Article de presse: Le crime contre l'humanité
Publié le 22/02/2012
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Mémoire 1964 - Ce fut l'unanimité. En deux jours - les 16 et 17 décembre 1964, - l'Assemblée nationale et le Sénat votèrent à l'unisson l'article unique de la loi introduisant la notion de crimes contre l'humanité dans le droit français. Il n'y eut alors ni longues discussions ni grands débats.
C'est que le temps pressait. Vingt ans après la capitulation allemande devant les armées alliées, le 8 mai 1944, la prescription n'allait-elle pas empêcher de poursuivre devant les tribunaux les auteurs et complices de ces crimes de masse (déportations, assassinats) ?
Les parlementaires, au nom de la morale, décidèrent de faire barrage en France à une telle possibilité. Le sénateur Louis Namy (PCF) fit passer un frisson sur les bancs de la Haute assemblée : " Près de cent mille criminels de guerre nazis attendent la date du 8 mai 1965 pour réapparaître au grand jour. Forts de la prescription des poursuites, ils sont prêts à se prévaloir de leurs sinistres exploits au sein des mouvements nazis, à récupérer leurs fonds bloqués dans les banques suisses et à grossir les rangs des revanchards de l'Allemagne de l'Ouest. " Marie-Claude Vaillant-Couturier (PCF) évoqua pour sa part devant les députés le retour possible des ombres monstrueuses du médecin d'Auschwitz, le docteur Mengele, réfugié en Amérique du Sud, ou d'un Martin Bormann. Paul Coste-Fleuret (Centre dém.), auteur de la proposition de loi avec Raymond Schmittlein (UNR), et rapporteur de la commission, agita le spectre de Hitler : " Supposons que, le 9 mai 1965, il se manifeste à nouveau et dise : " Mes crimes sont prescrits " , et que, tout comme Guillaume II, il finisse des jours paisibles dans un Etat étranger où il trouverait asile ! Cela serait évidemment inadmissible. " Afin que de telles hypothèses ne puissent devenir réalité, le vote de l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité sembla aller de soi.
Depuis vingt ans, les révélations de la Libération sur les camps de la mort et les chambres à gaz s'étaient amplifiées. Révélations ravivées par le procès d'Eichmann à Jérusalem (1961) et celui des gardes-chiourmes d'Auschwitz (1963-1965).
Le temps, paradoxalement, venait ici en aide aux juges pour mieux juger les criminels. La mémoire se précisait au fur et à mesure que les années glissaient. " C'est seulement maintenant, par des recoupements, avec quelques bribes d'archives, et surtout grâce aux aveux de ceux que nous arrêtons que nous pouvons reconstituer ce qui s'est passé ", expliqua justement Raymond Schmittlein. Et Coste-Fleuret ajoutait : " ... qui ne voit que loin, de dépérir, les preuves en ce domaine ont été rendues plus faciles ? A la Libération, ces procès étaient quelquefois compliqués faute de documents et de témoignages. Mais voici que, depuis vingt ans, des archives ont été accumulées, des ouvrages ont paru et des témoignages ont été produits. Tant et si bien que la preuve est aujourd'hui plus facile qu'au moment de la Libération ".
Les 16 et 17 décembre, lors de scrutins publics, 471 députés sur 473 et 271 sénateurs sur 271 adoptèrent la proposition de loi soutenue par le gouvernement. Deux jours plus tard, la dépouille mortelle de Jean Moulin, chef du Conseil national de la Résistance, était transférée du cimetière du Père-Lachaise au Panthéon. La République, représentée par le général de Gaulle et Georges Pompidou, portée par la voix magistrale et brisée d'André Malraux, soulignait au crayon rouge qu'elle n'oublierait pas.
LAURENT GREILSAMER
Le Monde du 26 novembre 1992
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