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Article de presse: Le Che ou la révolution permanente

Publié le 17/01/2022

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8 octobre 1967 - Ernesto " Che " Guevara était un homme dont toute la vie, en accord avec sa foi, aura d'abord été une révolte permanente et qui n'appartient finalement à personne. Révolte contre les injustices immédiates et criantes, contre l'oppression, contre le désespoir des humiliés, révolte aussi contre les compromissions des gouvernants et les complaisances diplomatiques. Son franc-parler, son intransigeance, lui auront valu des inimitiés même parmi ses anciens compagnons de la sierra Maestra. Peu d'hommes ont dû lutter aussi fortement contre eux-mêmes pour se réaliser. Il était né le 16 juin 1928 à Rosario, en Argentine, dans une famille de bonne bourgeoisie. Son père, notable, et sa mère, née Lynch, d'origine irlandaise, appartiennent à cette oligarchie que dénoncera le démagogue Peron et que reniera le " Che ". Sa santé est si délicate que ses parents quittent le haut bassin de La Plata, au climat chaud et humide, pour Buenos-Aires. Médecin tenté par l'action révolutionnaire, il entreprend, malgré ses crises d'asthme, une première tournée en Amérique du Sud. On le rencontre en Bolivie déjà, à La Paz, puis dans sa province orientale, à Lima, au Pérou, au Panama, puis en 1954 au Guatemala. Il n'a que vingt-six ans, des idées, une expérience solide et un goût énorme pour l'action. Sa colère généreuse se satisfait provisoirement de l'expérience guatémaltèque du colonel Arbenz Guzmann. C'est du réformisme sans aucun doute, malgré le verbalisme révolutionnaire de certains des conseillers du jeune colonel, mais, dans cette Amérique latine encore engourdie des années 50, le Guatemala est le seul pays qui ose affronter les Etats-Unis. Il va le payer cher. Condamné à la conférence de Caracas par John Foster Dulles, mis au ban de la " famille américaine ", comme Cuba le sera huit ans plus tard et pour les mêmes raisons, envahi par une armée de mercenaires payés par la CIA et l'United Fruit, le Guatemala démocratique du faible Arbenz Guzmann ne résiste pas une semaine... Comme Peron à Buenos-Aires un an plus tard, le " militaire " Arbenz, sorti de l'école des cadets, n'osera pas distribuer des armes au peuple. Pour le " Che ", amer, déçu, réfugié dans une ambassade de la capitale, la leçon ne sera pas perdue... C'est en 1956, à Mexico, où il a suivi quelques-uns des leaders déchus de l'expérience guatémaltèque comme les frères Toriello, qu'il rencontre Fidel Castro, lui aussi réfugié au Mexique, après l'échec de l'attaque de la caserne Moncada. Fidel brûle de libérer Cuba, il prépare l'expédition du " Granma ", " Aux petites heures du matin, écrira plus tard Guevara, j'étais l'un des membres de son expédition... " " Je me rappelle en ce moment beaucoup de choses, dira encore le " Che " dans son message d'adieu de 1966, notre première rencontre chez Maria Antonia, le jour où tu m'as proposé de venir, la tension de nos préparatifs... Quand on nous a demandé qui il faudrait prévenir en cas de décès, nous avons tous ressenti un choc. Par la suite, nous avons su que c'était vrai : dans une révolution, si elle est véritable, on triomphe ou on meurt... " Tout va très vite entre le débarquement, sur la plage effroyable de Los Colorados en décembre 1956, et l'arrivée triomphale à La Havane à l'aube de l'année 1959 : les premiers combats, l'épopée des Douze, l'extension des foyers de guérilla, la lente conquête des paysans de la sierra Maestra, l'organisation des camps, les marches incessantes malgré la pluie, la fatigue, les dangers, et l'asthme qui le laisse épuisé sur le sol, les responsabilités, les trahisons, la longue marche de la colonne du " Che " vers la sierra d'Escambray, le train blindé de Santa-Clara, dernier espoir de la dictature : personne n'a mieux conté ces années de désespoir et de triomphe de la révolution cubaine que le commandant Guevara lui-même. Mais il l'a fait avec modestie et humour. Ce n'est pas cet effacement qui frappera les premiers visiteurs du nouveau directeur de la Banque nationale signant simplement " Che " les nouveaux billets mis en circulation par la révolution victorieuse. Car Guevara, barbu sans excès, l'oeil vif et ironique, écoutant avec une attention extrême, sérieux, répondant avec précision en espagnol ou dans un français excellent, le teint un peu trop pâle trahissant le mal qui ne l'abandonnera jamais, séduira, grâce à son exceptionnelle personnalité, amis et adversaires. Avocat de la planification économique, prenant à la lettre la mise en garde de José Marti : " Il est condamné, le peuple qui dépend pour sa survie d'un seul produit... ", rêvant, peut-être trop tôt, d'industrie lourde et d'électrification, blâmant le " stimulant matériel " et définissant les rapports du " nouvel homme " socialiste, dénonçant les injustices flagrantes d'un commerce international où les relations entre " pays riches " et " nations pauvres " ressemblent à celles qui " unissent exploiteurs et exploités, capitalistes et prolétaires ", il commence d'esquisser une théorie non pas seulement valable pour Cuba ou pour l'Amérique latine, mais pour tous les peuples " dépendants " de la planète. Ni Moscou ni Pékin Humaniste, il propose des réformes radicales. " Si le communisme ne devait pas aboutir à la création d'un " homme nouveau " , il n'aurait aucun sens. " Comment s'étonner qu'il ait choisi, au retour d'un long voyage de trois mois en Afrique et en Asie, de " lutter contre l'impérialisme où qu'il se trouve " ? La seule Cuba, où les échecs d'une industrialisation trop poussée sont évidents dès 1963, lui paraît un cadre trop étroit. Quatre ans après une controverse arbitrée en partie par des économistes comme Charles Bettelheim, ce sont pourtant les thèses du " Che " sur le " stimulant matériel " et la " socialisation de la distribution " qui reviennent à l'honneur à Cuba. Au printemps 1965, il a dénoncé déjà les tutelles éventuelles de Moscou comme de Pékin. Pourtant sa " disparition " d'avril 1965 suscite hors de Cuba d'innombrables commentaires et spéculations. Il vient de prononcer à Alger un violent discours contre l'Union soviétique à qui il reproche d'abuser des traités avec des pays amis pour obtenir des bénéfices économiques. Par une simplification abusive mais commode, ses adversaires le dépeignent comme un " pro-chinois ", bien qu'il ait été reçu plutôt fraîchement à Pékin. En fait le " Che " retourne sur le continent de ses premières armes. Le 2 octobre, à La Havane, Fidel Castro lit sa lettre d'adieu : " D'autres terres dans le monde réclament mes modestes forces. " Vient le temps des rumeurs. On signale le " Che " dans plusieurs régions du monde à la fois, au Congo-Brazzaville, à Stanleyville, avec Soumialot (dont il avait fait la connaissance par hasard deux ans plus tôt dans un avion, de Dar-Es-Salaam à Nairobi), au Vietnam, au Mexique, au Pérou, en Argentine... On affirme aux Etats-Unis qu'il a été tué dans les rues de Ciudad-Nueva, à Saint-Domingue, dans les rangs des forces constitutionnalistes du colonel Camano, comme si la mort d'un homme comme le " Che " pouvait être aussi aisément escamotée Cette ridicule et impitoyable chasse au fantôme suscite les commentaires ironiques des dirigeants cubains, qui décident, en avril 1967, de lever un pan du voile. Le capitaine Osmany Cienfuegos, secrétaire de l'Organisation de solidarité des trois continents, communique à la presse six photos et un texte que le commandant Guevara vient de lui faire parvenir. " Il faut détruire l'impérialisme par l'élimination de son bastion le plus fort : la domination des Etats-Unis. Il faut pour cela créer deux, trois, plusieurs Vietnam, pour obliger l'impérialisme à disperser ses forces. Peu importe le lieu où me surprendra la mort. Qu'elle soit la bienvenue, pourvu que notre appel soit entendu, qu'une autre main se tende pour empoigner nos armes et que, dans le crépitement des mitrailleuses, d'autres hommes se lèvent pour entonner les chants funèbres et pour pousser de nouveaux cris de guerre et de victoire... " La mort de Guevara, proclament les militaires boliviens, c'est la fin de la guérilla en Amérique... (1). Mais qui peut prétendre que le " Che " ne sera pas encore plus redoutable mort que vivant ? MARCEL NIEDERGANG Le Monde du 17 octobre 1967

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