selon ses adjoints, les oeuvres de Mao Zedong et aussi celles du général de Gaulle.
En 1971 à Bissau, il accorde une entrevue à Augusto de Carvalho, de la revue " Vida Mendial ". Il affirme alors la nécessité de partis politiques libres au Portugal et de la suppression de la censure. Le ministre de l'outre-mer, Silva Cunha, demande immédiatement au général de démentir ces propos explosifs. Spinola refuse. Il faut une intervention pressante et directe du président du conseil Caetano pour que l'interview ne paraisse pas.
Rappelé en 1973 à Lisbonne, couvert d'honneurs et de lauriers par un gouvernement qui redoute cet anticonformiste très populaire dans l'armée, le " général blanc au coeur noir " termine son livre le Portugal et son avenir. Il y défend la thèse d'une république fédérale portugaise permettant la restructuration d'une communauté luso-africaine sur des bases nouvelles.
Il a choisi, en toute hâte, de se réfugier en Espagne. L'ancien baroudeur des marécages de Guinée, adulé par ses soldats, le général le plus décoré du Portugal, qui avait accepté de parrainer le soulèvement des capitaines en avril de l'année dernière, le soldat en réserve de l'Etat a refait le chemin parcouru pendant la guerre civile d'Espagne. Il a rejoint Badajoz comme s'il tenait à souligner aux yeux des Portugais l'autre face de son passé : le volontaire dans les rangs franquistes, l'officier observateur auprès des troupes allemandes à Stalingrad, le conservateur incapable d'admettre le nouveau rapport de forces au sein du Mouvement des forces armées et préférant, sans doute, rejoindre au Brésil ce professeur Caetano, dont il avait accepté la destitution il y a moins d'un an.
Le général Spinola complotait presque ouvertement depuis sa démission forcée de la présidence de la République, le 30 septembre dernier.
MARCEL NIEDERGANG
Le Monde du 13 mai 1975
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